Mahomet a-t-il voulu mettre fin au mythe de Samson ?
Place centrale de la vie démocratique de la cité grecque, l’agora était un lieu de débat public. Merci à internet et à agoravox de permettre aux simples citoyens d’aujourd’hui de renouer avec cette antique tradition. Merci aux commentateurs qui ont apporté à mes quatre-vingts articles publiés leur contribution ou leurs critiques. Après mon article du 21 février "Gaza, Samson et Dalida", merci à l’anonyme "Jojo" d’avoir attiré mon attention sur un article du professeur Guy Couturier de l’Université de Montréal.
Question au professeur Guy Couturier
Monsieur le Professeur, dans un article publié par "interbible" http://www.interbible.org/inte... , vous écrivez ceci au sujet d’une inscription sur un fragment de poterie retrouvé dans les décombres de l’antique Ascalon philistine détruite par Nabuchodonosor, vers l’an 604 : Voici ce que l’on peut lire, après une longue étude : « À Hanno de Gaza : la tête de l’hébreu Samson, qui est attaché à Dalila, j’ai mis dans les mains d’Agga, le fils d’Aquish d’Ascalon, le roi. »
Sauf erreur de ma part, vous pensez très justement qu’Hanno et Agga pourraient être des noms qui se répétaient dans la lignée des princes philistins. Il en serait de même du nom "Aquish"... Aquish, écrivez-vous, qui est aussi celui du roi philistin de Gat, au temps de David (1 S 21,11 ; 1 R 2,39), donc au XII ème siècle. Vous pensez que cette inscription n’est pas un faux postérieur mais qu’elle pourrait remonter à ce XIIème siècle, à l’époque de Samson, au temps des Juges, et que, par conséquent, le texte biblique serait fiable contrairement aux hypothèses développées par l’archéologie scientifique de M. Israël Finkelstein.
Or, si on se remet dans le contexte de l’histoire telle que j’ai essayé de la comprendre dans mon article précédent, il faut se rappeler que les princes philistins avaient offert une prime à ceux (Dalila) qui dénonceraient (révèlerait le secret de) Samson. L’inscription pourrait donc être interprétée comme un texte écrit par un particulier disant en quelque sorte ceci :
"Voilà ! J’ai tué Samson, celui que vous recherchez. Je peux vous montrer sa tête que j’ai coupée avec sa longue chevelure en queue de cheval ou en nattes qui l’identifie. Remettez-moi la prime !"
Mais si l’on suit le texte biblique qui dit que Samson est mort en faisant s’écrouler sur lui le temple philistin, de deux choses l’une, ou bien ce particulier ment, ou bien il n’a tué qu’un Samson parmi d’autres, ce qui n’a pas résolu le problème philistin. Et si l’on pousse encore plus loin le raisonnement, cela signifierait que Samson n’était pas un individu mais plusieurs. Et comme il avait sept tresses (ou sept chevelures, il faudrait vérifier la traduction) ce "plusieurs" serait en fait un conseil de sept membres qui dirigea la tribu de Dan au temps des Juges. Et c’est ainsi qu’en décryptant ce récit fantastique, nous pourrions retrouver la logique de l’Histoire... et l’intelligence des Anciens.
Dix-sept siècles après Samson, le Coran
La fixation par écrit de la révélation que reçut le Prophète a connu une histoire sur laquelle la lumière est loin d’être faite", reconnaît Alfred-Louis de Premare, de l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman (université de Provence, Aix-en-Provence).
Ce professeur précise toutefois que le mot "révélation" est impropre. Le véritable sens originel du mot arabe serait "ce qui descend"... comme la pluie. Pour ma part, je ne vois là que du "très normal". Nous sommes dans la continuation de la pensée judaïque depuis le moment où Moïse s’est interrogé autour du buisson ardent. De même, il est logique de penser qu’à chaque réunion du conseil musulman, les membres aient cherché à déterminer dans la confrontation des solutions et idées proposées la meilleure qui était "descendue" dans les esprits. C’est Omar qui avait la meilleure inspiration.
L’exégèse coranique n’en est qu’à son début. Est-il possible de retrouver le Coran original dans le texte actuel dont on sait qu’il a fait l’objet d’une reconstitution, d’un recollement, voire d’une réécriture ? Certains pensent que oui, d’autres, non.
La sourate XXXIII, "Les femmes de Mahomet et leurs maisons" que j’ai étudiée dans mon article du 22 janvier me semble avoir été écrite dans le feu de l’action et présente, à mes yeux, un caractère de bonne authenticité. En revanche, la décapitation de 800 Juifs qui aurait été ordonnée par le Prophète me semble une interprétation postérieure, justification un peu trop facile pour les exactions commises ou à venir de ses successeurs. Aucun texte extérieur à l’islam ne s’est fait l’écho d’un tel holocauste au temps de Mahomet.
