Macron et le trou noir sans répit
En introduction, nous évoquerons la conférence de presse du Président Macron surtout pour en faire remarquer la forme. Elle reste calquée sur ce qu'avait inauguré, voici 60 ans, son initiateur, le Général De Gaulle. Notons surtout qu'à l'époque le Président, dans une économie en expansion, disposait de leviers que ne possède plus Macron.
Mais, sans que cela soit une sinécure, il a hérité du costume, celui du Président-Monarque. Costume « démodé », devenant ridicule, à une époque où chaque état moderne est gouverné par une équipe et non plus par un seul individu. Et donc Macron est donc fort justement considéré, sans répit, comme le seul responsable de la politique gouvernementale.
Pour ce qui est du contenu de la conférence de presse, rien de nouveau de ce qui a déjà été dit après la « fuite » du contenu de son intervention qui aurait du avoir lieu une semaine auparavant. Beaucoup de projets, de promesses... et de lyrisme. Il faudrait de la confiance et là ...
Levons tout de même un « lézard » : les travailleurs français ne travaillent pas moins que les autres travailleurs européens. Ce qui compte c'est la productivité. Et à ce titre les travailleurs français sont plus productifs que les travailleurs allemands. Les travailleurs grecs qui travaillent plus que les travailleurs français, n'ont pas empechés l'Etat grec de faire faillite. Ceci dit pour couper l'herbe sous les pieds du Président dont l'objectif réel est de pressurer toujours plus les démunis, ceux qui travaillent vraiment.
I. La guerre est déclarée !
Après l'incendie de Notre-Dame certains ont cru ou rêvé en une trêve sociale voire une unité nationale retrouvée. Il n'en a rien été. Pire : certains ont même été choqués que tant d'argent puisse être ainsi réuni en si peu de temps pour sauver des vieilles pierres alors que des démunis, à qui il ne manque que quelques euros, sont toujours en train de crever (1).... Des milliers d'interpellations, plus de 800 condamnations de manifestants, des dizaines de blessés mutilés, 60 000 policiers régulièrement mobilisés... et des manifestants, qualifiés d'émeutiers, toujours présents et déterminés chaque semaine depuis bientôt six mois ! Une conférence de presse, du bla-bla, n'effaceront pas tout cela aussi facilement.
Par sa durée, la guerre d'usure engagée par Macron contre les Gilets Jaunes, se retourne contre lui. Et l'on s'aperçoit que deux conceptions antagonistes de plus en plus divergentes se font face dans la société française.
- Ceux qui, se mettant à l'abri dans la citadelle assiégée, approuvent, même en chipotant , le gouvernement et sa politique libérale-conservatrice (2)
- Ceux qui, se radicalisant de plus en plus, contestent le pouvoir au point de vouloir « la démission de Macron » voire la « Révolution » !
Comme toujours dans une telle situation de crise, les tièdes, les « neutres » finissent par s'interroger, ne peuvant se soustraire que difficilement aux enjeux, risquant par leurs atermoiements, d'être eux-mêmes jouet et victime expiatoire de l'un des protagonistes.
Ces deux camps qui se cristallisent, sont en réalité bien connus des analystes politiques : ils traduisent simplement une montée de la lutte des classes, comme cela s'est déjà produit à maintes reprises dans l'Histoire. Mais une telle conception, mettant en question la société capitaliste dans son ensemble, est évidemment inadmissible.
Les journalistes (3) des grands médias, aux côtés des politiciens, font flèche de tout bois pour discréditer les manifestants, insinuer une fantasmatique influence de « black blocs », détourner l'attention du public vers « les violences » et ainsi faire oublier leurs revendications (« ils n'en ont même pas ; ce ne sont que des casseurs »), pour criminaliser les Gilets Jaunes coupables des pires sacrilèges, comme par exemple insulter la police (4). Le défaut de leur cuirasse est leur « addiction » aux images qui font le « buzz » et qui permettent de garder l'audimat...
Même avec des trémolos dans la voix, les dénonciations de la « violence », - celle des manifestants mais jamais de la police bien sûr -, les déprédations dont sont victimes les agences bancaires ou immobilières, le pillage des commerces , n'arrivent pas à vraiment retourner l'opinion et deviennent en fin de compte contre-productives, pouvant être interprétées comme des incitations « à en faire plus ».
