Marché de l’e-book, confidentiel. Libraires inquiets, il va sans dire...
L’univers du livre numérique c’est assurément des auteurs orphelins à découvrir, des lecteurs gâtés à aller chercher avec les dents, des libraires inquiets et sur les dents.
Intriguée par un carré de pub sur Agoravox depuis quelques semaines, un e-book, je me suis fendue de deux euros pour lire le roman annoncé d'Arthur K. Berenger, Confidentiel, il va sans dire. Vu le patronyme anglo-saxon, j'ai été mise en confiance. Comme quoi on est conditionné, plus qu'on ne croît, puisque c'est un auteur francophone. Et ce fut une très, très bonne surprise pour moi, et l'occasion de découvrir cet écrivain et quelques autres, dans la forêt vaste et un peu anarchique des e-books.
D'abord, il faut savoir que je ne suis pas une geek, l'idée de devoir lire sur une tablette ou sur un mac ne m'enchante guère. Quel bonheur de sentir un papier jauni... J'ai quand même téléchargé le logiciel Kindle que le géant de la librairie en ligne met à disposition de ceux qui veulent lire sur écran. Sur le site, j'ai fait mon miel de tous ces classiques en téléchargement gratuit, Scarron, Shakespeare, Hugo. Quand on a Voltaire à ce prix, il faut être motivé ou inconscient pour se lancer dans la cour des grands et proposer son ouvrage à vil prix en tant qu'inconnu. Hyper-concurrence numérique oblige, ceux qui essaient d'émerger dans l’ombre sur ces plates-formes numériques comme Kobo, Lulu, etc. attirent le chaland en pratiquant les prix les plus vils.
Je dois l'avouer, je m'attendais au pire. J'ai d'abord téléchargé l'extrait gratuit de Confidentiel, il va sans dire. Première lignes, j'achète. On est en France dans le village où Maurice Ravel a vécu, il y a de l'action, on est intrigué, l'atmosphère est palpable. Bon signe, on est à l'aube d'un crash bancaire majeur, d'emblée dans un suspens de haute tenue, sans vulgarité, à valeur culturelle garantie, si je puis dire (je ne lis jamais de polars, et pour cause).
Le Arthur K. Berenger en question a commis un roman totalement inscrit dans les années 2010, et de surcroît bien écrit -c'est à dire avec un sens de la métaphore (c'est un crypto-texte) sans faute et sans barbarismes, ce qui est remarquable par les temps qui courent, même chez les stars (lire les trente première pages d'Olivier Adam dans Poids léger est une volupté de fin correcteur…)- Dans une langue française qui n'a rien à envier à un Gonnelle ou un autre Dubois, on voit très bien l'adaptation pour un film de 90 minutes, genre Kassowitz ou Giannoli à couper le souffle, au suspense haletant et aux rebondissements que je dois malheureusement taire. Ce ne serait pas plus correct dans ma bouche que dans le livre. On a affaire à un vrai travail, précis, minuté même, à un de ces romans qu'on ne lâche plus, dans le train ou en métro. Donc, ça devrait marcher... ça devrait... au sens où ça ne devrait pas se trouver là, s'il n'y avait pas quelque chose qui ne tourne pas rond au royaume... Car si Amazon était le magasin des rebuts, on devrait bien pouvoir tomber sur la moitié des 500 manuscrits refusés chez Actes Sud chaque année. Là, j'ai eu de la chance. En un autre temps ce manuscrit aurait passé la rampe, aujourd'hui il est passé à la trappe... sauf si un éditeur se réveille.
Alors on se dit, mais que font les éditeurs si tous les e-books auto-publiés sont de cette qualité ? Pour vérifier, je me suis mise à télécharger des dizaines d'extraits d'e-books auto-publiés : et c'est clair. Une Marie Fontaine publie des nouvelles depuis des années en numérique, et son beau "Je suis venue vous e-dire" est tout à fait digne d'intérêt. Mais j'ai lu des choses qu'il vaut mieux ne pas nommer. Torchons et torches-cul, navets mais aussi perles, ovnis, le pire côtoie le meilleur. C'est pas beau de rapporter ni de se moquer des petites gens.
Mais voilà, il n’ y a guère en France de label du livre numérique, de guide de l’e-book auto-édité, à ma connaissance. J'avais rêvé un instant que ce soit myrifique, je n'ai eu que la chance de la débutante, et la régie publicitaire d'Agoravox pour tout conseil, merci.
