Marseille atypique « laboratoire politique » du pouvoir centralisé ?
Ville-monde, ville paradoxale, ville high tech et numérique, la cité déconcerte, mais son sens du dialogue et son énergie nourrissent son art du vivre-ensemble. On y rencontre une effervescence où se côtoient la politique, l'économie maritime au cœur des échanges euro-méditerranéens, des acteurs culturels de tous genres, le métissage des populations dans un espace qui depuis des siècles défraie toutes les chroniques.
Le tourisme, la création d'une université qui est la plus grande de la francophonie, son commerce florissant s'y croisent et ce sont ses atouts, mais la violence autour des trafics de drogue et du chômage des jeunes, les écarts de richesse entre les habitants représentent ses contraintes.
Terreau de la violence, de la délinquance et du chômage
Ces difficultés en ont fait le « laboratoire politique » de notre Président de la République Emmanuel Macron. A ce propos l’Élysée a récemment dressé un bilan satisfaisant du plan « Marseille en grand ». Cinq milliards d'Euros ont déjà été engagés pour les transports, la rénovation des écoles et des hôpitaux, le renouvellement urbain et la lutte contre l'insécurité représentant si l'on y ajoute les collectivités locales l'injection de 15 milliards d'Euros d'argent public. Mais la deuxième et plus ancienne ville de France est l'une des plus inégalitaire du pays, avec un fort chômage structurel, des espaces devenus des ghettos à la suite du long règne sans partage de Jean-Claude Gaudin.
Sa pauvreté contemporaine est liée au fait qu'il n'y ait plus d'activité économique dans son centre depuis la fin du système industrialo-portuaire dans les années 1970. Et on ne peut invoquer l'insécurité et le fléau du trafic de drogues sans s'attaquer aux problèmes structurels du chômage et de la pauvreté. La région Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA) rebaptisée région Sud affiche un taux de pauvreté de 17,3% en 2021 contre 14% au niveau national, dont 18,7% dans les Bouches-du-Rhône. A Marseille les revenus des 20% des habitants les plus aisés sont 5,4 fois supérieurs à ceux des 20% le plus pauvres.
Le 3ème arrondissement de la ville est le plus pauvre des communes de France métropolitaine et plus d'un habitant sur deux y vit sous le seuil de pauvreté (Source, Insee). Le taux de chômage y atteint 15, 9% en 2020, niveau bien supérieur à la moyenne nationale (8% de la population active). C'est au nord de la ville que l'on rencontre les plus grandes fragilités. Certains jeunes adultes quittent la scolarité de façon précoce et restent sans qualification. Dans les cités où l'on rencontre parfois trois générations de sans-emploi, les chiffres y sont alarmants (+ de 50% de chômage). Dans l'imaginaire véhiculé par le pouvoir politique centralisé, relayé par les médias la ville serait « humilié, mitraillée, rackettée,... épicentre du défi mafieux qui gangrène la France » d'après un éditorial publié le 24 mai 2023 dans le magazine Challenges, pendant que le Président de la République en appelle à la « responsabilisation » des citoyens. Cela n'est pas la meilleure façon de résoudre les réalités observées au bas des immeubles. Pourquoi ces ambitieux discours alors que les politiques publiques achoppent depuis toujours sur le problème de l'emploi et la politique de la ville, s'il en existe ne peut en aucune façon être ramenée à des enjeux de maintien de l'ordre ? Toute ambition de développement implique l'engagement conjoint des élus locaux et des milieux économiques. Mais il n'en est rien.
Les potentialités économiques et géostratégiques
Porte d'accès au confluent de l'Europe, de l’extrême Orient et surtout de l'Afrique continent privilégié, la cité phocéenne bénéficie d'une situation géographique unique en France, adossée à son port et à son bassin industriel. Historiquement les grands projets à Marseille sont nés sous l'impulsion de l'Etat. Quels sont-ils ?
