Madonna pleine de grâces chantée par « Nice-matin »
Elle est fascinante à observer, la logique circulaire qui emporte dans une spirale sans fin, la relation qu’entretiennent les médias et les stars ! Au départ, l’obscur candidat à « la starification » a besoin des médias pour se faire connaître : à coups de « plans médias » minutieusement dressés, la plus large exposition est recherchée. Mais une fois qu’est acquis le statut de star, ce sont les médias qui ont à leur tour besoin de la star pour maintenir ou accroître leur audience.
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La langue de bois de l’hagiographie
Ils visent, en effet, à capter comme clients la masse de fans que l’idole draîne à ses basques, rivés à elle sous l’empire du réflexe d’identification. Il n’est donc pas question d’oser la critiquer ; ce serait prendre le risque de rebuter ses adorateurs. La langue de bois de l’hagiographie la plus servile est donc la seule que les médias soient condamnés à parler dès qu’il s’agit de stars établies.
On vient d’en avoir un nouvel exemple récemment, avec le « Madonna circus » qui entamait, mardi soir 26 août 2008, à Nice, son « tour d’Europe », avant Paris et Vienne en septembre.
Le dithyrambe avec emphase et hyperboles
Le journal régional Nice-Matin en a forcément fait sa « une » le lendemain, avec une photo de la donzelle mangeant la moitié de la page. Quel autre événement pouvait rivaliser avec elle ? On la voit donc dans un accoutrement de majorette sado-maso, chapeau haut-de-forme, guêpière, bas résille et bottes de cuir à lacet, lever haut la jambe et faire semblant de gratter une guitare. Un seul mot éclate incrusté en gros caractères : « Chapeau ! » L’ambiguïté volontaire entre le compliment et l’ironie qui s’en prendrait à son couvre-chef ridicule, est vite levée par l’allégeance de la légende : « Hier soir, lit-on, Madonna a époustouflé 49.000 fans en délire au stade Charles Ehrmann de Nice. Un show monumental. »
Mais on cherche vainement dans le quatre-pages intérieur, intitulé « Spécial Madonna », ce qui dans ce spectacle mérite ces hyperboles : est-ce, comme le montre une autre photo d’apparaître debout dans une vieille Rolls entre des énergumènes vociférant, à crâne rasé ou crête de coq ? Est-ce de jouer la vierge prude convoitée par quatre mâles salivant en chapeau haut de forme ? Ce n’est pas, en tout cas, la photo en dernière page du journal qui permet d’éclaircir le mystère : seule en scène, son micro contre les lèvres comme un cornet à glace, la donzelle inspirerait plutôt la compassion, attifée comme elle est : les cheveux blonds défaits, le slip apparent sous sa jupette de tulle , les jambes gauchement plantées dans d’invraisemblables bottes de cuir !
N’importe ! Rien n’y fait ! Le journal n’a pas assez de superlatifs pour chanter cette fille qualifiée de « mégastar mondiale de la pop » : « Magique », s’exclame-t-il. On veut bien, mais en quoi ? « Madonna enflamme Nice ! » N’est-ce pas tout de même un peu exagéré d’amalgamer 49.000 fans à toute la ville de Nice ? Et puis cette manie de manier le cliché du pyromane pour dire l’emportement insensé que provoque ce genre d’idole : « mettre le feu », « enflammer » ! Du moins exprime-t-il le délire qui peut s’emparer d’une foule ! Car qu’est-ce qui justifie, par exemple, que les fans fassent le V de la victoire quand on les prend en photo. Quel ennemi ont-il donc terrassé ?
L’art de se gargariser de grands nombres
À s’en tenir à l’article de Nice Matin , ce qui époustoufle en fait, plus que les chansonnettes de la donzelle, ce sont les moyens de la mise en scène. Les nombres astronomiques fascinent toujours les médias. Eux seuls suffisent à signer l’excellence. Ainsi le journal souligne-t-il avec délectation les « 90 mètres linéaires (!) » de la scène « haute de plus de 20 mètres », encadrée de « deux gigantesques M », « des écrans géants partout jusque sur l’avant-scène - du jamais vu - , 12 musiciens, 16 danseurs, 1,2 millions d’euros de cristal Svarovski, une Rolls vintage ». Et bien sûr, 49.000 spectateurs !
