Machine frustrante

C’est dans le vide de la pensée que s’inscrit le mal, écrivait Hannah Arendt. Hier soir, lors de l’émission « paroles de Français », support, contenu, empathie ambiante et apophtegmes ont parfaitement représenté ce que Cornelius Castoriadis nommait « la montée de l’insignifiance ». En préambule, à l’Elysée, pour bien montrer que les événements survenus n’inquiétaient pas, avait pondu un communiqué : Le Président de la République est là pour gérer des problèmes de tous les jours. Tout le problème est là. Elle-même, la fonction présidentielle se compare à un agent de maîtrise de l’entreprise France, allant d’une chaine à l’autre, d’un atelier à un autre pour serrer ou desserrer des boulons, pour réprimander un ouvrier glandeur ou remplacer un chaînon défaillant. Cet agent de maîtrise, malgré ses fonctions souvent fouettardes, se présente comme compatissant, empathique envers les victimes de cette machinerie des temps modernes et de ses ratés. Car le pire qui puisse arriver ce sont des petites pannes, des insidieux mal - fonctionnements, des retards de production, qui ne mettent en aucun cas en cause l’usine et son modèle de production. D’ailleurs, de manière permanente, l’agent de maîtrise ne parle que de détails, ou de primes à la production, d’individus qui mettent en cause le bon déroulement du déroulé de la chaine. Il met, comme tout bon maton, en compétition les ateliers, distribuant blâmes et satisfécits.
Observant le président parler des magistrats, voulant reculer sans le vouloir, viennent à l’esprit les mots de Sénèque : « il est plus facile de se contenir que de se retirer d’une querelle ». Mais voilà, la querelle, on la cherche. Comme Chateaubriand, on appelle les orages désirés, qui font oublier le quotidien misérable, le train-train privé de tout projet, l’absence d’un lien social mobilisateur et enthousiasmant, bref ce qui sculpte un peuple et une nation. L’agent de maîtrise gère, n’anticipe pas. Il « fixe » (dans le sens anglais et français à la fois) une réalité qu’il voudrait statique, en passant son temps à affirmer les bien faits de son action quotidienne et segmentée. Il passe du coq à l’âne, du G20 à Alzheimer de la production de lait à la sécurité du petit commerce, ayant réponse à tout et proposant des mesures immédiates contre le mauvais temps. Aristote disait à ce propos : « l’ignorant affirme, la savant doute, le sage réfléchit ». On peut, comme Marc Aurèle être un stratège audacieux et un philosophe à la fois. L’un, non seulement n’exclut pas l’autre mais, au contraire, l’affine et l’optimise. Pour cette pensée présidentielle binaire qui oppose les bons et les mauvais, l’action et la réflexion, le présent et le passé, il existe une citation qui convient mieux au personnage, celle de Groucho Marx : « la politique, c’est l’art de chercher des problèmes, de les trouver, de les sous-évaluer, et ensuite d’appliquer de manière inadéquate les mauvais remèdes ». Si le président croit qu’il est moins anxiogène pour les Français par ce que il approche les problèmes par le petit bout de la lorgnette, il se met le doigt dans l’œil. Il se trompe doublement - pour paraphraser Søren Kierkegaard : il croit ce qui n’est pas et se refuse de croire ce qu’il est. En fait, l’agent de maîtrise est une machine frustrante, un créateur d’angoisses, loin, bien loin de ce que devrait être un président.
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