Macron Président : La République branchée… au tout à l’égo
Autoportrait avec, au loin, son équipe de campagne.
Le 7 mai dernier le président de la République a été élu avec les deux tiers des voix exprimées et il est à parier qu’à l’occasion des élections législatives, ceux, qui ont encore les moyens et la volonté de choisir leur poulain entre la « droite libérale » et la « gauche de progrès », écraseront en suffrages exprimés, pour une fois encore, ceux que le ressentiment et la colère interdit de penser l’avenir dans les mêmes termes. La France, nous dit-on, aurait ainsi éviter le pire, la honte internationale, en portant au pouvoir la représentante d’un mouvement identitaire d’extrême droite. Ouf, les français se révèleraient en fin de compte raisonnables en plébiscitant un homme, jeune et sympathique, pro européen, progressiste, qui ne manquera pas « d‘accélérer les réformes nécessaires pour faire entrer la France dans l’économie du XXI ème siècle, réformes que les partis de gauche comme de droite n’ont pas eu le courage de faire ces dernières décennies. »
On connait la douce musique libérale : libérer les énergies, libérer le travail de tous les carcans qu’imposent les corps intermédiaires et les réglementations en tout genre. Libérer l’individu de toute tutelle et donner à chacun l’égalité des chances pour réussir dans un nouvel ordre social plus fluide. Pour cela l’individu doit aussi se libérer de ses propres racines, de son histoire. Nomade, il doit être capable de s’adapter, parler globish, être disponible et sans attaches sur toutes les latitudes . Il faut en finir avec les partis et organisations politiques pour libérer le citoyen de l’emprise de toute idéologie et par la même occasion de toute fonction critique. Il faut aussi le libérer du maximum de principes moraux ou philosophiques pour le rendre totalement disponible, tant pour l’accomplissement de sa mission dans le cadre de son travail que dans sa position de consommateur. Les instances collectives comme la famille, l’école, les syndicats, les associations culturelles, les États-nations ne doivent en aucun cas être une entrave au développement du grand marché ; leur rôle doit se limiter à assurer ordre et sécurité, dire le droit aux quatre coins du territoire , former le citoyen pour assurer le fonctionnement optimum du système de production et de distribution en vue de la plus grande profitabilité possible pour les investisseurs financiers. Bref tout cela est contenu dans le vieux principe libéral énoncé par Mandeville (1), il y a déjà trois siècles, dans la « fable des abeilles » : les vices privés contribuent au bien public tandis que des actions altruistes, les principes moraux, peuvent en réalité lui nuire.
Avec Emmanuel Macron il n’est plus nécessaire de penser une politique ni de s’organiser dans des partis de droite ou de gauche qui en fin de compte font ce que le Marché commande. il suffit de se mettre en marche et …de suivre le mouvement. Mouvement dont le chemin sera tracé au cordeau par le gouvernement. Emmanuel Macron, après son O.P.A. sur le P.S. et le P.R. « managera » la France comme une entreprise, avec un gouvernement , véritable task force, réduit à 15 fidèles, avec aussi des députés aux ordres, recrutés par le mouvement comme des cadres dociles, pour adopter les réformes dictées par ordonnances gouvernementales et vendre à l’étranger et aux investisseurs internationaux la marque « France » relookée, modernisée aux standards internationaux. Pour cela aussi le Président, en bon ambassadeur, continuera à cultiver son image glamour sur les couvertures glacées des magazines en tout genre, accompagné de la « première dame« .
Si l’État libéral doit assurer des conditions initiales identiques pour tous, en matière d’éducation en particulier, tout le monde est sommé ensuite de réussir et tant pis pour les losers, les grognons, ceux qui ne feront pas l’effort de se reconvertir, ceux qui refusent de bouger. La « dépense publique » contrainte par le « boulet » de la dette publique ne pourra leur venir en aide éternellement.