Marseille-Fos est le premier port maritime en France et le deuxième en Méditerranée en tonnes de marchandises et s'étend sur 70 Kms de littoral permettant la réalisation d'espaces industriels, logistiques et urbain avec la création d'un nouveau siège social s'étalant de la Joliette au Pharo. En 2022 il a investi 60 millions d'Euros et s'affirme en tant que lieu des transitions économiques, écologiques et numériques dont plus d'un tiers de projets sont liés aux objectifs de décarbonation. En accueillant une multitude de câbles sous-marins sa filière numérique innovante tient une très bonne place dans la compétition mondiale liée à ces données. Il regroupe 1570 établissements et emploie 42600 salariés en 2019 dont 7600 employés par Le Grand Port Maritime de Marseille (GPMM) et plus des trois quarts des salariés travaillent pour des multinationales (CMA-CGM, Arcelor Mittal, Esso Raffinage...). Ayant réalisé 190 Millions d'Euros de chiffre d'affaires en 2022, la place portuaire poursuit sa croissance dans les projets liés à la transition écologique et devrait créer plus de 6500 emplois en 10 ans de par le dynamisme de ses acteurs.
C'est dans la cité phocéenne qu'auront lieu les épreuves de voile des Jeux olympiques 2024 et une marina a été construite sur la base nautique du Roucas-Blanc.Depuis la promenade de la Corniche, la rade qui s'ouvre de l'Estaque aux Goudes offre un panorama voluptueux.
Le port qui est le poumon économique de la ville s'est orienté dès le début des années 2000 vers l'accueil de bateaux de croisières qui génère 375 millions d'euros de retombées économiques, ce qui n'est pas négligeable d'après Hervé Martel, président de son Directoire. L'essor du port de croisières a accompagné le renouvellement urbain des XVeme et XVIeme arrondissements qui sont des quartiers populaires. Mais certaines compagnies telles Costa et MSC (1) sont pointées du doigt par des élus dont le maire Benoit Payan et un collectif « stop croisières ». Ils considèrent à raison que ces paquebots, vitrines de la ville étant très polluants et consommant énormément d'énergie occultent les dysfonctionnements de leur modèle. Celui-ci ignore ses graves externalités négatives, pollutions, maladies au détriment de la santé des habitants des quartiers nord. Il conviendrait d'éclaircir au plus vite cette position en interdisant l'accès de ces villes flottantes à l'entrée dans le port malgré la réticence d'industriels locaux influents dirigeant « le Club de la Croisière » protégeant leurs rentes de situations.
Enfin, la ville veut creuser l'écran en attirant de plus en plus de productions internationales. L'Etat a alloué 22, 5 millions d'euros dont 15 millions d'euros pour une école de cinéma 5 millions iront à la création d'une antenne de la Cinémathèque pour laquelle Costa-Gavras et 1,5 million pour soutenir la modernisation du pôle média de la Belle de Mai.
Creuset géostratégique, la cité phocéenne belle comme l'azur n'a jamais cessé depuis sa création il y a 2600 ans de brasser des flux de marchandises, d'hommes, de savoirs et d'idées qui en font un carrefour incontournable. Elle s'impose comme une plate-forme d'échanges au confluent de l'Europe, de l’extrême Orient et surtout de l'Afrique continent privilégié de par ses perspectives de développement qui n'échappent pas aux entrepreneurs. C'est cela qu'il faut retenir, au détriment des joutes politiques locales et nationales récurrentes et du déversement de flots médiatiques visant les défis mafieux,et les trafics divers.
Pour comprendre l'identité et l'originalité de la ville, il convient de lire « Les 100 mots de Marseille. » Jeanne Laffitte, Olivier Pastré https://www.puf.com/content/Les_100_mots_de_Marseille
(1) MSC Cruises SA domicilié en Suisse bénéficie d'un taux d’impôt sur les bénéfices trois fois moins élevé qu’en France et pratique une utilisation intensive des paradis fiscaux, avec des filiales au Panama, une à Chypre, une à Malte, et une à Guernesey…
Eliane JACQUOT
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