Manuel Hobbes ou la légitimation du Léviathan

Manuel Valls s’est récemment fendu d’un argumentaire, sur son compte Facebook, en faveur de sa vision de l’autorité basée sur le besoin de sécurité des gens, condition nécessaire à la poursuite de leurs désirs. Il cite en cela le philosophe anglais Thomas Hobbes, auteur du Leviathan, nom donné par Hobbes au Souverain dépositaire des droits de gouvernance que lui octroient l’ensemble des citoyens.
Pour Hobbes, soit la société délègue ses droits au souverain, soit elle s’auto-détruit dans la jungle naturelle. Le rôle premier du Souverain est donc la conservation de l’individu, en fonction de quoi il édicte et applique les lois nécessaires.
Hobbes justifie de fait la dictature du Souverain, au nom de la sécurité de tous. Et c’est exactement la vision de gens tels Valls, Poutine, Al-Sissi ou Netanyahou. Pour ces gens-là, la fin – l’omnipotence du Souverain – justifie les moyens – l’abrogation des libertés et des espaces susceptibles de remettre en question sa légitimité. Cette liste d’exemples de dirigeants n’est évidemment pas exhaustive, loin de là. On pourrait sans doute affirmer que le Léviathan de Hobbes est aujourd’hui le modèle standard de la gouvernance étatique, que ce soit sous ses déclinaisons militaristes, théologiques ou consuméristes.
Manuel Valls continue sa démonstration en fustigeant « ceux qui singent l’autorité, la dénaturent, versent dans le seul autoritarisme, par l’agitation des mots et la facilité des postures. C’est toujours l’attitude de l’extrême-droite. ». Malheureusement c’est aussi l’attitude de Manuel Valls… Il énonce que la bonne façon de procéder est « celle qui consiste à agir avec constance pour renforcer l’autorité », ce pour quoi il n’a, me semble-t-il, aucun mandat. Personne n’a voté pour François Hollande dans l’espoir d’obtenir un gouvernement autoritaire, cette option-là étant très clairement celle du camp sarkozyste – sans même parler du FN.
Voilà donc le réel problème : la novlangue politicienne, qui utilise des mots détachés du sens des choses, rendant impossible la discussion utile et ne laissant dès lors place qu’à la violence. Dont le Léviathan possède le monopole légal, et qu’il peut alors justifier en tant que « légitime réponse » à la violence illégale (mais pas nécessairement illégitime) alors même que cette dernière n’est, bien souvent, que le fruit de sa propre politique.
L’arrestation récente d’un jeune homme filmé en train de faire une « quenelle » à l’intention de Manuel Valls lors du passage de ce dernier à Moirans, est emblématique : peine possible de six mois de prison et 7 500 euros d’amende pour un bras d’honneur, alors que Valls lui-même peut se permettre, par exemple, de rabaisser l’ensemble de la population française non juive dans son fameux discours du Trocadéro, ou il affirmait que les juifs sont « à l’avant-garde de la République et de ses valeurs », en lançant « juifs de France, sans vous, la France n’est plus la France ! » (1). Le fait qu’il ne soit à l’époque « que » Ministre de l’Intérieur ne change rien au fait qu’un tel propos, dénué de toute réalité tangible, ne serve qu’a attiser les tensions communautaristes, donc la violence, donc la possibilité pour l’Etat de faire usage de sa force pour « affermir son autorité et « préserver la sécurité ». Ou l’art du pompier-pyromane.
Mais plus grand monde n’est dupe : les fils sont trop gros, l’hypocrisie trop flagrante, la corruption trop présente. Le Léviathan assoit sa légitimité sur le vote, quel qu’il soit, et c’est en refusant le vote qu’il peut être abattu, à moins qu’il ne jette alors le masque et bascule dans la dictature totale. Car peu importe de voter pour la droite ou la gauche, voire l’extrême-droite ou l’extrême-gauche : c’est toujours le même Léviathan. Délégitimer le Léviathan, c’est avant tout lui ôter les moyens de créer et de maintenir l’engrenage de la violence dont il profite directement, que ce soit la création du chaos au Moyen-Orient ou la marche forcée vers un Etat policier ici. Remettre la volonté du peuple au centre du jeu, c’est refuser le système politicien actuel, le laisser s’effondrer et le remplacer par un nouveau modèle de représentation politique.
Lequel ? Les idées ne manquent pas, mais il intégrerait sans doute des mandats politiques uniques et limités dans le temps, la transparence, le tirage au sort, une répartition des richesses visant à éliminer la pauvreté et un accès aux ressources permettant l’émancipation de chacun.
Notes
10 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON