Marianne sans bonnet phrygien
En mai, fais ce qu’il te plait. Emmanuel Todd ne s’est pas privé. Le 12, Marianne a publié un entretien d’Aude Lancelin et Laurent Neumann avec le prophète. Puis, c’était Frédéric Taddéï qui le recevait en compagnie de Marie France Garaud.
La publication dans Marianne était intitulée « Goodbye Hollande ». C’était le troisième épisode des aventures du papy plat après « le pari du hollandisme révolutionaire » et « le choix d’être un géant ou un nain. »
Les petits malins ont voulu (ou ont semblé vouloir) l’embêter, le prophète.
« Lorsque nous nous sommes vus, il y a six mois, vous évoquiez encore l’hypothèse qu’au bout de son quinquennat François Hollande puisse avoir mué en une sorte de géant à la Roosevelt... Aujourd’hui, un an presque jour pour jour après son élection, considérez-vous qu’il a d’ores et déjà échoué ? »
Emmanuel Todd ne se fait pas prier our répondre : « On n’a pas besoin de moi pour le savoir. Hollande a eu sa chance, peut-être en aura-t-il une deuxième. J’aime assez la notion américaine d’une « deuxième chance ».Pour la première, c’est réglé. Je peux vous dire ce qui m’a fait accepter l’évidence.
D’abord, l’incapacité à imposer la taxation à 75 %. Un président de la République française a l’arme du référendum, mais il s’est couché. Deuxième chose : la réforme du marché du travail qui place Hollande à la droite de Sarkozy. Troisième chose : la réforme bancaire a été vidée de son contenu. Quelques modifications cosmétiques sont en cours, mais, en gros et en pratique, l’Etat va rester garant de la spéculation des quatre grandes banques systémiques françaises.
Vient l’affaire Cahuzac. J’ai d’abord trouvé cette histoire idéologiquement géniale. Le garant de l’austérité budgétaire est donc un pourri : une ruse de l’histoire pour mettre à nu le système ! Si on réfléchit, en effet, ses alter ego européens ont également des liens troubles avec le système bancaire. L’Italien Mario Monti, qu’on a essayé de nous vendre comme un père la vertu, était par exemple en liaison avec Goldman Sachs. Cahuzac n’était pas un atome solitaire de corruption, mais une pièce dans un système. »
Puis il rappelle quelques banalités de base :
« Le prêt aux Etats est une sécurisation de l’argent des riches, Karl Marx l’avait vu. La dette des Etats est une invention de la finance privée ! L’austérité, le « rétablir les comptes publics », c’est maintenir l’Etat en situation de servir les intérêts et d’incapacité à faire la seule chose qu’il devra faire un jour, inévitablement : le défaut sur la dette. Refuser de payer. »
« Pour relancer la machine et refonder la démocratie, il faudra remettre les compteurs à zéro. Partiellement seulement, je ne suis pas un révolutionnaire. »
« Je suis le contraire d’un fin psychologue, mais même moi j’aurais anticipé qu’un médecin préférant l’implant capillaire à la guérison des gens était un amoureux de l’argent. Hollande l’a choisi. C’est une faute morale. Ce choix suggère chez le président une insuffisance de l’instinct de moralité. »
« La priorité, il y a un an, c’était de faire dégager Sarkozy. C’est pour ça que je ne m’excuserai jamais d’avoir soutenu Hollande ! Mais ce qu’il y a de magique avec les socialistes, c’est que, en arrêtant de désigner des boucs émissaires, stratégie de diversion spécifique du sarkozysme, Hollande et le PS se sont retrouvés à poil. »
« Les riches ne sont pas un bouc émissaire, ils sont le problème ! »
« La social-démocratie allemande, historiquement et géographiquement, est dans la continuité du protestantisme, donc du nationalisme. Avec eux, ce serait pire. Donc évidemment, l’Allemagne est le problème. »
« Les politiques français, si durs avec leur population et leurs PME,en sont au stade Bisounours sur l’amitié franco-allemande. »
« Mais l’Allemagne, qui a déjà foutu en l’air deux fois le continent, est l’un des hauts lieux de l’irrationalité humaine. Ses performances économiques « exceptionnelles » sont la preuve de ce qu’elle est toujours exceptionnelle. L’Allemagne, c’est une culture immense, mais terrible parce que déséquilibrée, perdant de vue la complexité de l’existence humaine.Son obstination à imposer l’austérité, qui fait de l’Europe le trou noir de l’économie mondiale, nous impose une question : l’Europe ne serait-elle pas, depuis le début du XXe siècle, ce continent qui se suicide à intervalles réguliers sous direction allemande.
