Mes premiers « maîtres ».
Dans mon enfance quand je fréquentais l’école primaire du petit village qui m’a vu naître, on appelait « maître » l’instituteur et « maitresse » l’institutrice. Pendant toute ma période primaire j’ai eu la même institutrice que nous appelions « maitresse ». Il faut voir dans ce terme une connotation à la fois affectueuse et respectueuse. La maitresse était comme une deuxième mère. Elle était intégrée et acceptée complètement par tout le village, les gens savaient qu’elle était là pour nous transmettre un savoir, un enseignement qui nous permettrait ensuite d’affronter les problèmes de la vie. De cela, nous enfants, n’étions pas conscients, mais nous éprouvions à la fois du respect et de l’affection envers notre « maitresse », même si nous préférions les jeux à l’école ! Je garde en moi encore ce respect et cette affection… Ensuite au lycée il n’y’avait plus de maitresse, mais des professeurs, plus de relations affectives mais la froideur, la distance et des rapports autoritaires !
Les « faux maîtres ».
De nos jours en occident, surtout dans les pays francophones, il existe une grande méfiance envers le mot de « maître », et même un rejet de celui-ci, surtout quand on l’associe aux mots « religion », « spiritualité »… Cela provient des problèmes graves provoqués par certains groupes, dénommés « sectes » et qui ont été hyper médiatisés. Ces groupes étaient dirigés par des personnes qui manipulaient mentalement leurs disciples afin de les dominer et les maintenir sous leur contrôle, ou détourner leurs biens à leurs profit et quelque fois cela allant jusqu’au suicide collectif… Le mot « secte » lui-même a pris un sens fortement péjoratif contrairement à son vrai sens : qui désigne simplement un groupe de personnes qui se détache d’une institution religieuse pour des raisons de désaccord doctrinal (Secte vient du latin « seca » qui signifie suivre une voie, une cause, une religion, « seca » venant du verbe « sequi » qui a le sens de suivre…). On associe souvent le mot « maître » à celui de « gourou » qui a pris, surtout en France un sens fortement péjoratif et désigne le chef d’une de ces « sectes » que je viens d’évoquer. Or gourou (que l’on devrait écrire « guru » est un mot de la langue hindi dérivée du sanskrit dont le sens littéral est : « celui qui dissipe les ténèbres ») signifie simplement l’enseignant, le précepteur. En Inde actuellement un guru est un enseignant dans les établissements scolaires. On a donc fortement détourné le sens de ces mots comme beaucoup d’autres mots, les raisons de ces détournements sont souvent idéologiques et manipulateurs, mais ça c’est un autre problème !
Nos « maîtres actuels ».
Mais dans notre monde dit moderne ce ne sont pas ces chefs de « sectes » qui sont les plus dangereux, car finalement ils ne dominent que quelques centaines de personnes, voire quelques milliers. Non, les « maîtres » les plus dangereux ce sont ceux qui dominent, manipulent, exploitent, lobotomisent, assujettissent les milliards d’êtres humains, dont nous sommes. Ce sont ces « élites » qui ont tout pouvoir dans les Etats et dans le monde, qui imposent une culture unique à l’aide d’un réseau extrêmement efficace qui étend ses tentacules sur toute la planète, et qui va du système d’éducation aux médias avec toutes ses structures sociales, économiques et politiques. Et cette culture imposée envahit les aspects les plus intimes de notre vie et nous transforme en « producteurs/consommateurs » qui n’a plus d’autres horizons que le supermarché, la télévision, le dernier gadget électronique, le dernier 4/4 bourré d’électronique et si je suis bien sage, bien soumis au système, je gagnerai beaucoup d’argent pour de belles vacances à Marrakech !… Un monde qui nous infantilise, où les relations humaines sont dégradées et où triomphe l’individualisme et le « chacun pour soi »… Et ces « maîtres » là sont si puissants qu’ils ont réussis à nous soumettre complètement à leur système et à nous faire accepter les chaînes qui nous enferment et à nous inculquer l’idée que cela est « normal » et qu’il ne peut y avoir d’autres mondes possibles... Mais nous avons notre part de responsabilité dans cette situation puisque c’est notre acceptation qui fait leur force… Ce que montre Etienne de La Boétie dans son « Discours sur la servitude volontaire », écrit en1549 à l’âge de 18 ans, œuvre très puissante qui à inspirée Henri David Thoreau, Gandhi, Bergson, Simone Weil (la philosophe), Wilhem Reich, Gilles Deleuse… Il a écrit dans cet opuscule : « Ils sont puissants parce que nous sommes à genoux »… et aussi : « Ce qui fait la force de l’injustice ce n’est pas la loi injuste, mais l’obéissance à la loi injuste »…
Notre façon de vivre qui nous est imposée par « lavage du cerveau » entretien et conforte ce système et nous enchaîne chaque jour un peu plus…
Des groupes de personnes, évidemment extrêmement minoritaires, essaient de s’affranchir des règles de ce monde. De vivre différemment de ce que nous impose la pensée unique : avoir des relations différentes, se soigner, se nourrir, travailler autrement… Mais malheureusement ils sont persécutés par le système, accusés de « dérives sectaires », montrés du doigt, et présentés comme « anormaux » et dangereux pour la société ! Nos « maitres actuels » n’aiment pas que nous sortions du troupeau, ce serait dangereux pour eux si cela faisait tâche d’huile !!!…
Dans la conclusion de son livre « Mauvaise nouvelle de la chair », Marie ROUANET décrit très bien se que nous sommes en train de devenir : « Mais à l’horizon des jours, plus facile à réduire parce que dépourvus de mémoire ancestrale, habités de désirs imposés, somnolents, les fenêtres fermées aux orages, tranquilles dans leur air pulsé, sans dieu mais avec beaucoup de maîtres, demain, l’homme ». Je pense que ce n’est pas demain mais dés aujourd’hui…
Dans son livre « La dictature de l’immédiateté », Stephen KERKHOVE (je ne me souviens plus très bien du nom de l’auteur), fait le même constat : « L’individu contemporain dans sa bulle audiovisuelle, téléphonique, automobile, informatique, flotte comme en apesanteur. Coupé du passé, insouciant de l’avenir, il vit dans un monde de l’immédiateté. Cet individu par excès n’est plus inscrit dans une continuité (…) Cet individualisme est lié à la destruction de l’environnement planétaire et des sociétés à échelle humaine (…) Pour l’individu consumériste : avant lui, rien ; avec lui, tout ; après lui, le déluge ».
