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Accueil du site > Tribune Libre > Mais qu’est-ce donc que je suis ? Une chose qui pense. (...)

Mais qu’est-ce donc que je suis ? Une chose qui pense. Qu’est-ce qu’une chose qui pense ?

Écrit par le mathématicien, physicien et philosophe français René Descartes dans son ouvrage « Les Méditations Métaphysiques ». Pages 25 à 37. (1)

Texte :

Méditation Seconde

De la nature de l’esprit humain ; et qu’il est plus aisé à connaître que le corps.

 La Méditation que je fis hier m’a rempli l’esprit de tant de doutes, qu’il n’est plus désormais en ma puissance de les oublier. Et cependant je ne vois pas de quelle façon je les pourrai résoudre ; et comme si tout à coup j’étais tombé dans une eau très profonde, je suis tellement surpris, que je ne puis ni assurer mes pieds dans le fond, ni nager pour me soutenir au-dessus. Je m’efforcerai néanmoins, et suivrai derechef la même voie où j’étais entré hier, en m’éloignant de tout ce en quoi je pourrai imaginer le moindre doute, tout de même que si je connaissais que cela fût absolument faux ; et je continuerai toujours dans ce chemin, jusqu’à ce que j’aie rencontré quelque chose de certain, ou du moins, si je ne puis autre chose, jusqu’à ce que j’aie appris certainement, qu’il n’y a rien au monde de certain.

 Archimède, pour tirer le globe terrestre de sa place et le transporter en un autre lieu, ne demandait rien qu’un point qui fût fixe et assuré. Ainsi j’aurai droit de concevoir de hautes espérances, si je suis assez heureux pour trouver seulement une chose qui soit certaine et indubitable.

 Je suppose donc que toutes les choses que je vois sont fausses ; je me persuade que rien n’a jamais été de tout ce que ma mémoire remplie de mensonges me représente ; je pense n’avoir aucun sens ; je crois que le corps, la figure, l’étendue, le mouvement et le lieu ne sont que des fictions de mon esprit. Qu’est-ce donc qui pourra être estimé véritable ? Peut-être rien autre chose, sinon qu’il n’y a rien au monde de certain.

 Mais que sais-je s’il n’y a point quelque autre chose différente de celles que je viens de juger incertaines, de laquelle on ne puisse avoir le moindre doute ? N’y a-t-il point quelque Dieu, ou quelque autre puissance, qui me met en l’esprit ces pensées ? Cela n’est pas nécessaire ; car peut-être que je suis capable de les produire de moi- même. Moi donc à tout le moins ne suis-je pas quelque chose ? Mais j’ai déjà nié que j’eusse aucun sens ni aucun corps. J’hésite néanmoins, car que s’ensuit-il de là ? Suis-je tellement dépendant du corps et des sens, que je ne puisse être sans eux ? Mais je me suis persuadé qu’il n’y avait rien du tout dans le monde, qu’il n’y avait aucun ciel, aucune terre, aucuns esprit, ni aucun corps ; ne me suis-je donc pas aussi persuadé que je n’étais point ? Non certes, j’étais sans doute, si je me suis persuadé, ou seulement si j’ai pensé quelque chose. Mais il y a un je ne sais quel trompeur très puissant et très rusé, qui emploie toute son industrie à me tromper toujours. Il n’y a donc point de doute que je suis, s’il me trompe ; et qu’il me trompe tant qu’il voudra il ne saurait jamais faire que je ne sois rien, tant que je penserai être quelque chose. De sorte qu’après y avoir bien pensé, et avoir soigneusement examiné toutes choses, enfin il faut conclure, et tenir pour constant que cette proposition : Je suis, j’existe, est nécessairement vraie, toutes les fois que je la prononce, ou que je la conçois en mon esprit.

 Mais je ne connais pas encore assez clairement ce que je suis, moi qui suis certain que je suis ; de sorte que désormais il faut que je prenne soigneusement garde de ne rendre pas imprudemment quelque autre chose pour moi, et ainsi de ne point me méprendre dans cette connaissance, que je soutiens être plus certaine et plus évidente que toutes celles que j’ai eues auparavant.