Oui, un « principe de précaution » doit être appliqué à l’Allemagne ! Ce n’est pas être un salaud xénophobe de le dire, c’est du simple bon sens historique. D’autant que ce pays est, à l’insu de nos chefs, dans une logique de puissance. Le seul obstacle à une hégémonie durable en Europe, pour l’Allemagne, aujourd’hui comme hier, c’est la France, tant qu’elle ne sera pas définitivement à terre économiquement. Mais je comprends que ce soit difficile pour nous d’admettre l’évidence : nous pensions tellement ne jamais revoir ces rapports de force. »
Le prophète rodait là le discours qu’il allait tenir à l’émission Ce soir ou jamais.
En effet, le thème annoncé était au choix : " l'amitié franco-allemande " dont on fête les cinquante ans ou " la germanophobie actuelle ". On pourrait parler plus justement de " germanofolie [1]"
Je ne m'attarderai pas sur les grimaces du joyeux Quatremer. D'autres auront remarqué la connivence entre Emmanuel Todd, l’ancien communiste, et Marie France Garaud, la gaulliste qui a toujours la gaule. D'autres encore conviendront que le prophète n'a pas tort, mais qu'il en fait trop. Ce soir là, il voulait placer le mot " exterminer ". Mais tout le monde n'apprécie pas son esprit " so british "[2].
P.S. Marianne nous apprend en fin d’entretien que le président François a reçu E.T. à l’Elysée[3].
http://www.youtube.com/watch?v=vZXtRMvw708
[1] Je ne suis pas le premier à mettre en ligne cette conversation. http://www.youtube.com/watch?v=juJsHQV71uk
[2] Suivez son regard quand il décoche une horreur ou un compliment :
- La petite journaliste allemande à qui il dit sans ambage qu'elle ne va pas l'approuver longtemps (Ulrike Guérot : c'est drôle : elle porte un patronyme français alors que lui…)
- Guillaume Duval qu'il félicite pour son dernier livre sur l'Allemagne (les deux hommes s'étaient un peu " allumés " lors d'un débat organisé par ALTERNATIVES ÉCONOMIQUES il y a quelques mois).
[3] Le président vous a invité à l’Elysée il y a quelques mois pour un petit déjeuner. Que lui avez-vous conseillé ?
E.T. : L’une des rares choses dont je me souvienne, c’est qu’il prenait conscience de l’existence d’une Europe protestante et plaisantait sur le fait que les Finlandais étaient encore plus raides que les Allemands. Je lui ai suggéré qu’il fallait réunir une commission de réflexion sur la viabilité de l’euro mêlant des économistes orthodoxes et des économistes critiques, comme Jacques Sapir, Jean-Luc-Gréau, Gaël Giraud, Paul Jorion ou Frédéric Lordon. La seule existence de cette commission aurait intimidé les Allemands et fait baisser l’euro.
Mais là est la preuve ultime de l’insuffisance intellectuelle et morale des classes supérieures françaises : personne n’ose, hors du Front national, poser la question de la viabilité de l’euro, cette monnaie qu’on doit sans cesse sauver, avec un taux de chômage qui s’emballe et des revenus qui plongent. Même Mélenchon n’y arrive pas. La gauche du PS, les Marie-Noëlle Lienemann et Emmanuel Maurel, en sont incapables et nous proposent des politiques de relance impossibles en économie de libre-échange, qui n’aboutissent qu’à renforcer encore l’industrie allemande.
Et que dire du conformisme europhile de cette institution centrale qu’est le Monde, ou de revues comme « Pas d’alternatives économiques » ? Pour arriver à infléchir tout ça, il faudrait que Hollande soit plus que de Gaulle. Mais il l’a dit, il n’est que normal. Ordinaire même. Mes restes d’espoir, je les mettrais plutôt dans une révolte du Parlement.
Mon fantasme ? Une chambre des députés qui, dissoute par le président, pardon, par le système bancaire, refuserait de se disperser en s’appuyant sur une société exaspérée. Mais peut-on prendre au sérieux quelqu’un qui a pris Hollande au sérieux ?
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