Ma visite aux urgences
« Les sanglots longs des violons de l'automne blessent mon cœur d'une langueur monotone. » C'est un peu ça, les urgences, non ? Ces heures et ces heures qui ne comptent plus leurs minutes, tels des jours d’absolue solitude.
Il y a l’avant-urgence. Sur ma trottinette électrique, je loupe la montée d’un trottoir et braoum, un gros baiser au macadam ! Je pisse le sang sur le visage, j’ai un genou qui a comme un œuf de pigeon dessus, et les deux paumes de main sont arrachées, la lèvre inférieure explosée et un bleu énorme sur le menton. Le casque est fendu, et moi, j’suis tout kouagué en distribil comme on dit en Bretagne. Une dame qui a tout vu appelle les pompiers, car, ca doit avoir l’air sérieux, y a du sang partout. Plus rapide que la cavalerie des tuniques bleues, les pimpons arrivent. Comme d’hab, ils ont l’air de bons mecs sympas, d’autant que je commence à balancer des vannes histoire de détendre l’atmosphère. Ils me triturent pour voir s’il n’y a rien de cassé et m’essuient un peu la trogne, car j’ai du sang qui me coule dans l’œil. Ils me mettent une minerve au cas zoù, m’installent sur le brancard et en avant de Guingamp !
Les urgences : on se serre la poigne avec les héros du feu parce qu'on a bien rigolé dans le fourgon, à part le chef un peu coinçosse de la lance à incendie. Et ils me laissent avec l’infirmière des admissions. À partir de là, je suis dans un monde au ralenti. Ça devrait se nommer les longtemps et non pas les urgences. Soyons clair, car je vois déjà se soulever une bronca me rappelant combien le métier d’infirmière est dur, combien elles sont en sous-effectif, et combien elles se dévouent pour nous, les patients, souvent impatients. Je suis d’accord avec TOUT le monde ! Mon propos ne sera pas de descendre en flamme le corps médical, que je remercie mille fois, d’autant que je connais l’endroit, vu que j’y ai séjourné dix jours en aout dernier. Les équipes du CHU de la Cavale Blanche à Brest même sont ce qui se fait de mieux, du poste le plus modeste au plus élevé. Je vais décrire mes cinq heures d’attente où j’ai eu loisir d’observer ce qui se passait dans la grande salle des urgences : on dira les normales, pas celles où les patients sont entre la vie et la mort, mais celles où le lambda vient se faire traiter par manque de médecins de ville, par, des prises de RDV, qui vous donneront le temps de guérir avant de voir l’ombre d’un médecin. Ces heures passées à regarder le ballet des aides soignantes, infirmières, brancardiers, les SAMU, les docteurs et les patients, qui, comme une rivière en crue, emplie les espaces libres de ce port des urgences. Nous étions 11 lorsque j’ai été admis et 22 lorsque je partis.
Saint Protocole : on me gare dans l’espace 13, n’y voyez pas un signe, et… On me laisse là. Sur ma gauche, j’ai une jolie jeune femme, qui par la suite s’avérera être mexicaine, et avec qui j’échangerais, car ne parlant pas une broc de french, ce qui n’aidait pas les infirmières. Sur ma droite, une très vieille dame dormante, la bouche grande ouverte, qui ronfle. En face de mon brancard, il y a le bureau des infirmières et une horloge. Une bonne heure passe, j’ai du sang coagulé qui me ferme l’œil droit. J’appelle une des soignantes assises derrière le bureau pour lui demander des compresses pour me nettoyer l’œil et le visage. Elle me les amène, et me donne un petit coup de main. En fait, il faut que je me débrouille seul, et c’est avec la caméra de mon téléphone en miroir que je me lave tant bien que mal. J’attends un peu et me souviens que pour faire partir un hématome, il faut mettre de la glace dessus. Je rappelle cette même infirmière et lui demande un sac de glace pour mon genou, qu’elle me rapporte enroulé dans une serviette. Je dois la rappeler encore pour ôter mon pantalon, car il m’est impossible de plier la jambe droite. Suite à ces échanges, une idée germe dans mon esprit : pourquoi ces femmes ne me viennent pas en aide pour les choses qu’il a fallu que je demande ? D’ailleurs, il en va de même pour les autres patients, allongés. Il ne se passe absolument rien, comme une scène figée, où les seuls mouvements viennent de ces infirmières qui ont tour de rôle, se remplacent pour aller déjeuner, ou s’assoient derrière l’ordi. POINT ! Comme j’ai mal, je demande un Doliprane, que je ne verrais jamais. Mais que se passe-t-il donc ? Ce qui suit ne sont que mes supputations. Un hôpital, les médecins, tout est géré par