 C’est pourquoi je considérerai derechef ce que je croyais être avant que j’entrasse dans ces dernières pensées ; et de mes anciennes opinions je retrancherai tout ce qui peut être combattu par les raisons que j’ai tantôt alléguées, en sorte qu’il ne demeure précisément rien que ce qui est entièrement indubitable. Qu’est-ce donc que j’ai cru être ci-devant ? Sans difficulté, j’ai pensé que j’étais un homme. Mais qu’est-ce qu’un homme ? Dirai-je que c’est un animal raisonnable ? Non certes : car il faudrait après par rechercher ce que c’est qu’animal, et ce que c’est que raisonnable, et ainsi d’une seule question nous tomberions insensiblement en une infinité d’autres plus difficiles et embarrassées, et je ne voudrais pas abuser du peu de temps et de loisir qui me reste, en l’employant à démêler de semblables subtilités. Mais je m’arrêterai plutôt à considérer ici les pensées qui naissaient ci-devant d’elles-mêmes en mon esprit, et qui ne m’étaient inspirées que de ma seule nature, lorsque je m’appliquais à la considération de mon être. Je me considérais, premièrement, comme ayant un visage, des mains, des bras, et toute cette machine composée d’os et de chair, telle qu’elle paraît en un cadavre, laquelle je désignais par le nom de corps. Je considérais, outre cela, que je me nourrissais, que je marchais, que je sentais et que je pensais, et je rapportais toutes ces actions à l’âme ; mais je ne m’arrêtais point à penser ce que c’était que cette âme, ou bien, si je m’y arrêtais, j’imaginais qu’elle était quelque chose extrêmement rare et subtile, comme un vent, une flamme ou un air très délié, qui était insinué et répandu dans mes plus grossières parties. Pour ce qui était du corps, je ne doutais nullement de sa nature ; car je pensais la connaître fort distinctement, et, si je l’eusse voulu expliquer suivant les notions que j’en avais, je l’eusse décrite en cette sorte. Par le corps, j’entends tout ce qui peut être terminé par quelque figure ; qui peut être compris en quelque lieu, et remplir un espace en telle sorte que tout autre corps en soit exclu ; qui peut être senti, ou par l’attouchement, ou par la vue, ou par l’ouïe, ou par le goût, ou par l’odorat ; qui peut être mû en plusieurs façons, non par lui-même, mais par quelque chose d’étranger duquel il soit touché et dont il reçoive l’impression. Car d’avoir en soi la puissance de se mouvoir, de sentir et de penser, je ne croyais aucunement que l’on dût attribuer ces avantages à la nature corporelle ; au contraire, je m’étonnais plutôt de voir que de semblables facultés se rencontraient en certains corps.

 Mais moi, qui suis-je, maintenant que je suppose qu’il y a quelqu’un qui est extrêmement puissant et, si je l’ose dire, malicieux et rusé, qui emploie toutes ses forces et toute son industrie à me tromper ? Puis-je m’assurer d’avoir la moindre de toutes les choses que j’ai attribuées ci-dessus à la nature corporelle ? Je m’arrête à y penser avec attention, je passe et repasse toutes ces choses en mon esprit, et je n’en rencontre aucune que je puisse dire être en moi. Il n’est pas besoin que je m’arrête à les dénombrer. Passons donc aux attributs de l’âme, et voyons s’il y en a quelques-uns qui soient en moi. Les premiers sont de me nourrir et de marcher ; mais s’il est vrai que je n’aie point de corps, il est vrai aussi que je ne puis marcher ni me nourrir. Un autre est de sentir ; mais on ne peut aussi sentir sans le corps : outre que j’ai pensé sentir autrefois plusieurs choses pendant le sommeil, que j’ai reconnu à mon réveil n’avoir point en effet senties. Un autre est de penser ; et je trouve ici que la pensée est un attribut qui m’appartient : elle seule ne peut être détachée de moi. Je suis, j’existe : cela est certain ; mais combien de temps ? A savoir, autant de temps que je pense ; car peut-être se pourrait-il faire, si je cessais de penser, que le cesserais en même temps d’être ou d’exister. Je n’admets maintenant rien qui ne soit nécessairement vrai : je ne suis donc, précisément parlant, qu’une chose qui pense, c’est-à-dire un esprit, un entendement ou une raison, qui sont des termes dont la signification m’était auparavant inconnue. Or je suis une chose vraie, et vraiment existante ; mais quelle chose ? Je l’ai dit : une chose qui pense. Et quoi davantage ? J’exciterai encore mon imagination, pour chercher si je ne suis point quelque chose de plus. Je ne suis point cet assemblage de membres, que l’on appelle le corps humain ; je ne suis point un air délié et pénétrant, répandu dans tous ces membres ; je ne suis point un vent, un souffle, une vapeur, ni rien de tout ce que je puis feindre et imaginer, puisque j’ai supposé que tout cela n’était rien, et que, sans changer cette supposition, je trouve que je ne laisse pas d’être certain que je suis quelque chose.

