Maintenant, je peux partir
De là où je vous écris je vois tout, tous ces massacres, toutes ces horreurs, tous ceux-là bien rassemblés qui s’arrangent à ôter les vies aussi facilement que l’on cueille une fleur mais avec la sauvagerie d’un hun en colère. Ah, Dieu s’ils savaient ! Si je ne pensais qu’à cela je ne serais pas trop triste de m’être envolé si haut. Le sort ne m’a pourtant pas été si favorable, et le chenu barbu m’a bien puni alors que je n’avais rien fait de mal. Et pourtant j’ai pris le chemin des étoiles l’âme légère et le cœur empli. Mes rêves étaient courts - pouvaient-ils en être autrement ? - mais ils étaient forts.
Voilà une courte histoire d’une courte vie douce amère, sucrée salée.
Je ne marchais pas depuis trois ans et commençais à parler, dois-je dire avec fierté, plutôt bien, que la foudre en blouse blanche est tombée sur les épaules de mes parents. Le destin, ou la maladie, avait décidé que mes pas ici sur la terre des Angles ne m’amèneraient jamais jusqu’à la majorité. Et il en manquerait un bon bout du chemin. Croyez-moi cela fait drôle. Est-ce que l’on s’y fait ? En tout cas je le sais et cela m’a aussi fait souffrir, ceux qui vous aiment, eux ne s’y font jamais. Ils ne le savent pas, mais combien de fois les ai-je entendu maudire la science et le ciel, combien de fois ai-je entendu des soupirs à me fendre le cœur, des soupirs qu’ils me cachaient. Il m’a fallu être fort pour dix. Finalement c’est peut-être plus facile comme cela.
Je n’ai aucune raison de cacher quoi que ce soit. A quatre ans j’étais condamné. Il y a des leucémies que la médecine réussi à noyer et détruire, la mienne devait être bien née, elle ne m’a accordé que quatre ans de répit, quatre ans qui ne furent pas si faciles. Mais c’est la vie. C’est la mort qui est ainsi.
Croyez-moi on mûrit vite lorsque l’on sait à l’avance que ce qui nous attend n’est pas très long, ne nous mène pas très loin. J’ai beau faire le courageux, mourir à huit ans cela paraît bien jeune. Et dites-moi, qu’a-t-on le temps de faire de quatre à huit, ce n’est pas un 5 à 7, si vous m’autorisez cette pirouette ? Il faut la remplir cette courte vie. Il y a les soins. Les soins. Et à quoi bon les soins ? Les espoirs, faux puisque la réalité les a détruits, les désespoirs, le sentiment de révolte et d’injustice. Y-a-t-il au bout, tout au bout, un peu de sagesse ? Beaucoup y croient, j’aimerais être à leur place.
Alors chaque seconde compte double, compte triple, compte quadruple. On voit tout, on entend tout, on se souvient de tout avec une acuité aiguisée à la meule du temps qui passe, et qui s’arrêtera. On le sait. Autour de soi il y a des gaietés qui n’en sont pas, mais il y en a qui vous prennent par surprise car le sang, même vérolée par le cancer, coule dans vos veines et vous avez besoin d’un peu de rire et de joie.
Et il y a aussi ce qu’aucun pragmatique ne comprendra jamais, le miracle qui est en nous, et plus fort et plus beau chez certains. Ce miracle, vous le connaissez, il vous fait battre le cœur plus vite, à un regard, un mot, une attente. Et si peu que je sois resté dans cette vallée de douleur et de larmes, j’ai eu cette chance magique d’aimer et d’être aimé. Il faut que je vous parle d’elle. Nous étions dans la même classe. Elle était, est, la plus belle. Que croyez-vous ? Le plus beau sourire qu’il m’ai été de voir. La plus belle mais aussi la plus douce et la plus intelligente. Et je sais de quoi je parle depuis que je suis ici à regarder assis sur mon nuage, les coudes sur les genoux. De mes rêves courts et denses, de tout mon petit cœur qui pulsait un liquide de mort dans tout mon corps, moi qui savais de la vie qu’elle a une fin mais aussi que plus tard, pour les autres, il y a ce qui unit un homme et une femme, cette cérémonie ridicule selon certains, inutile pour d’autres mais qui était tout ce qui me restait avant de mourir : un mariage que seule la mort pourrait dissoudre, ce qu’elle ne manquât pas de faire. Incongru ou stupide, je voulais épouser alors que je n’atteindrais jamais neuf ans, celle qui était l’amour de ma vie et que je ne pouvais aimer à en mourir, ce que j’aurais préféré.
Alors quelle ne fût pas ma joie quand elle accepta. La date fût fixé le 4 juillet dernier. Avec une robe blanche et des fleurs d’orangers dans les cheveux, une limousine et des bagues, nous nous sommes mariés. Ce fut le plus beau jour de ma vie et la veille du dernier. Elle le sait que de là où je suis je l’aime encore.
C’est le lendemain de ce jour que j’ai pris mon courage à deux mains et ai suivi le destin qu’un crabe aux pinces noires, mal intentionné, avait décidé de prendre à ma place. La veille, heureux comme jamais qui que ce soit ne pût l’être jamais j’ai pu confier à mes parents : « Maintenant, je peux partir. »
En hommage à ce petit anglais inconnu de moi mort à 8 ans le 5 juillet 2008 de leucémie.
Vignette : colombe de Picasso
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