Marcela Iacub : la chute de l’ange
Quelques jours après l’annonce de la publication de son livre sur Dominique Strauss Kahn, « Belle et Bête », Marcela Iacub reçoit le choc en retour. Le livre paraîtra mais elle est condamnée. Elle a fait de DSK un dieu-Cochon, grand-prêtre de la jouissance sexuelle communiste. Elle exprime si crûment ce que le public pense, qu’on peut se demander si elle ne travaille pas secrètement à la rédemption de cet homme à terre, en transformant le bourreau des coeurs et des fesses en victime d’une vindicte populaire acharnée. Un courriel dévoilé par « Elle » montre la belle Marcela sous un jour inattendu : la voici impératrice de la trahison. Le coup est très dur.
Vers une nouvelle humanité
Marcela Iacub a pourtant ma sympathie. D’elle j’aime son anti-conformisme, sa pensée pointue et bien exprimée, son indépendance intellectuelle, sa manière d’assumer ouvertement la sexualité. J’apprécie aussi que jamais elle n’ait tenté de construire un féminisme en démolissant les hommes. Contrairement à la plupart des féministes, elle ne les accuse pas, ne tente pas de les culpabiliser. N’est-ce pas elle qui dénonçait avec force l’accusation féministe de « tous violeurs » à l’encontre des hommes, après le début de l’affaire du Sofitel ?
Je ne l’ai pas suivie sur le projet d’utérus artificiel et sur certains thèmes, dont je me demande si elle les défendait par goût de manifester sa singularité personnelle ou par réelle conviction. Peut-être les deux. « Le pire ennemi des femmes, c’est l’enfant, c’est la famille », disait-elle. Elle n’a pas tort dans un sens. Elle voudrait une nouvelle humanité, libérée du poids du corps, de la sanction originelle dans son interprétation biblique. Mais son constat est au fond celui de la limite du féminisme politique. Le féminisme voudrait ne plus avoir de maternité, et souhaiterait remplacer le ventre de la mère par l’utérus artificiel, les bras de la mère par les crèches, afin que libérée de la contrainte de l’enfantement et de la nutrition - conséquences des contraintes biologiques - la femme conduise une voiture comme un homme ou se confronte comme lui à la corruption du pouvoir politique. Avant, aux femmes était confiée la maternité, impondérable biologique, et aux hommes la guerre et la politique. A chacun sa charge. Aujourd’hui elle voudrait annuler une des deux charges. On sait que cela conduit forcément - presque de manière mathématique - à une compétition hommes-femmes puisqu’il ne resterait que la charge initialement assignée aux hommes.
Peut-on se passer du ventre ? Il faudrait s’en poser la question. Le ventre est le corps, l’ancrage, le référent initial qui fonde la culture. Le langage lui-même dépend de notre souffle, de nos cordes vocales, de notre posture verticale, des connexions neuronales. La fuite du corps ne conduirait à mon sens pas à la liberté mais à la folie. Et puis, si l’on ne veut plus l’enfantement dans le ventre d’une femme, et le désir étant un mécanisme mis en place dans le but de procréer, à quoi servira le pénis, le plaisir, la forme même de notre humanité de mammifères, privée de l’éclat de la vie à venir, réduite à une hygiène hédoniste qu’un vibromasseur peut facilement remplacer ? Si la fonction crée l'organe, la fin de la fonction annulera l'organe. Economie biologique oblige. Au-delà des théories féministes radicales (mais non dépourvues d’intérêt), l’effacement du corps, qui est aussi le discours « gender », est la fin de notre forme actuelle en tant qu’espèce humaine. D’un point de vue anthropologie, je doute que les thèses féministes - pas plus que l’idéologie marxiste - puissent remplacer la vision biblique.
J’ai donc des divergences de fond avec madame Iacub. Mais ces divergences intellectuelles ne l’ont pas écartée de mes lectures. Ne pas adhérer à tout ne signifie pas couper les ponts. Et limiter sa réflexion aux propos que je rapporte ici serait rester en-deçà du personnage.
Comme un boomerang
Maintenant que je connais son aveu à propos de DSK, lui garderai-je un peu de sympathie ? Je vais essayer, même si je sais ce qui se vit quand on est désigné à la vindicte - qui plus est faussement. Je vais essayer car, malgré mon semi-remorque de défauts, j’ai développé des qualités de loyauté et de fidélité.
Qu’a-t-elle donc avoué ? Cela figure dans le texte d’un courriel qu’elle a adressé à Dominique Strauss Kahn le 26 novembre 2012. Son livre était en route et DSK le savait. L’aveu est honnête. Honnête comme le suicide d’un assassin à qui il reste un bout de conscience. Le courriel a été présenté au tribunal par DSK qui demande la saisie du livre incriminé. Il est mis en ligne par « Elle » et Marcela Iacub n’en a démenti ni l’existence ni le contenu. Le courriel lui revient comme un boomerang.
