Main de Dieu ou du diable ?
On a pu voir sa main.
Non pas aux coeur des étoiles.
Non pas sur un terrain de football.
Mais au sein des marchés.
Elle en a connu des vicissitudes, cette fameuse main, jamais observée, mais souvent supposée...
Adam Smith jette les bases d'une idée qui aura des fortunes diverses, dans la grande famille des libéraux souvent divisés. Comme il le dit dans un passage célèbre, cette main, dans son infinie sagesse régulatrice, est certes invisible, mais efficace, en reconnaissant la force positive de l'intérêt individuel et les vertus de la concurrence, débarrassée des contraintes de toutes sortes. Elle réalise l'harmonisation naturelle des intérêts.
« Ce n'est que dans la vue d'un profit qu'un homme emploie son capital. Il tâchera toujours d'employer son capital dans le genre d'activité dont le produit lui permettra d'espérer gagner le plus d'argent. (...) A la vérité, son intention en général n'est pas en cela de servir l'intérêt public, et il ne sait même pas jusqu'à quel point il peut être utile à la société. En préférant le succès de l'industrie nationale à celui de l'industrie étrangère, il ne pense qu'à se donner personnellement une plus grande sûreté ; et en dirigeant cette industrie de manière que son produit ait le plus de valeur possible, il ne pense qu'à son propre gain ; en cela, il est conduit par une main invisible, à remplir une fin qui n'entre nullement dans ses intentions ; et ce n'est pas toujours ce qu'il y a de plus mal pour la société, que cette fin n'entre pour rien dans ses intentions. Tout en ne cherchant que son intérêt personnel, il travaille souvent d'une manière bien plus efficace pour l'intérêt de la société, que s'il avait réellement pour but d'y travailler. »
Mais l'expression main invisible n'apparait qu'une fois dans son oeuvre, n'est pas encore l'objet d'un dogme, introduit plus de nuances qu'on ne le croit et n'est pas l'expression d'un laisser faire absolu : il postulait déjà que la sympathie était la valeur humaine centrale, et qu'il fallait donc organiser la société de façon à satisfaire cet élan naturel des êtres humains pour la sympathie, le soutien mutuel.
C'est l'époque où Mandeville écrit sa fameuse fable des abeilles, où, comme il le dit, les vices privés font les vertus publiques. Un ordre spontané naît des égoïstes et des intérêts contradictoires. La concurrence produit efficacité, équilibre et prospérité.
Marx, qui reconnaîtra sa dette à l'égard de Smith et de Ricardo concernant la théorie de la valeur, se démarque de cette croyance optimiste caractérisant le développement du capitalisme marchand et industriel, en montrant quels effets terribles produisent le développement anarchique des intérêts privés et la concurrence sauvage des premières formes de capitalisme.
Les néoclassiques reprendront l'idée de Smith en l'adaptant . Mais avec un dogme plus affirmé : le marché transcende les intérêts individuels et adapte spontanément les intérêts particuliers à ceux de l'ensemble.
Wikilibéral continue à répandre la bonne parole aux croyants de tous bords. Certes, il y a plusieurs écoles libérales dans la maison du Père, mais le dogme essentiel est toujours là : le laisser-faire voilà la vérité, comme disait von Mises. Faire confiance au marché comme on s'abandonne à la volonté divine. Contre toute intervention de l'Etat, du moins dans le domaine des affaires. ___On a vu ce que ça avait donné, de crises en crises...
Pour la pensée libérale-débridée des minarchistes US, inspirée par Ayn Rand, les pauvres et les précaires sont les seuls responsables de leur sort et ce que Ryan appelle collectivisme est juste une meilleure répartition de la richesse.