 Mais aussi peut-il arriver que ces mêmes choses, que je suppose n’être point, parce qu’elles me sont inconnues, ne sont point en effet différentes de moi, que je connais ? Je n’en sais rien ; je ne dispute pas maintenant de cela, je ne puis donner mon jugement que des choses qui me sont connues : j’ai reconnu que j’étais, et je cherche quel je suis, moi que j’ai reconnu être. Or il est très certain que cette notion et connaissance de moi-même, ainsi précisément prise, ne dépend point des choses dont l’existence ne m’est pas encore connue ; ni par conséquent, et à plus forte rai- son, d’aucunes de celles qui sont feintes et inventées par l’imagination. Et même ces termes de feindre et d’imaginer m’avertissent de mon erreur ; car je feindrais en effet, si j’imaginais être quelque chose, puisque imaginer n’est autre chose que contempler la figure ou l’image d’une chose corporelle. Or je sais déjà certainement que je suis, et que tout ensemble il se peut faire que toutes ces images-là, et généralement toutes les choses que l’on rapporte à la nature du corps, ne soient que des songes ou des chimères. En suite de quoi je vois clairement que j’aurais aussi peu de raison en disant : j’exciterai mon imagination pour connaître plus distinctement qui je suis, que si je disais : je suis maintenant éveillé, et j’aperçois quelque chose de réel et de véritable ; mais, parce que je ne l’aperçois pas encore assez nettement, je m’endormirai tout exprès, afin que mes songes me représentent cela même avec plus de vérité et d’évidence. Et ainsi, je reconnais certainement que rien de tout ce que je puis comprendre par le moyen de l’imagination, n’appartient à cette connaissance que j’ai de moi-même, et qu’il est be- soin de rappeler et détourner son esprit de cette façon de concevoir, afin qu’il puisse lui-même reconnaître bien distinctement sa nature.

 Mais qu’est-ce donc que je suis ? Une chose qui pense. Qu’est-ce qu’une chose qui pense ? C’est-à-dire une chose qui doute, qui conçoit, qui affirme, qui nie, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine aussi, et qui sent. Certes ce n’est pas peu si toutes ces choses appartiennent à ma nature. Mais pourquoi n’y appartiendraient-elles pas ? Ne suis-je pas encore ce même qui doute presque de tout, qui néanmoins entends et conçois certaines choses, qui assure et affirme celles- là seules être véritables, qui nie toutes les autres, qui veux et désire d’en connaître davantage, qui ne veux pas être trompé, qui imagine beaucoup de choses, même quelquefois en dépit que j’en aie, et qui en sens aussi beaucoup, comme par l’entremise des organes du corps ? Y a-t-il rien de tout cela qui ne soit aussi véritable qu’il est certain que je suis, et que j’existe, quand même je dormi- rais toujours, et que celui qui m’a donné l’être se servirait de toutes ses forces pour m’abuser ? Y a-t-il aussi aucun de ces attributs qui puisse être distingué de ma pensée, ou qu’on puisse dire être séparé de moi- même ? Car il est de soi si évident que c’est moi qui doute, qui entend, et qui désire, qu’il n’est pas ici besoin de rien ajouter pour l’expliquer. Et j’ai aussi certainement la puissance d’imaginer ; car encore qu’il puisse arriver (comme j’ai supposé auparavant) que les choses que j’imagine ne soient pas vraies, néanmoins cette puissance d’imaginer ne laisse pas d’être réellement en moi, et fait partie de ma pensée. Enfin je suis le même qui sens, c’est-à-dire qui reçois et connais les choses comme par les organes des sens, puisqu’en effet je vois la lumière, j’ouïs le bruit, je ressens la chaleur. Mais l’on me dira que ces apparences sont fausses et que je dors. Qu’il soit ainsi ; toutefois, à tout le moins il est très certain qu’il me semble que je vois, que j’ouïs, et que je m’échauffe ; et c’est proprement ce qui en moi s’appelle sentir, et cela, pris ainsi précisément, n’est rien autre chose que penser.

 D’où je commence à connaître quel je suis, avec un peu plus de lumière et de distinction que ci-devant.

 Mais je ne me puis empêcher de croire que les choses corporelles, dont les images se forment par ma pensée, et qui tombent sous le sens, ne soient plus distinctement connues que cette je ne sais quelle partie de moi-même qui ne tombe point sous l’imagination : quoiqu’en effet ce soit une chose bien étrange, que des choses que je trouve douteuses et éloignées, soient plus clairement et plus facile- ment connues de moi, que celles qui sont véritables et certaines, et qui appartiennent à ma propre nature. Mais je vois bien ce que c’est : mon esprit se plaît de s’égarer, et ne se peut encore contenir dans les justes bornes de la vérité. Relâchons-lui donc encore une fois la bride, afin que, venant ci- après à la retirer doucement et à propos, nous le puissions plus facilement régler et conduire.

