Marseille devient française au XVème siècle : mieux vaut tard que jamais
Marseille est une ville française. Dit comme ça c’est violent, mais aussi dure qu’elle soit à accepter pour certains d’entre vous, c’est une réalité. On se consolera en se disant que la France nous a absorbés tard dans son histoire et qu’elle l’a regretté plus d’une fois !
Petite remise en contexte : Massalia, cité fondée par des Grecs de Phocée il y a plus de 2600 ans, est un port important de Méditerranée. Ville indépendante alliée des Romains pendant longtemps, elle a le malheur d’afficher sa préférence pour Pompée contre Jules César. Pas content, ce dernier rattache Marseille à la province de la Narbonnaise, lui faisant perdre son indépendance. Nous voilà donc Romains sous le nom de Massilia, mais ce n’est que le début de la valse des rattachements successifs. Après le délitement de l’Empire Romain les lignes bougent, et en 536 les rois Francs conquièrent la Provence et Marseille.
C’est la fin de l’époque antique et notre cité entre dans le giron des rois mérovingiens. Notre ami Charles Martel entre en scène vers 730 et déclare solennellement : « Soyons francs, le royaume est en bordel complet ! ». Bon d’accord, cette dernière citation n’est pas de source sûre, mais le royaume est effectivement en bordel, et Charles est on ne peut plus Franc. Et n’allez pas m’accuser de faire des blagues à deux Francs, puisqu’il n’y en a qu’un seul dans cette histoire. Ceci dit, Charles Martel décide de virer les Sarrasins du Sud du royaume. La même source lui prête cette phrase : « La Provence, tu l’aimes ou tu la quittes », mais là encore les historiens ne sont pas formels. Ces Sarrasins venus d’Espagne pratiquent des razzias qui sèment la terreur. Charles Martel obtient des victoires qui le feront entrer dans la légende, mais il en profite pour châtier ceux qui ont osé pactiser avec les Sarrasins. Et allez savoir pourquoi, il fait piller Marseille… Et comme si ce n’était pas assez les Sarrasins reviennent en 838 et mettent eux-aussi la ville à sac. Youpi.
A la différence de la vision romaine du pouvoir, les rois « barbares » considèrent que le territoire leur appartient en propre et qu’ils peuvent le diviser entre leurs enfants lors de chaque succession. Du coup les frontières bougent sans cesse et en 843, à la mort de Charlemagne, notre ville se retrouve dans la part de son fils Lothaire, dans un royaume qu’on appellera Lotharingie. Dès 855 on se retrouve dans le Royaume de Provence, puis en 870 Marseille intègre le Royaume d’Italie.
Vous suivez toujours ? Super, alors on continue pour se retrouver en 1030. La date est importante car désormais la France existe et les Capétiens règneront dessus jusqu’en 1848. Mais Marseille n’en fait pas partie, au lieu de ça nous faisons partie du Royaume de Bourgogne (parfois appelé Royaume d’Arles en raison de la puissance montante de la ville Camarguaise qui concurrence Marseille). Au siècle suivant Marseille, qui a enfin abandonné son nom romain pour prendre son nom français, est rattachée au Saint Empire Romain Germanique. Maintenant on est presque allemands, on aura tout vu.
Cependant il faut relativiser l’importance de ces rattachements successifs, car nous sommes entrés dans la féodalité, un régime qui se caractérise par sa décentralisation. Marseille vit sa vie, développe ses routes commerciales en Méditerranée occidentale et profite des croisades en Terre Sainte en se posant en lieu de passage des Croisés. Enfin la ville rachète certains droits seigneuriaux pour accroître son indépendance. Il n’existe pas vraiment de sentiment national à cette époque et les Marseillais sont des Marseillais, un point c’est tout. Leur suzerain peut changer, cela n’aura pas d’impact notable sur la vie des habitants.