Une masse de révoltés de plus en plus nombreux est maintenant déterminée, bien décidée à en découdre, quoiqu'il en coûte. Et tout au contraire, ceux qui se battent, résistent, se font arrêter, benéficient, comme l'ex-boxeur Christophe Dettinger, d'un large soutien. Deux mondes se méprisent, se haïssent, s'affrontent et le Président de la république se heurte à un mouvement de masse inédit dont il a fini par comprendre le danger.
Il n'est évidemment pas le seul chef d'Etat prêt à employer tous les stratagèmes, voire la force, pour se maintenir en place. Il s'en fallut de peu en mai 1968, pour que De Gaulle ne renverse la table. L'auteur de ces lignes se souvient des tanks et véhicules militaires venant de l'est, défilantt alors en banlieue parisienne, sur la nationale 3....
Ce qui a changé comparativement à hier c'est, dans le cadre de la société capitaliste telle qu'elle est, l'absence de moyens à la disposition de l'Exécutif. Tous les robinets financiers sont controlés en fait par la Finance internationale qui ne lui laisse aucune marge de manœuvre de type keynésienne. En décembre le Président, avait bien réussi, avec l'aide de Pierre Moscovici, à faire accepter par l'Union Européenne et surtout Berlin, l'idée d'une augmentation du déficit du budget de la France. Cette France que Macron veut « exemplaire » dans une « belle » Europe libérale.
.. Toute une classe s'est donc rassemblée aujourd'hui derrière le chef de l'Etat, le brillant télé évangéliste, pour que « soit maintenu le cap ». Les sourires télévisés ne vont plus qu'à ses partisans, au carré d'un précieux électorat qu'il espère toujours fidèle. Pour les autres la matraque et les flash-balls deviennent la seule alternative. Il n'a même plus à s'en cacher, à essayer de les convaincre : tensions et haine aidant, tout le monde a compris.
Si l'on se place derrière les lignes, du côté des « patrons » qui ont mis Macron où il est, deux options se dessinent : - On le vire, on l'élimine, au mieux en l'obligeant à dissoudre l'Assemblée Nationale, option de départ la plus « clean ». Et le système garde une chance de repartir sur des bases plus stables, avec un « bon gros » style Larcher, au pouvoir, par exemple. Mais cela ne revient-il pas à accorder la victoire aux insurgés et sans doute à renforcer leur camp ?..
- On le garde tout au long de son mandat, espérant rebondir avec les élections européennes qui seront un « thermomètre », tout en sachant que la « guerre » risque de continuer interminablement, avec des manifs récurrentes.
Quelle que soit la voie suivie, elle reste périlleuse pour le pouvoir menacée par une révolution de type prolétarienne (5) Le désarroi a déjà atteint nombre de macronistes dont aucun n'avait prévu les débordements actuels. Et l'exécutif, dans sa fuite en avant trébuchante, risque bien de se raccrocher à la nappe quitte à à mettre par terre tout ce qui se trouve sur la table...
Le trou noir.
II. Un contexte de crise économique et financière insolvable.
Dans le passé, devant une poussée du mécontentement social, le gouvernement avec un minimum de stratégie, lâchait du lest. Les anciens se souviennent de slogans bon enfant - « Ohé Pompidou – Pompidou navigue sur nos sous... » - , des 0,... pour cent « d'augmentation » vite rognés par l'inflation mais qui justifiaitent néanmoins les bureaucraties syndicales.
Aujourd'hui le Président nous dit la même chose que ses prédécesseurs : plus un rond dans les caisses ! Mais les riches sont de plus en plus riches, entend-on dans la vallée. Pas encore assez, mon fils, pour que le ruissellement attendu survienne, répond l'écho des montagnes macronistes...
Le trou noir de la Finance.
Il est vrai que la crise financière de 2008 a été révélatrice d'une faillite promise du système. Pas encore résolue,elle s'avére bien plus grave que ce que l'on avait voulu voir au départ. Comme lors de chaque crise on avait attendu que ça passe. Un nouveau départ aurait du se profiler à l'horizon glorieux d'un capitalisme toujours triomphant. Cela s'avérait finalement si « compliqué » que 10 ans après, la reprise économique n'est toujours pas au rendez-vous malgré tous les bobards distillés de temps à autre (6).