« Je suis une personne honnête et je me suis laissé entraîner d’une manière un peu légère dans un projet te concernant auquel je n’aurais pas dû participer. Les gens avec lesquels j’ai travaillé m’ont un peu dégoûté après coup parce qu’ils se sont servis de moi comme d’un instrument pour te nuire. Et ce n’est pas cela que je cherchais. Je te le jure. Je ne voulais pas te nuire mais essayer de comprendre ce phénomène étrange que tu es. »
Je suis étonné qu’elle n’ait pas réalisé cela avant de publier. Mais peut-être ce courriel était-il une manière de neutraliser à l’avance l’impact du livre. Car si elle demande à DSK de détruire ce courriel, elle devait bien imaginer qu’il allait le garder et s’en servir. Mais de qui parle-t-elle ? Il faudrait le savoir :
« Mon livre sur ton affaire américaine je l’ai écrit parce que ce sont eux qui me l’ont demandé. Le fait de chercher à te rencontrer était partie du même projet. Sans te dire tout le reste. Il m’a fallu te faire croire que j’étais éprise de toi, que j’étais folle de toi. Et puis que j’avais mon cœur meurtri, que j’étais jalouse et tout ce que tu sais. Je suis désolée. Je te demande pardon mais je sais que tu ne pardonneras jamais. Je ne le ferais pas non plus à ta place. Mais sache en tout cas que je le regrette profondément. »
La mort des idoles
Marcela Iacub a quelque chose de l’ange. Ou avait. Une forme d’intégrité. Non pas une « pureté morale » conformiste, mais une manière de s’assumer avec liberté et transparence. Une manière d’élever le débat sans poser de jugement là où ce n’est pas indispensable. Une clarté de pensée qui la mettait, à mon sens, à des lieues des opportunistes qui ont fait du féminisme une simple voie d’accès personnel au pouvoir, à l’argent et à la reconnaissance, en tentant de monter sur la tête des hommes, et en reproduisant à leur compte les comportements qu’elles réprouvent ailleurs. Rien de cela chez elle, jusqu’à ce livre. C’était sa forme de transparence. C’était sa part d’ange.
Aujourd’hui elle dévoile la part du diable en elle. Dans un sens son aveu la dédouane un peu. Mais peu. Elle pouvait éviter d’en arriver là. Son aveu, sa sincérité, lui permettront-ils de se relever ? Sa duplicité découverte, il lui reste la possibilité d’assumer ses propres contradictions. Intègre et traîtresse, lucide et aveugle, opportuniste et complice, transparente et mercantile, elle représente aussi l’humain dans sa complexité.
Aujourd’hui l’ange est tombé. Comment renaîtra-t-elle, elle qui se vit comme le prototype d’un humain à venir encore mal défini, et dont on ne sait s’il sera viable ou non ? N’est-elle qu’une opportuniste qui a bien caché son jeu ? Ou est-elle un objet sacrificiel consentant destiné à défaire la charge collée à DSK ? Quelle que soit sa manière future d’articuler en elle ce qu’Edgar Morin nomme le langage de la complexité, la barre est placée très haut pour elle.
Mais mieux vaut un ange déchu, imparfait, pouvant se reconstruire, qu’un démon par trop fascinant et resplendissant. La chute de l’idole n’est jamais une mauvaise chose. Cela vaut autant pour elle que pour DSK. A terre, on ne juge plus celui ou celle qui nous a inspiré le dégoût. On ne se juge plus soi-même. On devient libre de la dualité ange-démon. Car il faut bien que cela finisse un jour, pas seulement pour eux, mais aussi pour le monde. Il faut qu’un jour l’expiation connaisse sa fin et que la rédemption commence. Que la société, qui a tant collé à « l’événement » collectif DSK, à cette démesure, digère et avance. Si c’est le cas, « l’événement » Iacub, son livre, aura eu toute son utilité positive. Si nous ne restons pas sur le mécanisme de fabrication d’un bouc émissaire, alors nous aurons progressé ensemble.
S’il n’y avait pas cette possibilité de rédemption il ne resterait qu’à éliminer tout « pêcheur ». Autant dire que l’humanité disparaîtrait rapidement...
Le sens de tout cela commence peut-être à poindre : ne cherchons pas la perfection. Ne dressons pas d’idole. Acceptons notre complexité. Donnons-lui la parole. C’est peut-être, là mieux qu’ailleurs, le chemin vers cette nouvelle humanité.
Au fond, nous vivons une époque formidable !
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