Vous êtes encore là ? Alors ayez une pensée pour l’auteur de cet article, qui a dû se plonger dans l’histoire médiévale de la Provence. Une histoire peuplée de noms bizarres comme Arlulf, Boson, Gersande, et de liens familiaux tellement incompréhensibles que eux-mêmes s’y perdent et finissent par se marier entre cousins avant que l’Eglise ne se rende compte du problème…
Durant le Moyen-Âge le destin de Marseille dépendra en grande partie de la Provence. Notre région va se trouver au cœur d’enjeux politiques et religieux qui animeront toute la fin du Moyen-Âge. Signalons d’abord que la Provence est devenue un Comté, c’est-à-dire qu’elle est soumise au Roi de France mais ne lui appartient pas. C’est ainsi que fonctionne le système féodal : un seigneur local se place sous la protection d’un seigneur plus puissant et lui offre en échange ses services de chevalier et lui jure fidélité. Mais certains ne se gênent pas pour s’asseoir sur leur serment de fidélité quand leur intérêt change de camp. C’est pourquoi Marseille et la Provence ne sont pas définitivement acquises à la France, le roi ne possède en propre que son domaine royal. Le but de la manoeuvre consiste pour lui à marier ses enfants à de riches héritières grâce à qui une région peut s’ajouter au domaine royal s’il n’existe pas d’autre successeur. Si plusieurs filles héritent d’un même fief leur mari respectif vont généralement le revendiquer et entrer en guerre. C’est ainsi que les Comtes de Toulouse s’opposent aux Comtes de Barcelone pour le contrôle de la Provence.
Les Comtes de Provence peinent à contrôler la ville qui jouit d’une certaine indépendance commerciale. Pourtant un conflit important se prépare pour le contrôle des fiefs provençaux. Par mariages successifs la Provence est tombée sous le contrôle de la maison d’Anjou. La puissance des Anjou leur permet d’accumuler les titres royaux : Naples-Sicile, Jérusalem, Chypre, Acre, Thessalonique, Hongrie, Bosnie. Mais à partir de 1382 deux branches rivales de cette famille se disputent la Provence. « L’Union d’Aix » regroupe alors les villes favorables à Louis Ier d’Anjou au détriment de Charles Durazzo. C’est finalement Louis qui l’emporte, forçant la ville de Nice, qui avait soutenu Durazzo, à se détacher de la France pour se mettre sous la protection du Royaume de Savoie.
En 1423 se produit un tragique évènement aujourd’hui oublié de la majorité : le sac de Marseille par les Aragonais. La cause de pillage n’a rien à voir avec notre bonne ville, puisque c’est le Royaume de Naples, appartenant à Louis III d’Anjou, qui est revendiqué par Alphonse V d’Aragon. Ce dernier se rend à Naples avec une flotte, fait son kéké devant la ville avant que l’armée de Louis III lui inflige une défaite qui le force à retourner en Aragon. Mais au chemin du retour il est extrêmement frustré et décide qu’au lieu de donner des coups de pied dans les portes façon Zidane, il va plutôt se défouler sur un allié de son ennemi. Manque de bol ça tombe sur nous, et la flotte arrive à Marseille le 20 novembre. A l’époque le port de Marseille était protégé par une chaîne tendue entre les deux rives. Les galères d’Alphonse foncent sur la chaîne, ils la brisent et l’emportent en souvenir ! Puis ils pillent la cité, faisant de nombreux morts, et surtout ils dérobent le plus grand trésor de Marseille, les reliques de Saint Louis d’Anjou. Ajoutée à la Peste Noire de 1348 cette épreuve porte un coup à la ville qui mettra longtemps à s’en relever. Pourtant les Marseillais s’opposent à la création d’un nouveau rempart qui séparerait la ville du port, affirmant un peu plus leur lien avec la mer.
La France en 1477
Lorsque le Comte de Provence Charles V d’Anjou meurt sans laisser de descendance en 1480, il lègue par testament la Provence au Roi de France Louis XI. Ce dernier œuvra durant tout son règne à la constitution d’un Royaume de France uni autour du Roi, l’intégration définitive de la Provence au domaine royal en 1487 entre dans ce schéma et place le destin de Marseille en France.
Les conséquences de ce rattachement sont limitées dans un premier temps, mais les rois de France accroissent leur puissance au fil des siècles et le royaume est administré de plus en plus efficacement. La noblesse locale perd de son influence, en partie grâce à l’habileté de Louis XIV qui garde les nobles « sous contrôle » à la Cour Royale et réforme la France à l’aide de personnalités comme Colbert ou Vauban. La position stratégique de Marseille n’échappe pas au pouvoir central qui fait notamment construire l’Arsenal des Galères, agrandir les murailles, fortifier les places clés.
La Révolution terminera d’intégrer Marseille à la France avec ses nombreuses réformes et l’imposition du Français comme langue officielle du royaume. Mais si la ville accueille la Révolution avec enthousiasme, elle se rebelle contre les terroristes de 1793 qui en représailles envoient des membres du Comité de Salut Public pour mater la révolte dans le sang et débaptisent Marseille qui devient « Ville sans Nom » durant quelques semaines. Décidément les Marseillais auront beau être français, ils garderont jusqu’à aujourd’hui cet esprit insoumis qui fait leur charme.
Pierre Schweitzer - News of Marseille
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