Puis, le doute venant, j'ai fait un mail à Arthur K. Berenger. Qui c'était ce type ? Un auteur qui publie en loucedé pour ne pas se faie choper par son éditeur ? On connaît même de grands essayistes dont les éditeurs ont refusé des romans sûrement très bien composés, toujours dans les tiroirs. J'ai des noms. Arthur K. a ouvert un petit blog où il a mis carrément son numéro de téléphone mais je n'ai pas osé. Je ne trouvais rien sur lui donc voulais savoir qui il était et ce qui l'a poussé à publier son roman en e-book sur Amazon.fr, le désespoir ?...
La réponse de l'écrivain m'a interpellée :
"Chère Madame, je suis très touché que vous comptiez parmi mes premières lectrices, et que vous me posiez toutes ces questions (...) Concernant ce roman, oui c'est le premier. Et non, je n'ai jamais été édité. D’où le titre ! (rires) Je ne dispose pas d'un entregent particulier dans le monde de l'édition, je ne suis pas "la plume d'un personnage public" qui m'ouvre, en remerciement, son carnet d'adresses... donc, après avoir envoyé cet opus écrit je crois très sérieusement, je l'ai soumis à dix éditeurs qui n'ont pas jugé bon s'y intéresser. Mon nom ne leur dit rien, et au pays de la Nuit du 4-août, il y a des mythes qui ont la peau dure. Ce qui m'a arrêté dans mon entreprise de recherche d'un éditeur, c'est La Poste. Ses tarifs prohibitifs. Service privé, privé de service.
J'ai calculé que chaque manuscrit photocopié, relié et enveloppé me coûtait pesé 9,60 € pièce. Pour finir à la poubelle, c'est assez au-dessus de mes moyens. Presque cent euros ont été engloutis, un fric qu'on ne jouerait même pas au loto. Je me sentais à la fois orphelin et dépouillé.
Car après tout, un auteur qui soumet son manuscrit a déjà travaillé. Non content de n'être pas payé de retour, il faut qu'il débourse encore. Le directeur artistique le plus sympa a été Thomas Simmonet de l'Arbalète qui dépend de Gallimard, et Le Dilettante aussi. Ils ont fait une fiche courte mais qui prouve que ça a été lu ou bien parcouru. Je n’ai pas essayé Max Milo, j’aurais dû… La palme revient à Grasset, le manuscrit envoyé le 12 août est revenu chez moi le 14 ! Je sais que je serais édité un jour. Il faut écrire, faire ses gammes tous les jours. Je prends une page de Saramago, ou de Blondin et je la recopie chaque matin. Je fais confiance aux éditeurs. Moi-même en un seul coup d'œil, que ce soit le niveau de langage, l'absence ou la présence de clichés, le trait qui caractérise un personnage, on voit vite si un ouvrage emmène son lecteur ou pas. On le fait tous en librairie et les éditeurs ne procèdent pas autrement, je crois.
Je sais aussi à quel point ils sont pressurés, et quelquefois hélas, pas libres de publier ce qu'il voudraient. Une amie qui bossait chez (x) éditeur spécialisé, m'a dit que leur groupe actionarial avait arbitré entre une Histoire de la shoah d'un côté, et de l'autre une Histoire des Tziganes au XX° siècle. La rentabilité envisagée par les actionnaires a fait pencher la balance du côté de l'Histoire de la shoah, alors que les deux sommes avaient été conduites sous la houlette d'universitaires aussi sérieux et dévoués l'un que l'autre. C'est dire si l'on est libre dans les maisons d'édition ! Que chacun retrouve les possibilités de sa ligne éditoriale, et alors un meilleur équilibre pourra advenir entre les auteurs orphelins et les stars gavées de moyens médiatiques.
Aujourd'hui, seule une maison de production à qui je l'ai fait parvenir, (Exilène) m'a déclaré étudier une adaptation télévisée. Mais c'est un projet qui ne verra pas le jour tant que la chaîne et son responsable de programmation n'aura pas donné son feu vert. Après ce premier travail, une telle perspective, je me suis dit que c'était pas mal pour un inconnu refusé par dix maisons d'édition ! Et au passage, tant pis pour les éditeurs, car si une prod m'achète les droits d'adaptation je toucherais 100% ; alors que d'ici-là, s'il est édité, ce sera 50%. Et voilà, les éditeurs noyés par le flot des manuscrits et obsédés par la gestion du risque peuvent aussi passer à côté de bonnes affaires...