 Commençons par la considération des choses les plus communes, et que nous croyons comprendre le plus distinctement, à savoir les corps que nous touchons et que nous voyons. Je n’entends pas parler des corps en général, car ces notions générales sont d’ordinaire plus confuses, mais de quelqu’un en particulier. Prenons pour exemple ce morceau de cire qui vient d’être tiré de la ruche : il n’a pas encore perdu la douceur du miel qu’il contenait, il retient encore quelque chose de l’odeur des fleurs dont il a été recueilli ; sa couleur, sa figure, sa grandeur, sont apparentes ; il est dur, il est froid, on le touche, et si vous le frappez, il rendra quelque son. Enfin toutes les choses qui peuvent distinctement faire connaître un corps, se rencontrent en celui-ci.

 Mais voici que, cependant que je parle, on l’approche du feu : ce qui y restait de saveur s’exhale, l’odeur s’évanouit, sa couleur se change, sa figure se perd, sa grandeur augmente, il devient liquide, il s’échauffe, à peine le peut-on toucher, et quoiqu’on le frappe, il ne rendra plus aucun son. La même cire demeure-t-elle après ce changement ? Il faut avouer qu’elle demeure ; et personne ne le peut nier. Qu’est-ce donc que l’on connaissait en ce morceau de cire avec tant de distinction ? Certes ce ne peut être rien de tout ce que j’y ai remarqué par l’entremise des sens, puisque toutes les choses qui tombaient sous le goût, ou l’odorat, ou la vue, ou l’attouchement, ou l’ouïe, se trouvent changées, et cependant la même cire demeure. Peut-être était-ce ce que je pense maintenant, à savoir que la cire n’était pas ni cette douceur du miel, ni cette agréable odeur des fleurs, ni cette blancheur, ni cette figure, ni ce son, mais seulement un corps qui un peu auparavant me paraissait sous ces formes, et qui maintenant se fait remarquer sous d’autres. Mais qu’est-ce, précisément parlant, que j’imagine, lorsque je la conçois en cette sorte ?

 Considérons-le attentivement, et éloignant toutes les choses qui n’appartiennent point à la cire, voyons ce qui reste. Certes il ne demeure rien que quelque chose d’étendu, de flexible et de muable. Or qu’est- ce que cela : flexible et muable ? N’est-ce pas que j’imagine que cette cire étant ronde est capable de devenir carrée, et de passer du carré en une figure triangulaire ? Non certes, ce n’est pas cela, puisque je la conçois capable de recevoir une infinité de semblables changements, et je ne saurais néanmoins parcourir cette infinité par mon imagination, et par conséquent cette conception que j’ai de la cire ne s’accomplit pas par la faculté d’imaginer.

 Qu’est-ce maintenant que cette extension ? N’est-elle pas aussi inconnue, puisque dans la cire qui se fond elle augmente, et se trouve encore plus grande quand elle est entièrement fondue, et beaucoup plus encore quand la chaleur augmente davantage ? Et je ne concevrais pas clairement et selon la vérité ce que c’est que la cire, si je ne pensais qu’elle est capable de recevoir plus de variétés selon l’extension, que je n’en ai jamais imaginé. Il faut donc que je tombe d’accord, que je ne saurais pas même concevoir par l’imagination ce que c’est que cette cire, et qu’il n’y a que mon entendement seul qui le conçoive, je dis ce morceau de cire en particulier, car pour la cire en général, il est encore plus évident. Or quelle est cette cire, qui ne peut être conçue que par l’entendement ou l’esprit ? Certes c’est la même que je vois, que je touche, que j’imagine, et la même que je connaissais dès le commencement. Mais ce qui est à remarquer sa perception, ou bien l’action par laquelle on l’aperçoit, n’est point une vision, ni un attouchement, ni une imagination, et ne l’a jamais été, quoiqu’il le semblât ainsi auparavant, mais seulement une inspection de l’esprit, laquelle peut être imparfaite et confuse, comme elle était auparavant, ou bien claire et distincte, comme elle est à présent, selon que mon attention se porte plus ou moins aux choses qui sont en elle, et dont elle est composée.