Le problème est que notre jeune premier qui affiche haut et fort sa foi au libéralisme intégral arrive un peu tard dans le scénario.
Depuis plus de quarante ans déjà cahin-caha, un pas du pied droit, un pas du pied gauche, dans un environnement international acquis à la mondialisation des échanges, après la chute du mur de Berlin, les gouvernements successifs ont déjà bien détricoté les lois sociales qui tenaient encore en laisse l’hégémonie du capital sur le travail, tout en feignant d’adoucir ces sacrifices par plus de droits et de libertés donnés à l’individu dans la conduite de sa vie privée. Discrètement on a pas cessé de mettre en concurrence les uns avec les autres tout en démontant méthodiquement l’État social. Seule l’augmentation de la production et ensuite l’endettement privé et public ont permis un temps de limiter la casse en distribuant quelques bribes aux plus démunis.
Déjà depuis le début du XXIème siècle les dégâts des politiques libérales s’affichent aux yeux de tous. C’est bien l’augmentation exponentielle des inégalités, la disparition des classes moyennes, la déqualification et l’augmentation du chômage, de la pauvreté et de la précarité dans les pays développés qui a créé une société duale, remettant en cause les fondements démocratiques de nos sociétés et l’unité de nos nations. En fait le résultat de cette dernière élection ne marque pas une rupture politique ni un renouvèlement. La gauche et la droite ne font que tomber le masque d’une mauvaise comédie et ne font que mutualiser leurs forces autour de nouvelles têtes pour tenter de prolonger, pour quelques années encore, la fête de cette minorité toujours aussi insatiable. Avec le résultat du 2ème tour on fait simplement le constat que deux France peu à peu se séparent. Il y a celle des urbains, des gagnants de la mondialisation, de ceux que l’espoir de jours meilleurs anime encore et il y a celle que l’on ne veut pas voir, celle des reclus, des immobiles, des travailleurs pauvres, tous assignés à résidence dans ces territoires périphériques pour n’être que les spectateurs de la réussite des autres. ( voir l’interview de Christophe Guilluy : « La France périphérique va-t-elle exploser ? » ) . C’est cette France de ceux que le ressentiment contre tous et contre tout envahit, marqués par la rancune, l’hostilité, la frustration, de ceux que personne n’écoute, de ceux dont on ne parle plus. Ce sont tous ces perdants de ce capitalisme global : petits paysans, commerçants, artisans, ouvriers déqualifiés, travailleurs indépendants, « ubérisés« , à temps partiel, travailleurs pauvres, chômeurs qui se retrouvent purement et simplement rejetés et oubliés comme peuvent l’être les déchets disparates d’une grande fête où des artistes constamment renouvelés occuperaient sous les sunlights le devant la scène. Dans son dernier livre (2) Dany Robert Dufour cite Nietzche qui dans la « Généalogie de la morale » appelle « être de ressentiment » ces hommes devenus tragiquement pauvres en sentiment pour qui « la véritable réaction, celle de l’action, est interdite et qui ne se dédommagent qu’au moyen d’une vengeance imaginaire ». Les plus fous sombrent dans un délire « théo-fasciste » qu’exploitent les illuminés de Daech, une majorité, faute de perspective alternative à gauche, s’est réfugiée jusqu’à présent sous le discours identitaire et nationaliste du Front National qui, au lieu de désigner clairement l’ennemi, le capitalisme mondialisé, montre du doigt les étrangers comme la cause de tous leurs malheurs, d’autres enfin, n’éprouvent même plus la nécessité de s’exprimer.
Aujourd’hui devant la limitation des ressources, l’état de la planète, l’ illimitation et la démesure dans l’accumulation des richesses n’est plus de mise ; il faudra de plus en plus faire avec les ressources déjà en circulation en utilisant le moins possible d’énergie fossile. La réussite individuelle des uns se fera de plus en plus aux dépens d’une part de plus en plus importante de l’humanité.