Voila en quoi nous ont transformés nos « maîtres actuels, vrais guru » qui nous manipulent jusqu’au plus profond de notre subconscient. Ils sont infiniment plus dangereux que ce que j’ai appelé les « faux maîtres » même si l’on médiatise à l’extrême ceux-ci…
Venons-en au dernier volet de cet écrit.
Le Maître.
C’est un terme que l’on emploie dans certaines traditions spirituelles (je préfère employer cette expression que le mot de religion car pour moi il a un sens plus universel et moins euro-centrique). Je vais en parler à partir du point de vue du Bouddhisme zen puisque c’est ce que je connais le mieux. La meilleure définition du Maître est donné par ce koan zen : « un doigt montre la lune, bien idiot est celui qui regarde le doigt ». Le Maître c’est le doigt qui « montre » un enseignement, un message, une expérience que représente la lune. On peut dire ainsi, d’une façon plus triviale : le maître c’est un panneau indicateur ou une carte routière qui montrent le bon chemin à celui qui le cherche, car il l’a déjà pratiqué, il le connait, il en a fait l’expérience. Mais une fois, sur la route on chemine seul, selon ses propres moyens en essayant de mettre en application cette expérience par soi-même. Voila ce que disait Kodo SAWAKI un maître zen du 20em siècle, dans son livre le « Chant de l’éveil » : « On voyage toujours seul dans le monde de la pratique (de la Voie) Mari et femme, aussi intime qu’ils soient ne font pas les mêmes rêves. Leur plaisir aussi est différent .Le monde de la pratique n’est pas celui du volubilis qui a besoin d’un tuteur pour s’appuyer(…) n’avoir aucun point d’appuis. Les riches s’appuient sur l’argent, d’autres sur une personne, c’est une erreur. Il faut être véritablement soi-même authentique et autonome et marcher d’un pas assuré sur la grande route sans l’assistance d’un autre et sans crainte… ». Bouddha lui-même disait « Vous n’êtes pas obligés de croire ce que je dis mais expérimentez le et vous verrez par vous-même ». Donc pour le Bouddhisme zen un Maître c’est tout simplement quelqu’un à qui on a transmis un enseignement qu’il a expérimenté par lui-même et à son tour le transmet. Et c’est ainsi que le message de Bouddha s’est transmis de génération en génération, de personne à personne jusqu’à nos jours.
Tout cela implique que le Maître est aussi un amis, c'est-à-dire quelqu’un avec qui on se sent en affinité et en qui on a confiance, et réciproquement… Ce qui fait que dans la relation maître-disciple il n’y a pas de rapport d’autorité, de pouvoir. Mais malheureusement les humains étant ce qu’ils sont avec leurs limites, leurs ombres et leurs lumières il y a parfois des dérives : relation de pouvoir, culte de la personnalité... Mais d’après l’expérience que j’ai cela est assez rare…
Mais un maître ce n’est pas toujours un individu. Puisqu’on parle d’expérience à faire, tous les évènements, toutes les situations que nous vivons, toutes les rencontres que l’on fait dans notre vie de tous les jours sont autant d’expériences que nous vivons, et en cela elles peuvent être des maîtres parce qu’elles nous apportent un enseignement… Ce qui fait dire à Kondo SAWAKI dans le même ouvrage : « Les personnes qui me critiquent sont de meilleurs maîtres que celles qui me flattent »…
Le Bouddhisme zen c’est d’abord l’expérience de la vie de tous les jours, il ne s’apprend pas dans les livres, mêmes si ceux-ci ont une certaine importance… « La Voie du zen est une expérience de chaque instant qu’il revient à chacun de cultiver au cœur même de son vécu quotidien(…) Elle souligne l’importance de l’attention vigilante qu’il faut apporter à la moindre chose, que l’on fait, que l’on dit, que l’on pense. Savoir garder la même qualité d’attention à tout moment(…) Faire attention à tout : à chaque bouchée de nourriture que j’ai dans la bouche, à chaque mot que je dis, à chaque rencontre, à chaque seconde qui passe. Etre là, complètement là, en complète coïncidence avec l’instant, au lieu de n’être qu’à moitié là, le corps en train de faire une chose pendant que l’esprit galope ailleurs ».Charlotte BECK « Maître » du Centre Zen de San Diego (Dans son livre « Soyez Zen »).