 Cependant je ne me saurais trop étonner quand je considère combien mon esprit a de faiblesse, et de pente qui le porte insensiblement dans l’erreur. Car encore que sans parler je considère tout cela en moi-même, les paroles toutefois m’arrêtent, et je suis presque trompé par les termes du langage ordinaire ; car nous disons que nous voyons la même cire, si on nous la présente, et non pas que nous jugeons que c’est la même, de ce qu’elle a même couleur et même figure : d’où je voudrais presque conclure, que l’on connaît la cire par la vision des yeux, et non par la seule inspection de l’esprit, si par hasard je ne regardais d’une fenêtre des hommes qui passent dans la rue, à la vue desquels je ne manque pas de dire que je vois des hommes, tout de même que je dis que je vois de la cire ; et cependant que vois-je de cette fenêtre, sinon des chapeaux et des manteaux, qui peuvent couvrir des spectres ou des hommes feints qui ne se remuent que par ressorts ? Mais je juge que ce sont de vrais hommes, et ainsi je comprends, par la seule puissance de juger qui réside en mon esprit, ce que je croyais voir de mes yeux.

 Un homme qui tâche d’élever sa connaissance au-delà du commun, doit avoir honte de tirer des occasions de douter des formes et des termes de parler du vulgaire ; j’aime mieux passer outre, et considérer, si je concevais avec plus d’évidence et de perfection ce qu’était la cire, lorsque je l’ai d’abord aperçue, et que j’ai cru la connaître par le moyen des sens extérieurs, ou à tout le moins du sens commun, ainsi qu’ils appellent, c’est-à-dire de la puissance imaginative, que je ne la conçois à présent, après avoir plus exactement examiné ce qu’elle est, et de quelle façon elle peut être connue. Certes il serait ridicule de mettre cela en doute. Car, qu’y avait-il dans cette première perception qui fût distinct et évident, et qui ne pourrait pas tomber en même sorte dans le sens du moindre des animaux ? Mais quand je distingue la cire d’avec ses formes extérieures, et que, tout de même que si je lui avais ôté ses vêtements, je la considère toute nue, certes, quoiqu’il se puisse encore rencontrer quelque erreur dans mon jugement, je ne la puis concevoir de cette sorte sans un esprit humain.

 Mais enfin que dirai-je de cet esprit, c’est- à-dire de moi-même ? Car jusqu’ici je n’admets en moi autre chose qu’un esprit. Que prononcerais-je, dis-je, de moi qui semble concevoir avec tant de netteté et de distinction ce morceau de cire ? Ne me connais-je pas moi-même, non seulement avec bien plus de vérité et de certitude, mais encore avec beaucoup plus de distinction et de netteté ? Car si je juge que la cire est, ou existe, de ce que je la vois, certes il suit bien plus évidemment que je suis, ou que j’existe moi-même, de ce que je la vois. Car il se peut faire que ce que je vois ne soit pas en effet de la cire ; il peut aussi arriver que je n’aie pas même des yeux pour voir aucune chose ; mais il ne se peut pas faire que lorsque je vois, ou (ce que je ne distingue plus) lorsque Je pense voir, que moi qui pense ne soit quelque chose. De même, si je juge que la cire existe, de ce que je la touche, il s’ensuivra encore la même chose, à savoir que je suis ; et si je le juge de ce que mon imagination me le persuade, ou de quelque autre cause que ce soit, je conclurai toujours la même chose. Et ce que j’ai remarqué ici de la cire, se peut appliquer à toutes les autres choses qui me sont extérieures, et qui se rencontrent hors de moi.

 Or si la notion ou la connaissance de la cire semble être plus nette et plus distincte, après qu’elle a été découverte non seulement par la vue ou par l’attouchement, mais encore par beaucoup d’autres causes, avec combien plus d’évidence, de distinction et de netteté, me dois-je connaître moi-même, puisque toutes les raisons qui servent à connaître et concevoir la nature de la cire, ou de quelque autre corps, prouvent beaucoup plus facilement et plus évidemment la nature de mon esprit ? Et il se rencontre encore tant d’autres choses en l’esprit même, qui peuvent contribuer à l’éclaircissement de sa nature, que celles qui dépendent du corps, comme celles- ci, ne méritent quasi pas d’être nombrées.

 Mais enfin me voici insensiblement revenu où je voulais ; car, puisque c’est une chose qui m’est à présent connue, qu’à proprement parler nous ne concevons les corps que par la faculté d’entendre qui est en nous et non point par l’imagination ni par les sens, et que nous ne les connaissons pas de ce que nous les voyons, ou que nous les touchons, mais seulement de ce que nous les concevons par la pensée, je connais évidemment qu’il n’y a rien qui me soit plus facile à connaître que mon esprit. Mais, parce qu’il est presque impossible de se défaire si promptement d’une ancienne opinion il sera bon que je m’arrête un peu en cet endroit, afin que, par la longueur de ma méditation, j’imprime plus profondément en ma mémoire cette nouvelle connaissance.