Demain si Emmanuel Macron continue de marcher ainsi, deux mondes antagoniques seront condamnés à s’affronter. L’idéologie libérale avec la dérégulation qu’elle préconise deviendra un obstacle mortifère pour l’humanité. La bonne gestion des ressources, le partage des richesses ne peut se faire que grâce à des États régulateurs, à l’organisation démocratique des citoyens, à l’adoption de règles communes et le respect de principes moraux et philosophiques pour le vivre ensemble dans le respect des singularités de la personne humaine. L’illimitation dans la libre accumulation individuelle des richesses est aujourd’hui un cancer qu’il est urgent de combattre.
Dans une tribune publiée par le quotidien grec Journal des rédacteurs sous le titre « Voilà pourquoi, Emmanuel, nous serons contre toi », Yanis Varoufakis, qui hier l’a soutenu, estime ainsi que la politique de « dérégulation et d’austérité » souhaitée par l’ex-candidat d’En Marche ! va « simplement redistribuer la misère entre les travailleurs français ». (lien) .
Prôner une politique fondée sur la compétition individuelle où chacun est sommé de réussir par tous les moyens est aujourd’hui M. Macron bien ringard. Vanter les mérites d’un monde où la mobilité et l’adaptabilité sont la clé de la réussite, pendant que les immobiles et les enracinés dans leur terroir seraient condamnés à se morfondre arrive à contre temps. Dans les années à venir il faudra à nouveau réapprendre à se poser pour vivre, prendre en compte son environnement, développer une économie locale en harmonie avec son environnement tout en étant en réseau avec le reste du monde, avec un usage mesuré des ressources mises à disposition et en mettant à profit au mieux les talents et les compétences de chacun. Bref il faudra repenser et préférer une société horizontale à une société verticale où ceux d’en haut ignorent tout de ceux d’en bas.
En 2015, Emmanuel Macron expliquait qu’il y a dans la démocratie « un absent ». Et que cet absent est la « figure du roi », dont il est persuadé que « le peuple français n’a pas voulu la mort ». Même si la France a tenté de « réinvestir le vide » avec Napoléon et de Gaulle, poursuit-il, l’espace reste vacant. Et « ce que l’on attend du président de la République, c’est qu’il occupe cette fonction ». ( lien ) .
M. Macron, ne vous êtes-vous pas trompé de siècle ? En tout cas vous arrivez bien tard et, contrairement à ce que vous affirmez, vous faites partie de ce vieux monde que vous ne cessez de décrier. Il est temps d’enclencher la marche arrière et mettre le tout à l’égo à l’égout pour réaffirmer que les êtres humains sont des êtres sociaux qui ne peuvent s’épanouir que dans et par la richesse de leurs rapports sociaux , qu’ils doivent s’organiser pour confronter leurs idées et mettre en place un cadre de socialité fraternel et respectueux des individualités et des moyens mises à disposition, pour organiser le partage des richesses et la bonne gestion des ressources au lieu d’encourager la compétition.
Dans la gestion des affaires de la cité la première personne du singulier doit absolument laisser la place à la premier personne du pluriel.
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(1) La thèse générale de Mandeville dans « la fable des abeilles » est la suivante :
Les actions des hommes ne peuvent pas être séparées en actions nobles et en actions viles, et que les vices privés contribuent au bien public tandis que des actions altruistes peuvent en réalité lui nuire. Par exemple, dans le domaine économique, il dit qu’un libertin agit par vice, mais que « sa prodigalité donne du travail à des tailleurs, des serviteurs, des parfumeurs, des cuisiniers et des femmes de mauvaise vie, qui à leur tour emploient des boulangers, des charpentiers, etc. ». Donc la rapacité et la violence du libertin profitent à la société en général. ( Wikipédia )
(2) Dany-Robert Dufour : « La situation désespérée du présent me remplit d’espoir. » Face à trois délires politiques mortifères, l’hypothèse convivialiste. Edition Le bord de l’eau- 2016
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