Nous avons expliqué, dès 2013, pourquoi cette reprise reste inenvisageable. L'impossible quête de valorisation capital ne laisse plus comme issue qu'une financiarisation inévitable, prélude à la fin du capitalisme lui-même (7). Nous ne reviendrons pas sur cette démonstration que tout le monde, sauf des nostalgiques d'autres temps, admet aujourd'hui. Le travail devient donc inutile dans le contexte de crise du capitalisme que nous vivons ; car il ne peut exister que s'il est susceptible de rapporter un profit. Or, dans la production, il n'y a aucune perspective d'investissement rentable.
Cela dit, bien sûr, le système aboutit à toujours payer le travail le moins cher possible pour tenter de sauvegarder ledit profit... Cela n'a rien à voir avec les besoins réels dont la satisfaction n'est pas un objectif premier. Comme dans l'espace intersidéral, la Finance représente sur Terre le véritable trou noir de la société. Elle avale tout, détruit, sans rien rendre... Et cela le jeune Macron le le sait (8).
III. Mensonges et manœuvres dilatoires.
Face à des manifestations de mécontentement qui se succèdent sans discontinuer, l'Exécutif, après un temps de panique et d'hésitation que l'on a pu constater, en concertation avec Berlin, avait donc décidé de lâcher quelques miettes. Que faire d'autre sans renier tous ses engagements ?
Suivant la logique de voracité du système financier dominant, il ne pouvait pas plus. Car dans l'état actuel du capitalisme, un seul grain de sable, comme par exemple une baisse de profits, un conflit inattendu, une augmentation « inadmissible » du déficit public, et c'est le krach. Reste le bla-bla.
Réformes institutionnelles ?
Si du point de vue économique, pour les libéraux au pouvoir, la seule solution est de continuer à pressurer les plus démunis, côté institutions bien des réformes sont possibles.
Cela ne mange pas de pain.
L'essentiel réside dans la continuité du business. On voit bien que le Brexit, par exemple, représente un désagrément pour les institutions parlementaires britanniques. Pour le business ce ne sera qu'une gêne temporaire : les échanges avec la Grande-Bretagne, sous une forme ou sous une autre continueront...
Le nouveau Rastignac aujourd'hui au pouvoir en France, n'a jamais caché son mépris des institutions. Quelles que soient les critiques qu'il adresse aux populistes, il en fait lui-même partie de par sa volonté de gouverner sans les respecter. On s'en est vite aperçu lors de l'affaire Benalla, par exemple. Un égo surdimmensonné, alimenté par nombre de réussites, laisse apparaître logiquement un culot désarmant, et, de fait, un mépris absolu de la Démocratie. Les institutions et les usages de la Ve République permettent d'établir ce pouvoir personnel dans la pure tradition française bonapartiste, gaulliste et absolutiste.
Quant au Parlement, il est, comme c'est l'usage, entre les mains de la « majorité présidentielle ». Et donc considéré comme une simple chambre d'enregistrement des volontés de l'Exécutif. Chambre constituée de « nouveaux », de jeunes, ayant brillamment passés les tests, signataires de leur servile engagement et émerveillés d'en être arrivés là. Eux ne sont évidemment pas intéressés par une dissolution et de nouvelles élections...
Reste le Sénat, un moment menacé par Gribouille au pouvoir, qui se retrouve une nouvelle jeunesse, tout heureux de se la jouer « à l'américaine » face à un éxécutif désemparé...
La politique libérale se heurte à la résistance populaire.
L'objectif tout tracé, obligé, dans la ligne de l'Union Européenne, est le même que celui des gouvernements précédents : continuer une transformation dans une perspective toujours plus libéral.
Ce qui veut dire démanteler la protection sociale, le système des retraites, l'éducation et ce par toujours plus de privatisations. Mais, comme issue d'une résilience toute française, elle aussi, la révolte surgit.
Comme toujours, dans les premiers jours, la revendication est confuse. En 1789 qui voulait couper la tête du roi et proclamer la république ? Mais il n'y a pas de grève générale comme en mai 1968. Nombre de porte paroles des Gilets Jaunes, pressés de toute part, rejoignent le cirque politicien.
Mais pas tous. Les analyses s'affinent. Et l'on se rend compte que l'on est dans une phase inédite de lutte de classes. Une lourde atmosphère de haine se répand. Macron aura t-il des comptes à rendre ?