 

Medjdoub Hamed
Chercheur

 

Note :

René Descartes, Méditations métaphysiques, 1641
http://palimpsestes.fr/textes_philo/descartes_textes/descartes_meditations.pdf


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7 réactions à cet article    


  • Julian Dalrimple-sikes Julian Dalrimple-sikes 22 janvier 07:12

    Salut, comme nous il en a oublié de vivre ne sachant pas ce que c’est !!

    ..se contentant comme nous de survivre , une survie que nous voulons à jamais, ce qui est impossible en tant que « moi je »

    d’où notre démence et cet enfer humain.

    LA pensée analytique outil programmé et limité de mise en route de la survie physique n’a pas dans sa besace l’accès à la profondeur de la vie..

    c’est fait exprès.

    Si cela était le cas , l’intégralité de la matière tot ou tard serait détruite..

    Bien sur on peut en voir le cheminement en soi, à faire seul car personne ne peut manger pour une autre personne...

    enfin etc


    • Julian Dalrimple-sikes Julian Dalrimple-sikes 22 janvier 08:16

      @Julian Dalrimple-sikes

      quelque chose, une capacité innée dont « je » ne suis en rien le créateur étant une créature, mais dont « je »est responsable de son utilisation, quelque chose analyse, tout en moi /pas moi avec comme base un programme qui ne sait pas qu’il est un programme et se prends pour disons un humain complet, avec comme base aussi des désirs inconnus, donc des peurs, de l’ anxiété ,de l’ insécurité de demain, car demain n’existe pas, n’existera jamais, hier n’est plus, c’est toujours aujourd’hui le moment appelé présent qui est insaisissable..
      cette capacité analytique programmée et limitée à ce qui est pratique a donc un programme dont elle ignore (quasiment ) l’intégralité sauf en surface des choses pour entre autre manipuler et utiliser tout dont les humains pour MOA..
      MOA a comme référence MOA, ne le sait pas, ne le voit pas.
      LE pire pour MOA est cette insécurité ressentie qui est une souffrance terrible.
      la souffrance comme la peur sont des envols impossibles de ce qui est , du réel..
      nous avons perdus de vue que c’est un dialogue indirect en temps réel entre La Création et la créature, entre quelque chose x qui sait tout sur tout et la créature..
      ce dialogue est un guide, LE GUIDE pour nos vies, enfin pseudo vies depuis des lustres..
      la base en est que il y a un chemin ou la vie est.
      L’humain est son génie galactique ne peut pas choisir le chemin, pas de libre arbitre du tout pour le choix du Chemin.
      Pour x raisons je peux ne par marcher dessus par refus perçu ou pas.
      Dès que je ne suis plus sur le chemin quelque chose x nous en informe, au début par un léger souffle léger certes mais gênant..
      Bien sur nous ne savons plus cela, alors le volume de la gene augmente, écoute moi donc !! et devient souffrance
      Mais MOA n’écoute pas, ne sait pas cela.
      MOA essaye de fuir, de se fuir = mouvement de suicide non perçu..
      car MOA = souffrance..plus de souffrance si je supprime le corps..
      en ce moment une suicide planétaire se prepare..
      Alors oui ce guide disons indirect, dialogue avec nous par des sortes de sensations désagréable, genre erreur, sensation désagréable qui dit erreur, fait gaffe..
      que faire avec ça ?
      La pensée analytique ne peut rien faire, car son unique domaine est le domaine pratique de la vie, elle ne le sait pas et va essayer..d’agir sur un probleme à résoudre dont elle ignore totalement la source et dont elle ne sait rien..
      nous sommes coincés là depuis des millénaires...
      depuis que la pensée analytique ayant pris le contrôle total de la psyché-cerveau a détruit nos autres capacités innées mais qui ne sont pas analytique et font autre chose que d’analyser, donc pas de moi je suis le centre du monde, ce que chacun est à ses yeux..ma référence étant MOA, ma mémoire, min programme inconnu, mes désirs et peurs inconnues etc
      il s’agit d’un glitch dans la matrice de la pensée..qui envahie des domaines où elle ne doit pas aller..
      étant un outil donc un moyen tout comme la science , mot hypnotique comme démocratie et autres, effet de la pensée analytique qui divise tout en deux pour analyser et créer un analyseur qui sait, nous n’y sommes pour rien bien sur en tant que « je »,, la science comme MOA, elle se prends pour le sens...l’absolu sachant etc
      c’est de cette connaissance qui va détruire si....bla bla bla ( trop long) .dont parle Adam et Eve,texte hermétique fabuleux que la pensée analytique ne va pas saisir...
      mais le moyen ne peut devenir le sens malgré son désir absolu.
      Dans nos non vies le sens n’est plus , reste le moyen de survie pratique qui assume alors le role de sens..
      Ce moyen étant apte uniquement à ce qui est pratique, faire des outil, trouver des méthodes, faire des machines etc va alors voir tout en pratique uniquement...mais ce ne sera pas dans un présent insaisissable à jamais sauf de manière mécanique machine donc sans aucun conscience profonde, la pensée analyse sa mémoire donc le passé pour envisager le futur
      que trouve t’elle dans le futur ?
      MA MORT...
      n’ayant aucun aptitude pour ce sujet ,insistant pour essayer d’en faire quelque chose qui comme ma maison me convienne MOA va alors essayer de changer cet absolu..naître = mourir..
      or MOA ne doit rien faire avec ça, juste le voir et ne pas agir ni désirer quoique ce soit..
      je est vaincu par ce fait absolu, mais si je le refuse...alors le désastre humain vient de commencer..
      des milliers d’années après nous n’avons pas bougé de cette position..
      Tout cela logiquement vu la capacité-programme de la pensée analytique donne un monde de machines, de contraintes pour les autres si MOA j’ai le pouvoir car « je » perçois les autres comme des choses à jeter ou à utiliser.
      On a donc un monde qui analyse avec MOA comme centre, environ 8 milliards de MOA donc,
      tous séparés , sauf sauf sauf , par appât du gain qui rassemble mais pourquoi ? parce que coopérer dans ce cas pour le mire est absolument supérieur à notre compétition entre tous qui élimine..
      Le veau D’or c’est ça sauf que ça ne dit pas que c’est un effet..Dernier point je n’en suis pas certain, mais il m’apparut par deux fois que le processus de la souffrance comme guide, si il est ignoré, le cas bien sur depuis des millénaires sauf exceptions, contient un compte à rebours pour mettre fin à nos souffrances..
      Diem perdidi.......