Questions à M. Gerd-Rüdiger Puin, professeur à l’université de Saarland, spécialiste de la langue arabe du Coran. M. le professeur Alfred-Louis de Prémare, dont je connais un peu la pensée pour l’avoir lu, étant décédé.
Je ne suis pas un spécialiste des textes fondateurs musulmans. Je n’ai pas non plus l’intention de me plonger dans ces innombrables écrits difficiles à dater, certains très tardifs où tout se mêle, le meilleur comme le pire. Suivant l’exemple des textes bibliques où leurs auteurs ont sans cesse joué, en particulier, sur le sens équivoque des mots - cf. le professeur Claude Tresmontant, décédé - je m’interroge toutefois sur certains passages relatant la vie de Mahomet - la Sira - qui me semblent être des transpositions "poétiques" d’une réalité bien réelle mais beaucoup plus prosaïque et souvent guerrière.
Exemple, je cite Tabari (Mohammed, sceau des prophètes, éditions Sindbad) : Kab était un homme très considérable. Il habitait un château bien fortifié (page 182). Il dormait avec sa nouvelle épouse sur la terrasse (p. 183). Cadre bucolique d’une plantation de dattiers, senteurs printanières, visite amicale d’un envoyé de Mahomet, on croirait lire du Virgile. Non ! Tout cela est absolument surréaliste si l’on se satisfait d’une lecture "en surface". N’importe quel militaire ayant fait un séjour dans un pays arabe n’ignore pas que le maintien de l’ordre, la surveillance et la défense s’exercent du haut des terrasses. Cette épouse est, de toute évidence, une troupe qui veille aux remparts. Ce Kab en est le chef. Et pour que la relève puisse se faire, il faut que ce Kab soit "plusieurs".
Chef d’une des principales tribus juives qui s’opposaient à Mahomet, Kab était-il un nouveau Samson ? Voyez mon article du 21 février. Pourquoi le commando qu’envoya le Prophète pour l’éliminer était-il de sept hommes ? Sept hommes, c’est un peu court ; soixante-dix serait plus réaliste. Pourquoi Tabari insiste-t-il tellement sur sa longue chevelure qui lui tombait sur le cou (p. 184) ? Pourquoi le chef du commando, je cite, saisit fortement Kab par les cheveux et dit : "Chargez !" ? De même, Dalila, après avoir neutralisé Samson en lui coupant les cheveux, s’était écrié : "Les Philistins sur toi, Samson !".
M
ais si l’on veut en rester à une lecture littérale du texte, cela voudrait dire que les sentinelles de garde dormaient - ce qui est très étonnant de la part de Juifs combattants - qu’ils auraient laissé l’épouse donner l’alerte par ses cris, et même combattre puisqu’elle fut tuée par le commando ?
Transmis à : http://www.ftsr.umontreal.ca/faculte/profs/index.html
[email protected]
[email protected]
Texte de la réponse de M. Sartre à la question que je lui ai posée dans mon article du 21 février. Je le remercie d’avoir bien voulu entrer dans ce débat.
Monsieur
Je réponds un peu tard à votre message pour la bonne raison que je n’étais pas en France depuis une dizaine de jours.
Sachez que je n’ai ni mépris, ni dédain pour les chercheurs indépendants de l’Université ou des institutions officielles. Il peut y avoir du sérieux partout.
Je vous remercie pour les compliments que vous m’adressez. Permettez moi de rectifier une légère erreur : si les deux premiers titres que vous m’accordez sont exacts, en revanche je ne suis pas chercheur au CNRS (on ne peut être ne même temps à l’Université et au CNRS).
Si j’ai utilisé la Bible et cité certains passages, ce n’est pas que je la prenne pour autant au pied de la lettre comme vous semblez le croire. Je suis en réalité plutôt proche des positions de Finkelstein, que vous caricaturez. Il a sûrement raison sur le caractère légendaire de nombreuses traditions bibliques, mais cela ne signifie pas que l’historien ne puisse en faire son miel. Tout l’épisode de Samson et Dalila est probablement imaginaire, mais il est précieux pour comprendre la place de Gaza dans l’inconscient des Hébreux du milieu du Ier millénaire. Vos explications de l’épisode sont certes intéressantes, mais je crois que vous en faites une explication trop littérale, à certains égards. Mais vous me semblez avoir compris l’essentiel, l’histoire de Samson est une fable résumant bien les relations entre Hébreux et gens de la côte à un moment donné.
Cordialement
Maurice Sartre
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