Tenir jusqu'aux élections européennes.
Reste les discours, la logomachie (9). Un « Grand Débat », que les opposants, goguenards, qualifieront vite de « Grand Blabla », soutenu par les médias, a donc été lancé. Une mystification d'un bout à l'autre, où même le chiffre des participants a été surévalué, où les contributions établies principalerment par des sympathisants du Président, ne sont même pas toutes prises en compte...
En exergue, ce « Grand Débat » court-circuitait donc le Parlement que l'on sait pourtant tout acquis, par sa majorité parlementaire, au pouvoir en place. C'était donc faire peu de cas des assemblées, et souligner l'aveu de déficit démocratique du jeu parlementaire. Cette manœuvre grossière du « grand blabla », n'a trompé en fait, que de rares naïfs. Mais elle permettait néanmoins de rassurer le « Parti de l'Ordre », le carré des soutiens pétochards, en montrant que l'on faisait tout ce qu'on pouvait pour conjurer la menace contre l'ordre établi et sauver leur galette.
Il faut, pour ne pas sombrer irrémédiablement, conserver leurs votes, battre les populistes, et donc parvenir au plus près des 30% lors des prochaines élections européennes. L'objectif est de relégitimer autant faire se peut, un pouvoir pourtant contesté de façon inédite par la rue.
Une Révolution à venir
Plus de 50% de l'électorat serait hostile au gouvernement et à sa politique. Des manifestations hebdomadaires demandent sa démission . Une nouvelle crise financière se profile. Les « Black Blocs » se renforcent. Les esprits se radicalisent. Certains diront qu'il s'agit d'une prise de conscience...La France n'est-elle pas connue pour être le pays où le système capitaliste est le plus radicalement contesté ?
Sortir du chaos par une Révolution libertaire ordonnée, harmonieuse et pacifiste sera la seule solution pour éviter les trous noirs de Macron, des libéraux et le caca brun des populistes.
Delenda Cartago.
Nemo, le 25/04/2019.
(1) Nombre de personnes, dont moi-même avons écrit et publié sur ce sujet. Voir mon billet « Notre-Dame : où va la générosité ? » écrit mercredi 17 avril sur le blog médiapart de Nemo3637 et sur Bellaciao.
(2) La politique de Macron et des libéraux consiste à rendre les riches encore plus riches en espérerant un « ruissellement » vers le reste de la société, notamment vers les démunis. Illusion qui traduit l'inconsistance de la pensée libérale d'aujourd'hui...
(3) Parmi les journalistes il faut distinguer les éditorialistes, les animateurs de plateau, les membres des comités de rédaction et ceux qui se retrouvent vraiment sur le terrain, dont les images ou les propos sont triés, sélectionnés par lesdits comités de rédaction.
(4) Cette police est aujourd'hui révoltée par les insultes dont elle fait l'objet parce qu'il s'agit d'un phénomène de masse : ceux qui crient ainsi sont aussi bien des ménagères que des profs.Que l'on ne vienne pas nous dire que de telles invectives sont inédites dans les banlieues traversées par nos pandores...
5) Révolution prolétarienne : révolution menée par le prolétariat, c'est-à-dire par tous ceux qui sentent qu'ils n'ont plus rien à perdre, sauf leurs enfants. Il peut donc être constitué du boutiquier, de petits patrons et d'ouvriers..
(6) La fameuse « reprise » aux Etats-Unis, profite surtout à ceux qui sont déjà riches. Un potentiel de près de 100 millions de travailleurs reste inemployé...
(7) A propos de l'impossible valorisation du capitalet de la fin du système, lire mon petit ouvrage « Krachs, spasmes et crise finale » en ligne :https://lachayotenoire.jimdo.com/nemo/
(8) Au détour d'une phrase lors d'une allocution en décembre, Emmanuel Macron reconnaît que le « système financier va vers sa fin ». Petite pique macronienne à l'égard de ses « protecteurs » ?... Qu'il est drôle et éclectique notre président téléévangéliste et acrobate ... (9)La logomachie consiste à croire que les mots et les discours ont un pouvoir. Certains macronistes y croient certainement d'autant plus qu'ils ne leur restent que leur verbiage pour tenter d'influer sur la benne qui se lève inexorablement pour les faire basculer dans les poubelles de l'Histoire...
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