C'est à croire que les maisons de production audiovisuelle, qui reçoivent des tas de bouquins chaque jour, ont encore un minimum de marge, elles. Peut-être le monde de l'édition en France est il un peu assoupi, "ensnobinardé" ? Effarouché par l'arrivée de ces nouveaux canaux d'édition, sûrement... " (...)
(...) mais attention, beaucoup de gens se méprennent. La publication en un clic de souris ne doit pas inciter à publier n'importe quoi. Le principe énoncé par Thorstein Veblen d'entraînement et d'imitation par le haut de la pyramide sociale prévaut là aussi : attirés par le succès, ou atteints de célébritose aiguë, le nombre d'auteurs-du-dimanche va inonder le net, et va devenir si important que la quantité finira par noyer la qualité.
D'où l'importance du travail des éditeurs que j'appelle de mes vœux. Amazon, pour moi, c'est juste l'occasion de trouver une vitrine. Si votre travail est de qualité, la vitrine peut avoir un débouché réel. Aux USA, le marché de l'e-Book est tel que les éditeurs papier ont le nez sur les ventes d'un tel ,et lui proposent un contrat. Façon commode de se défausser sur le goût du public et de voler au secours de la victoire ! Les ouvrages auto-édités aux USA sont au purgatoire, en France ils sont en enfer. Et la pub internet a de beaux jours devant elle, car vous ne sortez du purgatoire qu'à condition.. d'avoir les moyens d’investir dans la pub pour sortir du lot d'une façon ou d'une autre. La preuve, j’ai acheté un espace de pub sur Agoravox, les ventes grimpent terriblement et vous m'écrivez !".
L'absence de l'humain dans les transactions commerciales finira par laisser des traces
(…) pour donner un ordre d'idée, un éditeur, un bon, un vrai, fait un travail de suivi, c'est incontestable. Mais à quel prix ? L'auteur ne touche que 10% des ventes, alors qu'il est à la source de ce bien en industrie ; l'éditeur vit sur sa pomme à telle enseigne que c'est son image personnelle qu'il va mettre en avant pour promouvoir les ouvrages.
Or, sur amazon ou lulu.com, là c'est du 35 ou 80% ! Est-ce à dire que les auteurs, les créateurs, sont depuis longtemps relégués à la dernière roue du carrosse, bons à y être même attachés ? Et que ces nouvelles pratiques de rémunération bousculent la répartition des bénéfices depuis longtemps instituée ? 10% contre 80%... je crois qu'il y a quelque chose comme ça... Les éditeurs sont encore bien au chaud, mais ce sont les libraires qui m'inquiètent. Internet ne relie pas les gens, ils les assied au fond d'un chez soi où l'absence de l'humain dans les transactions commerciales finira par laisser des traces."
J’avais adoré son livre, j’ai aimé ses réponses. Arthur K. Berenger, loin de l'image lisse qu'il voulu se donner sur sa page, serait une sorte d’humaniste révolutionnaire ; à la lecture de son roman lu sur mon Mac, amoral et subversif, il dépeint la grande bourgeoisie et le cirque de leurs conventions, je ne fus donc pas surprise, et ce ne fut pas pour me déplaire. Que la pub soit la clé du commerce, ce n’est pas nouveau mais cela se tasserait-il ? En effet, qui se jette encore sur Angot ou Grangé parce qu’ on en parle ? À mon avis, l’ère la méfiance est venue.
Son mot sur les libraires, dont je le remercie, rejoint celui d’un ami qui travaille dans la diffusion. Il m'avouait que sa société réalisait 70% de son chiffre d’affaires grâce au seul Amazon. Les diffuseurs et les libraires comment à réfléchir dans leur profession à la manière de continuer à promouvoir le livre papier à proximité de tous les publics. Les plus touchés au jeu du numérique sont bien entendu les libraires.
Les wanabees, en langage éditeur les auteurs sans domicile, profitent de cette nouvelle manne ; eux aussi aiment leurs libraires, mais ils n'ont guère le choix.
Le lecteur est gâté, et le libraire inquiet. Sur internet comme en boutique, faire son marché n'est pas difficile, il suffit de distinguer ceux qui écrivent vraiment, de ceux qui s'expriment seulement.
Puissent les e-books augmenter l’attrait pour la lecture des contemporains comme des classiques, qu’ils soient plus transportables d’une clé à l’autre, d’un appareil à l’autre, que les DRM soient plus souples, et ce sont les lecteurs, et tous ceux qui ont besoin d’emporter des documents qui seront gagnants.
Lire ce qu’en dit Umberto Eco utilisateur de Kindle dans le blog de Didier Jacob.
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