    • Hamed 22 janvier 12:21

      @Julian Dalrimple-sikes

      Soyez positif si vous voulez comprendre la vie et être en paix avec vous-même.


    • Étirév 22 janvier 08:11

      Peut-être un début de réponse :
      Si Platon a dit que la pensée est le discours que l’esprit se tient à lui-même, cela vient de l’habitude que nous acquérons en naissant de parler notre pensée, habitude devenue tellement forte en nous que nous ne pouvons pas concevoir la pensée imparlée et, dès qu’une pensée se forme dans notre cerveau, elle se présente tout de suite à notre entendement sous la forme de mots. Si intérieurement nous parlons notre pensée, c’est tout simplement parce que nous avons appris à parler en même temps qu’à penser.
      Lorsque Descartes voulut faire table rase dans son entendement, la première phrase qu’il aurait dû dire, pour reconstruire l’édifice de ses croyances, au lieu d’être son fameux : « Je pense, donc je suis », aurait dû être : « Je parle, donc je pense », car cette phrase qu’il prononçait mentalement, il la prenait dans sa connaissance qu’il avait du langage dont il avait oublié de se défaire comme de ses autres connaissances.
      (…)
      On a dit du « mystère des nombres » qu’il renferme les moyens d’opération des forces secrètes de la Nature, et que d’abord l’ellipse, la parabole et l’hyperbole trouvent leur synthèse dans l’ovoïde, en forme d’œuf. Tout le monde sait que l’œuf était un symbole sacré dans tous les Mystères de l’antiquité, parce qu’il représente l’action maternelle, donc le commencement de la vie, la virtualité, l’existence potentielle, le commencement de toute échelle numérique. Il est représenté dans les chiffres par le zéro, qui, dans l’ancien système de numération des Chaldéens, commençait les nombres.
      Deux idées sont à dégager de ce symbolisme. L’œuf, qui vient de la Mère, commence toute vie. En même temps, par l’ascension de l’esprit qu’il opère, il crée dans son cerveau l’immutabilité, qualité de l’unité.
      C’est pour indiquer cela que le zéro ne peut pas admettre la faculté d’addition, il est la cime et la couronne. Il n’est susceptible ni de doute ni d’incertitude, tandis que la qualité masculine peut former l’eidolon (idole, en grec), la duplicité ou l’image (l’imagination).
      (Le zéro est un cercle sans centre : en hébreu, Kether, « la Couronne ». Le nom divin de Kether est « Eheieh » : « Je suis », c’est-à-dire le principe de l’existence même. C’est le caché des cachés. Comme symbole, c’est le cercle placé au-dessus de la tête pour représenter la lumière de l’esprit qui monte, cercle lumineux, dont on fera la couronne des saintes. On mettait ce symbolisme en opposition avec la double nature du sexe masculin qui fait descendre son esprit, c’est-à-dire son principe de vie)
      À l’Ecole Pythagoricienne, on enseignait l’unité de la nature féminine, dont le principe de vie ne se divise jamais : c’était le nombre 1. Et la dualité de la nature masculine dont le principe de vie se divise en deux parties : l’une pour être conservée et l’autre pour être donnée à la génération : d’où le nombre 2. L’unité féminine était appelée la « Monade », parce que la femme est l’être indivisé, d’où le mot « individu ». La dualité masculine était la « dyade ». En latin, on disait « homo duplex » pour désigner la contrariété du cœur et de la raison, la duplicité (le double), suprême mystère de l’existence de l’homme.
