Maître Metzner, du mal à la mer
Il y a quelque chose qui relève de la tragédie antique dans cette image du corps flottant de « l’avocat des truands » retrouvé mort sur les rivages de son île, où il aimait se retirer seul, au faîte de sa gloire. Suicide, nous dit-on, sans autre explication. Le mot a sans doute pour vocation de nous arrêter net dans nos velléités d’investigations. Code indéchiffrable du cadenas de la boite de pandore recouverte immédiatement d’éloges unanimes et obligés des confrères, fussent-ils autrefois des ennemis jurés, et d’une presse hypocrite qui assiste aux obsèques en baissant la tête.

Ainsi tout le monde récite à l’unisson les louanges de cet homme de loi hors pair qui avouait s’être engagé dans la profession pour défendre la veuve et l'orphelin et racontait volontiers l’histoire d’un berger analphabète accusé de viol et condamné à mort sans avoir pu être entendu, mais a fait carrière en sauvant la mise à des puissants malfaiteurs. Il n’est pas raisonnable de chercher les raisons du suicide des grands de ce monde. Seul les petits se suicident sous le poids de leurs misère ou de leurs péchés. Trouver des raisons au suicide du grand professionnel Me Metzner c’est en quelque sorte remettre en cause l’ordre et les valeurs fondamentales de notre société. Si le succès professionnel peut laisser de la place au mal être et conduire au suicide, n’est-ce pas que cette valeur est sujette à caution ? Dans une société qui admet difficilement que des considérations morales puisse freiner le succès d’une carrière professionnelle, qui envisage de moins en moins que le bien et le mal aient une quelconque espèce d’ « existence », comment imaginer, comment laisser entendre que Me Metzner puisse avoir été saisi d’un dégoût de soi après avoir défendu tant de mauvaises causes ? Si nous le prétendions, nous serions jetés au bûcher, nous moralistes de la pire espèce. Jetés aux bûchers, comme les hérétiques d’autrefois, sans même avoir été soumis à la question par les inquisiteurs de l’ordre nouveau, ceux qui laissent faire, ceux qui se sont compromis activement en tirant profit du mal, les complices et les acteurs du grand relativisme moral. Et pourtant… Porté aux nues par une société qui n’a de considération que pour le succès, aussi prompte à rendre hommage à l’avocat pour ses performances exceptionnelles, que peu intéressé de juger de la moralité de la mission pour laquelle il a vendu son âme toute entière, se bornant à relever la notoriété de ses clients, qui semble seule avoir de l’importance — fussent-ils des bourreaux comme Noriega —, Monsieur Metzner a peut être été victime de lui même, comme le souligne justement son partenaire de longue date, mais aussi des valeurs de la société qu’il l’on fait devenir cet autre lui-même, Me Metzner, et croire en ce à quoi il n’a peut-être pas totalement cru jusqu’au bout, à savoir que le bien et le mal n’existaient pas, comme il le répétait, pour finir par se jeter nihiliste dans la mer, tel un oedipe qui après avoir résolu l’énigme du sphinx, après avoir tué son père et couché avec sa mère, n’a trouvé d’autre punition que celle de se crever les yeux.
Nombreux sont les puissants à rendre hommage à l’énigmatique Maître Metzner ; nombreux sont ceux qui relèvent le mystère qui entoure son existence, mais peu semblent enclins à percer le secret de sa mort. Le suicide d’un grand professionnel est tabou. Mais tandis que la presse, récite d’une seule voix la même litanie, les mêmes communiqués vides et sur mesure, dans une ambiance orwellienne, des informations affleurent sur les réseaux sociaux, émanations plus humaines, radeau de sauvetage vide retrouvé en mer après le naufrage, contenant des indices de ce qui pourrait avoir fait sombrer cette existence dans le désespoir, indices que nous avons intérêt à rentre public, non par voyeurisme, mais par ce qu’ils recèlent d’emblématique, et aussi peut-être en mémoire de la victime de Maître Metzner, Monsieur Metzner lui même, qui n’a jamais su sans doute trouver d’avocat à la hauteur pour se défendre de l’avocat brillant qu’il était, et qui devait bien souvent se faire procureur.
Voici donc quelques lignes publiées sur facebook et relatant cet autre Me Metzner beaucoup plus subversif que celui que l’on nous vend dans les médias, parce que l’héroïsme en ces temps trouble n’est pas de devenir le meilleur des professionnels, mais de rester un homme.
« J’étais avec mon copain Philippe Harel. On tournait « journal intime des affaires en cours ». C’était en 1997. On était dans le bureau de Maître Olivier Metzner qui avait pris la défense des patrons mis en examen dans les affaires de corruption. Il avait rédigé un contre-appel de Genève. Il était déjà l’avocat le mieux payé de Paris. Homo, fumeur de cigares, amoureux de la Bretagne et de Boedic (déjà), l’esprit aussi acéré que la lame d’un couteau de marin. On parlait. La caméra tournait. Je lui disais que c’était sans doute usant de défendre des causes aussi indéfendables que les siennes. On parlait du bien et du mal. Il me disait que le « bien » n’existait pas. Je lui répondais que ce devait être parfois dur de rentrer le soir chez lui après ses journées de travail à répéter des choses auxquelles il ne croyait pas. J’étais dans la défenses d’un idéal. Il était dans le pragmatisme et la perte des illusions. Tout roulait. Chacun était dans son rôle. C’était une très bonne interview. Et puis sans prévenir, une larme à coulé. Puis deux, puis un flot de larmes. Il a demandé de couper la caméra. Il pleurait comme un bébé, en s’excusant. Il nous a alors expliqué qu’il avait raté sa vie. Son vrai bonheur eut été d’être marin et de partir en mer. Le boulot d’avocat le minait. C’est exactement ce qu’Olivier Metzner nous a dit. J’étais abasourdi par ce moment de vérité. Quelques semaines plus tard, il me demandait de ne jamais faire état, ni de diffuser ce passage. J’ai évidemment respecté ce souhait. Ce moment si particulier est resté gravé entre nous. On s’en est souvenu pendant le procès Clearstream où il défendait (en s’ennuyant comme un rat mort) Villepin. Et je lis ce matin qu’Olivier s’est suicidé. Ça me tue, mais ça ne m’étonne pas. » (Denis Robert)
Jean Opalinski
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