[On sait qu' aux USA, les 20 % des ménages les plus pauvres ne disposent que de 3,4 % de l’ensemble des revenus, mais les 5 % les plus aisés en perçoivent 21,2 %. A eux seuls, les 20 % les plus riches perçoivent près de la moitié du revenu national]
________Ayn Rand, égérie de Ryan, adorée par les conservateurs, même si elle ne voulait pas se dire exactement libertarienne, n'a eu de cesse de plaider la cause d'un individualisme assumé, critiquant les plans sociaux, ramenant la fonction étatique au minimum (l'état-gendarme) ne devant pas s'ingérer dans le domaine économique, sauf pour inciter les individus à réaliser leurs potentiels.
Ce minarchisme s'inspire de l'économiste libéral Frédéric Bastiat qui disait : « L'État, c'est la grande fiction à travers laquelle tout le monde s'efforce de vivre aux dépens de tout le monde » et de Friedrich Hayek qui dénonce l'empiètement croissant des structures étatiques sur les libertés individuelles qui aboutit à la consécration d'un régime paralysant et inefficace : l'État-providence.
La justice sociale n'est qu'un vain mot. L'homme étant naturellement rationnel (fameuse thèse de Mr Le Péripate), il saura la construire lui-même, sans pouvoir tutellaire, correctif ou incitatif. Ainsi en est-il..
"L'humaniste" Barbaroso a, semble-t-il bien compris la leçon, revue et corrigée, adepte de la mondialisation sans règle, où la finance s'est mise au service d'elle-même, faute de gens pour la contrôler. Elle a assujetti l'économie réelle de manière à ce que le bénéfice du capital va à elle plutôt qu'aux acteurs qui contribuent à sa valorisation.
C'est l'alpha et l'oméga : l'autoéquilibre des marchés, des divins Marchés, règlera tout en dernière instance et nous sortira même de la crise. Seul plus de libéralisme, moins de contrôle, nous sauveront : c'est le nouvel évangile des libéraux d'aujourd'hui..L'Etat est le problème (Reagan)
Sauf que, sauf que...François, l'Argentin locataire du Vatican, s’attaque à la tyrannie des marchés.
« Certains défendent encore les théories de la "rechute favorable", qui supposent que chaque croissance économique, favorisée par le libre marché, réussit à produire en soi une plus grande équité et inclusion sociale dans le monde. Cette opinion, qui n'a jamais été confirmée par les faits, exprime une confiance grossière et naïve dans la bonté de ceux qui détiennent le pouvoir économique et dans les mécanismes sacralisés du système économique dominant ».
Diable ! François serait-il marxiste ? Que nenni ! mais voilà un pavé dans l'eau bénite de l'antique doctrine sociale de l'Eglise, longtemps alignée sur les intérêts des puissants. Encore un effort, François, pour entrer dans les détails (là où se cache le diable) et pour peser sur les décideurs !.. Pourquoi pas un solennel discours à Bruxelles ? Accompagné par Correa , le Président équatorien catholique qui pourrait inspirer nos décideurs, notamment sur le problème de la dette.
François, libéral-conservateur, ne croit peut-être pas aux démons, mais on pourrait dire, métaphoriquement, que la main du diable semble aujourd'hui à l'oeuvre dans la tyrannie des marchés et des forces financières mondialisées et non (ou très marginalement) régulées :
" ..Notre économie mondialisée échappe aujourd’hui à presque tout contrôle politique. En cause notamment, les vastes mesures de dérégulation prises dans les années 1980 dans le contexte d’une véritable foi dans les capacités d’autorégulation du marché. L’absence d’influence politique est totalement disproportionnée par rapport à la répartition des risques : chacun doit supporter les coûts du sauvetage du système financier.." dit Joseph Vogl.
Diabolique ! l'économie financière marche sur la tête.
Les apprentis sorciers de la finance nous prépare sans doute toutes les conditions d'un nouveau krach.
Le jeu aveugle des mutinationales, le délire des grandes banques-casino d'affaires, la course au moins disant salarial...tout semble nous mener vers de nouvelles crises plus cruelles encore.
Dieu aurait-il les mains sales ?
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