      Dans le « Yi King » (2ème Livre sacré des Chinois qui ne contient que des lignes) le 1 est exprimé par une ligne entière — (Yang) et le 2 par une ligne brisée ‒ ‒ (Yn). Ces lignes sont une représentation symbolique des deux principes de la philosophie chinoise : l’un masculin et ténébreux, le « Yin », l’autre féminin et lumineux, le « Yang ». Inutile de dire que ce symbolisme a été inversé. Souvent le Yin est placé sur une bande obscure, le Yang sur une bande claire. Ces deux principes, base de tout ce qui est social, se retrouvent partout chez les Chinois. Le principe masculin est divisé, ce sont les deux vies de l’homme (spirituelle et sexuelle) ; le principe féminin est indivis.
      NB : Qu’est-ce que le doute ?
      Avant d’en arriver à l’erreur et au mensonge, l’homme passe par le doute.
      C’est dans l’adolescence que le doute apparaît. Dans l’enfance il n’existe pas ; l’enfant a une crédulité robuste. Quand la sexualité s’impose il commence à douter de lui-même, il est pris de timidité, craignant de commettre une faute il hésite avant d’agir, ne sachant plus ce qu’il faut faire il regarde les autres pour les imiter ; il n’a plus d’esprit d’initiative.
      Cet état peut durer toute la vie, s’accentuer même dans l’âge adulte. Que d’hommes qui n’osent se décider, qui pèsent longtemps le pour et le contre des choses et, finalement, ne prennent un parti que poussés par l’exemple des autres ; un rien les influence, un mot entendu détermine leur opinion, fait leur jugement ; ils croient ce que les plus audacieux veulent leur faire croire, il suffît pour les entraîner de leur montrer un prétendu avantage immédiat, alors que, derrière cette surface, se trouve un véritable désavantage. Les hommes, pris en masse, s’emballent pour ou contre une idée avec la même facilité, puis mettent à défendre ce qu’ils ont adopté un entêtement d’autant plus grand que l’idée est plus fausse. Ils ne veulent pas avoir l’air de s’être trompés, l’entêtement simule la conviction, et c’est ainsi que toutes les grandes erreurs se sont imposées.
      Le scepticisme est le refus de croire. On en a fait une école philosophique, et on trouve encore des hommes qui se vantent de leur scepticisme sans se douter de la signification de cette affirmation.
      LIEN


      • Gollum Gollum 22 janvier 09:08

        @Étirév


        Inutile de dire que ce symbolisme a été inversé.


        Oui, par vous, sur ce post à l’instant même.


      • Hamed 22 janvier 12:28

        @Étirév

        Intéressant. Le problème est que la nature humaine est constitué ainsi. Il faut des sceptiques, des idéalistes, des matérialistes, etc. C’est comme il existe des blancs, des noirs, des bronzés, etc. De même comme il existe le mal, le bien, le néant, le tout, etc. 

        Ce sont ces contradictions qui donnent sens à la vie, que l’on discute entre soi de tous et si de soi. S’il n’y avait pas de sceptiques, votre pensée serait appauvrie et vous n’aurez pas à en discuter dans votre commentaire.



      • Hamed 22 janvier 12:44

        @Gollum

        C’est vrai ce que vous dîtes pour Étirev, mais ce qu’il développe est intéressant ; une approche de voir la vie.

        Et quand vous dites : "Inutile de dire que ce symbolisme a été inversé.

        Oui, par vous, sur ce post à l’instant même.« 

        Vous ne savez pas que vous confirmez ce qu’il dit. »Bien sûr que c’est par lui, par sa pensée." Et c’est le plus important. Comme vous le faîtes aussi.

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