Marine Le Pen et l’euro : amateurisme et/ou incompétence (1/2) ?
Marine Le Pen imagine "une dépréciation de l’euro de l’ordre de 20%" ! Est-ce bien sérieux ?
C'est portant bien cela ! Dans le dossier que le Front national publie sous le nom de Tout ce qu'il faut savoir sur la sortie de l'euro, il est textuellement écrit, au début de la page 2 : "Or, selon un principe de droit international (appelé Lex Monetae) les dettes émises en contrat de droit national sont ré-libellées automatiquement en nouvelle monnaie nationale, selon la nouvelle parité fixée. En clair, 1 euro de dette publique à rembourser se transformerait en 1 franc à rembourser si la parité choisie est 1 euro = 1 franc. Exactement de la même façon que lorsque nous sommes passés à l’euro en 1999. Ainsi, une dépréciation de l’euro de l’ordre de 20% ne renchérirait pas de manière sensible le poids de la dette. En revanche, la fin de l’euro permettrait à la France de se désendetter en cessant de payer les plans de renflouement à répétition des pays victimes de l’euro ; elle relancerait les exportations et donc la croissance et l’emploi ce qui mécaniquement fait baisser le poids de la dette."
Ce serait drôle et digne d'un sketch s'il ne s'agissait pas de notre pays et de la possibilité qu'il soit gouverné, dès le 7 mai 2017, par l'actuelle équipe d'"experts" en économie monétaire du Front national.
Nous avons eu, à la fin des années 1990, avec quelques collègues, le privilège de conseiller les grandes banques françaises de la Place de Paris, lors du passage à l'euro. Nous avons même écrit, en 1998, un livre sur le sujet (Le passage à l'euro…). Livre vendu à plus de vingt mille exemplaires ! De fait, nous estimons, aujourd'hui, être assez bien placés pour voir les inexactitudes, l'amateurisme… voire le sophisme du texte du Front national (FN).
1ère inexactitude (sophisme) : le FN écrit : selon la "[...] Lex Monetae les dettes [...] sont ré-libellées en nouvelle monnaie nationale, [...]" exactement comme lors du passage à l'euro, en 1999 !
Non ! ce n'est pas de la Lex Monetae 1 dont il s'agira dans le cas d'espèce. C'est de la Lex Loci Contractus 2, c'est-à-dire la loi des contrats. Effectivement, c'est toujours la monnaie dans laquelle le contrat a été signé, qui prévaut. Cependant, cela veut dire, que :
- si la monnaie du contrat n'existe plus sur le marché des changes − cas du franc français lors du passage à l'euro − les contractants doivent se mettre d'accord sur le taux change. En cas de désaccord, c'est le tribunal mentionné dans le contrat qui règle le contentieux.
- si la monnaie du contrat existe sur le marché des changes − cas, bien évidemment de l'euro quand Marine Le Pen, élue, voudra revenir au franc français. Il y aura alors 2 cas :
a) si le prêteur est un investisseur non-résident (c'est-à-dire étranger), il devra obligatoirement être remboursé en euros. Tous les tribunaux de la planète lui donneront raison s'il poursuit la France, défaillante, en justice. Il convient de noter que ce cas compose quelque 64% de la dette négociable de notre pays, émise entre 2009 et 2016.
b) si le prêteur est un résident français, il sera remboursé en franc français, au cours fixé par l'État. S'il poursuit l'État, aucun tribunal ne lui donnera raison ! Mais, ayant été spolié − car le "franc Marine Le Pen" sera logiquement largement inférieur à l'euro − cet investisseur ne prêtera jamais plus à l'État, c'est-à-dire à son propre pays !
2ème inexactitude. Celle de grands amateurs : "Ainsi, une dépréciation de l’euro de l’ordre de 20% ne renchérirait pas de manière sensible le poids de la dette.".
Nous pensons qu'il s'agit d'une grossière faute d'inattention, propre à des amateurs qui ne connaissent pas encore bien leur sujet, car ils n'en parlent pas instinctivement. Les "experts" du Front national voulaient sûrement écrire le contraire, c'est-à-dire : "Ainsi, une dépréciation du franc de l’ordre de 20% (par rapport à l'euro) ne renchérirait pas de manière sensible le poids de la dette.".
Cette faute grossière, qu'aucun élève de terminale SES ne fait, montre bien que les équipes du Front national ne sont pas du tout préparées à gouverner quoi que ce soit et surtout pas à conduire − à notre avantage − la sortie de la France, tant de l'Union européenne que de l'euro ! De plus, la sortie de l'UE prendra 2 ans et, le passage de l'euro au franc prendra aussi 2 ans. Le tout coûtera plusieurs milliards d'euros au pays, juste pour changer ou modifier tous nos logiciels de gestion. C'est ce que nous a coûté le passage à l'euro, entre 1999 et 2001 !
In fine, nous pensons : qu'amateurisme, incompétence... et sophisme sont au coeur des équipes économiques de Marine Le Pen. Pourtant, 7,7 millions de personnes 3 ont pensé, ce 23 avril 2017, que cette dame est l'avenir de notre pays !
Heureusement que 39,3 millions de Françaises et de Français pensent apparemment le contraire. Cela devra être quand même confirmé le 7 mai prochain !
(1) décrite, dès 1751, par Ferdinando Galiani dans Della Moneta (Édition Economica, 2005, Paris).
(2) Nicolas Politis : Les emprunts, d'État en droit international…-Primary source Edition (Éditeurs Durant et Pedone-Lauriel,1894, Paris).
(3) Rappelons Proudhon quand il écrivait : "Le peuple, incapable encore de juger sainement ce qui lui convient, applaudit également aux idées les plus opposées, dès qu'il entrevoit qu'on le flatte : il en est pour lui des lois de la pensée comme des bornes du possible ; il ne distingue pas mieux aujourd'hui un savant d'un sophiste, qu'il ne séparait autrefois un physicien d'un sorcier." (Lettre à Messieurs les Membres de l'Académie de Besançon. Paris, le 30 juin 1840).
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