Mal barré pour un barrage ?
I Apaiser la lutte de classe ?
Mettre fin à la « brutalisation » de la vie politique, c’est la petite musique que l’on entend dans les médias et dans le discours du gouvernement, mais aussi dans la bouche des Autain, Corbière, Delga, Garrido, Hollande, Rousseau, Roussel, Ruffin et Tondelier. Et on ne peut pas dire que ces bouches glapissent avec retenue. Ca s’indigne, ça pleurniche, ça ne comprend pas, ou plutôt ça feint de ne pas comprendre, pourquoi la gauche n’est pas encore au pouvoir.
Certes, Macron a décidé de prendre du temps avant de nommer la première ministre qu’on lui propose. Mais ce serait aussi un peu la faute de Mélenchon qui, comme le disait le délicat Larcher, devrait fermer sa gueule, car déjà il y a plus de dix ans, il avait cité Shakespeare en évoquant « le bruit et la fureur » ; et avait récidivé en 2017 en proclamant : « la République, c’est moi ».
Ce serait lui la « brutalisation » de la vie politique, et non pas Hollande, puis Macron, à l’œuvre dans la répression des mouvements sociaux. Et la « la République », ce serait tout sauf lui, puisque « la République » serait désormais la propriété privée du Printemps Républicain, d’Ensemble Pour la République (EPR) et de la Droite Républicaine (DR).
II Quel barrage ?
Le barrage anti RN a d’abord profité à la droite autoproclamée « républicaine », c’est-à-dire aux « partis de gouvernement » EPR et DR, car de ce côté-là, ce barrage s’est doublé d’un barrage anti-LFI. Cette stratégie a été appliquée aussi par une partie de la « gauche dite de gouvernement », principalement le PS anti-NUPES.[A]
D’où ce résultat à l’assemblée : 3 blocs minoritaires et un semblant de rééquilibrage à gauche. Ce tableau est trompeur : le premier bloc, le NPF, est aussi le plus divisé car le barrage anti-LFI n’a pas permis au PS de s’imposer ; le deuxième, la majorité présidentielle, est toujours au pouvoir et le troisième, RN, représente une large majorité en voix : 9 379 092 au 1er tour ; 8 744 080, au 2ème tour .
Le NFP n’en réunit que 8 995 226 et 7 004 725.
Le total des droites (RN compris) : 19 334 572 et 18 878 320.
L’abstention : 16 424 052 et 14 460 749.[B]
La France qui vote est largement à droite.
III Tel est mon bon plaisir et la défense des intérêts de la classe que je présente
Le 23 juillet, la FI proposa une loi d’abrogation de la contre réforme des retraites, puis les partis du NFP proposèrent le nom de Lucie Castex pour Matignon. S’étant invité le soir même à la télévision, Macron fit son maquignon, pesa le pour et surtout le contre et décréta une trêve politique jusqu’au 15 août, au moins, contrepartie de la trêve olympique, sauf à Gaza.
En effet, pense-t-il, on ne peut pas brutaliser Netanyahou jusqu’à lui imposer des extrémités telles qu’un cessez-le-feu. De la même façon, il s’est trouvé des voix pour reconnaître qu’on ne peut ne pas imposer à Macron des extrémités telles que la suppression de sa loi sur les retraites.
Macron ne veut pas d’un gouvernement qui remette en cause ce que ses gouvernements successifs ont imposé. Il n’est pas obligé de nommer la candidate que le NFP lui propose. Il avait envisagé de nommer Bardella qui lui rappelle Benalla. C’est raté. Mais il peut nommer qui il veut et décider d’une nouvelle dissolution l’année prochaine.
Conclusion provisoire
Le seul barrage à la résistible ascension de RN, c’est l’application de mesures sociales : loi retraites, augmentation des salaires, blocage des prix des produits de première nécessité.
Le RN est en réalité très divisé, malgré le culte du chef ou de la cheffe qui le caractérise. Le tournant « social » initié par Philippot n’a jamais convaincu sa base d’artisans, de commerçants et de petits patrons. Leur seule solution, c’est la baisse de ce qu’ils appellent des « charges », mais qui sont les contributions nécessaires de toute politique de redistribution. Mais la partie la plus modeste de son électorat serait très déçue si l'abrogation de la contre réforme des retraites n'était pas votée. Elle pourrait tendre l’oreille à cette mise en garde d’Emmanuel Todd en 2022 : « chaque électeur RN (...) devra (...)se demander ce qui est le plus important pour lui, je vais être clair : détester les Arabes ou protéger sa retraite ».[C]
Le RN fait des efforts notables pour paraître respectable. Mais depuis la fin de la séquence Philippot qui a éloigné la patronne du parti de l’esthétique néo-nazie de son père, l’ère Bardella a rouvert la tradition italienne du fascisme, sa version originale, avec son opportunisme et sans le délire germanique qui a perdu Hitler.
« Le fascisme est l'archaïsme techniquement équipé », mais aussi « la forme la plus coûteuse du maintien de l'ordre capitaliste ». Aussi, les néolibéraux ont trouvé après la deuxième guerre mondiale des défenseurs de l’ordre moins coûteux et compromettants que Mussolini ou Hitler, des personnes qui n’affichent aucun « antisémitisme » : Pinochet en 1973, Bolsonaro récemment et Milei aujourd’hui.
En bon néolibéral, Macron peut choisir un premier ministre à l’assemblée dans les rangs du Rassemblement National comme de la Droite Républicaine ;ou tendre la main à une gauche qui ne présente aucun danger ; ou se résoudre à nommer la candidate du NFP. Et là, tous les coups seront permis.
[A] Ainsi que le notent Marianne et Libération, peu suspects de sympathie envers LFI :
[B] 1er tour 2ème tour
RN 9 379 092 8 744 080
NFP 8 995 226 7 004 725
ENSEMBLE 6 425 707 6 313 808
LR 2 106 166 1 474 650
UXD Union de l'extrême droite 1 268 822 1 364 964
Divers droite 1 154 785 980 818
Abstentions 16 424 052 14 460 749
[C] « il faut que l’électeur RN mette son intérêt de classe au-dessus de sa détestation des immigrés. Qu’il choisisse Marx plutôt que Jean-Marie Le Pen. C’est une expérience historique et morale incroyable pour le peuple français.
Dans chaque circonscription où il y a un affrontement Nupes-Ensemble, chaque électeur RN du premier tour devra faire son examen de conscience et se demander ce qui est le plus important pour lui, je vais être clair : détester les Arabes ou protéger sa retraite. »
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