l’administratif, avec ses règles et ses protocoles, qui s’empilent les uns sur les autres au fil du temps, à fait, que plus personne ne peut prendre d’initiatives, et par ricochet, une perte d’humanité. Il y a dans cette salle des gens sur des brancards, et les cinq heures où je suis resté, il n’y a eu seulement que trois patients pour lequel quelque chose s’est passé, pour les autres ; rien, immobile et soumis au bon vouloir des arcanes médicaux. Les jeunes femmes qui étaient supposées s’occuper de nous, m’ont donné l’impression de suivre des règles très strictes, et d’attendre que le médecin, après sa visite, dise que faire. Le protocole est ainsi fait, qu’une simple infirmière de sa propre initiative ne peut entreprendre quoique ce soit sur un patient, et si le médecin met 10 heures à venir, hé bien, les patients resteront sur leur brancard, à moins, d’une urgence absolue… En fait, il y a urgences et urgences ! De plus, j’ai l’impression que l’ont envoi pour ces sortes de garde, des aides soignantes, qui bien sûr n’ont pas les connaissances des infirmières. Il se dit aussi que des infirmières font ce qu’un médecin devrait faire… Mais ce sont des on-dit, avec cependant une certitude, le manque d’effectif. Ce qui abouti, à des gens allongés, qui attendent comme dans une gare où les trains de la SNCF sont toujours en retard… Oui, je sais, je suis mauvaise langue !
Signer ma décharge : même si je suis cabossé de partout, comme je vis avec moi depuis ma naissance, et connais donc la bête, et je sais que je n’ai rien de cassé, et malgré la douleur, ça va. Je ne voulais d’ailleurs pas que les pompiers m’amènent, mais, c’est le protocole… Il était question de radio de la jambe, de scanner du crâne, de points de sutures et tutti. Sachant, que le corps médical doit faire tous ces exams pour SE rassurer et se couvrir au cas, où je serais un mauvais coucheur, chercheurs de petite bête type erreur médicale, on en arrive, pour trois bobos à déclencher le plan Orsec, et soigner le moustique (loustic) que je suis à coups de marteau de dix livres. Bon, ça fait déjà trop longtemps que je poirote dans cette salle de bal sans que rien ne se passe, à part moi essayant de me faire un pansement tout seul et me soigner tout seul devant un groupe de soignants en attente... Fatigué mais toujours gaie : Je demande à l’infirmière/aide-soignante/stagiaire et que sais-je encore, d’avertir le médecin en charge que je veux quitter son auberge des bienheureux. Un bout de temps s’ensuit, et une jolie tite brunette, l’air absorbé, me fait signer une décharge stipulant que c’est à mes risques et périls en cas d’hémorragie interne ou de mort, Yes ! Texto, c’est écrit comme ça ! Je remballe mes gaules et vais me faire dorloter sous de meilleurs auspices. Je tiens à compatir pour toutes ces femmes qui ont fait vœu d’aider les autres, contrôlées et bridées par des petits chefs, et un corps administratif de gratte-papiers qui fait perdre le sens de l’humanité et donne la priorité au pognon et au rendement ! Voilà, c’est dit !
La suite : lors de mon départ, j’ai tout de même demandé au docteur comment pourrais-je faire mes pansements ? Celle-ci m’a répondu qu’elle n’avait pas le droit de me répondre, car je partais de mon plein gré… Le serment d’Hippocrate est de sortie, ma foi, ma jolie ! Heureusement, une bonne âme d’infirmière, dans son dos, m’a glissé dans la main des compresses, du désinfectant et des pansements pour fermer les coupures. Merci à toi, belle soignante inconnue ! Arrivé chez moi, j’ai bien tenté de faire mes pansements tout seul, et à part me transformer en clown... Je suis allé dans une pharmacie acheter du Doliprane, puis j'ai appelé des cabinets d’infirmières privées. L’une a accepté de me faire mes pansements sans avoir de prescription, car dans ce pays, si on n’a pas son médecin traitant sous la main, tout se bloque, et puis, il y a le p’tit billet de 25 euros pour la consultation... Je suis allé chez elle, elle m’a soigné gentiment et gratuitement. Merci à toi, belle soignante inconnue (bis) !
Tout ça pour dire qu’un monde fait de protocoles à suivre à la lettre amène l’humanité à se déshumaniser, et ainsi, à signer des deux mains sa disparition ou sa robotisation. Welkom dans le monde merveilleux de l’IA et de Laurent Alexandre… 1984 n’a été qu’un hors d’œuvre, nous en sommes maintenant au plat de non-résistance…
Georges ZETER/octobre 2024
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