Une VRP de la haute couture
Neuf changements de costumes - pas moins ! - sont également scrupuleusement répertoriés, tous signés de grands couturiers : Givenchy, Tom Ford, Gucci, Miu Miu, Stella Mac Cartney, Moschino, Saint-Laurent, Roberto Cavalli. « On se croirait à la semaine de la haute couture », convient même le journal qui titre « Un show résolument bling-bling ». Serait-ce d’aventure une audacieuse critique voilée ? Pas du tout ! L’onomatopée américaine, « bling-bling », préférée au mot français péjoratif « clinquant », lui donne ses lettres de noblesse par sa seule origine linguistique distinguée. Cette apparence est, d’ailleurs, hautement revendiquée, ce qui doit suffire a lui conférer une légitimité indiscutable. La pire des crapuleries n’est-elle pas excusée dès lors que son auteur ose s’en vanter « sans complexes » ? De même, la référence à la haute couture n’a-t-elle rien d’ une pique, bien au contraire. C’est une révérence dévote devant ce qui est tenu pour le sommet de la culture dans une « jet society » que la haute couture habille à grands frais. Que Madonna joue, en fait, les mannequins et les VRP de ces marques devant les 49.000 gogos venus l’applaudir, ne gêne personne !
Une chanteuse pouvant chanter faux
Et la musique « dans tout ça », qu’en est-il ? Elle est d’autorité qualifiée de « bonne » par le journal qui se contente d’ énumérer « les tubes » l’un après l’autre. Mais le gag, c’est de voir le journal obligé de reconnaître que la pauvre Madonna « ne chante pas toujours juste » ! Un comble tout de même pour une chanteuse ! Mais ça n’a pas d’importance, on pardonne tout à Madonna. Pourquoi ? Parce que, dit le journal, « elle chante » vraiment ! Sans blague ? C’est bien le moins qu’on puisse attrendre d’ une chanteuse ? Pas du tout ! Car il lui arrive, paraît-il, de ne même pas chanter et de ne faire que semblant d’articuler sur un disque qui est diffusé ! Cette rouerie porte le joli nom de « play back » ! Quelle chance donc que la chanteuse chante même si elle chante faux !
L’autre raison de tant d’indulgence est « la scénographie millimétrée et toujours superbement inventive », car « « question mise en scène, affirme péremptoirement Nice Matin, personne ne lui arrive à la cheville » ! On attendrait bien un exemple qui justifiât pareil verdict. Le journal se contente d’affirmer et le lecteur est prié de le croire sur parole : « À l’arrivée, tranche superbement le journal courtisan, comme s’il s’agissait d’une étape du tour de France, Louise Ciccone n’en est que plus monumentale » ! Il faut donc croire qu’ « au départ », pour avoir ainsi les médias à ses pieds, Madonna Louise Ciccone n’est pas Ciccone qu’elle en a l’air !
Reviennent en mémoire, en effet, certaines mises en scène passées qui ont beaucoup fait pour la notoriété de l’idole. Elle a su alterner le leurre d’appel sexuel et le leurre d’appel humanitaire pour capter l’attention.
- On l’a vu par exemple embrasser sur la bouche deux autres godiches, chéries des médias, Britney Spears et Christina Aguilera : rien ne vaut une exhibition émancipée de type lesbien pour faire de l’audience. Voyeurisme oblige !
- Auparavant, en août 1987, à Paris, à l’occasion d’une tournée, elle s’était façonné une image de grande humanitaire, offrant à grand fracas de publicité à la fondation anti-sida de Line Renaud un chèque de 500.000 Francs qui ne représentait pas le dixième de ce qu’elle gagnait en un seul spectacle. Le premier ministre de l’époque, J. Chirac, qui souhaitait s’attirer les bonnes grâces des jeunes pour la présidentielle suivante, l’avait étreinte devant une meute de photographes.
- Et puis, on se souvient encore qu’elle avait le don de mettre en rut ses fans en leur brandissant sous le nez, comme on agite un mouchoir, sa petite culotte, avant de la lancer au-dessus d’une forêt de bras bandés à se rompre pour tenter de s’emparer de la précieuse relique.
De ces hauts faits, Nice-matin n’en dit mot, tout entier confit d’admiration et d’adulation béate, dans son rôle de publicitaire supplétif bénévole d’une entreprise d’abrutissement populaire.
Paul Villach
Documents joints à cet article
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