Marseille : Et comme l’espérance est violente !
Avant Marseille, je n’avais jamais assisté, en direct, à un meeting de Jean-Luc Mélenchon. A la Bastille, j’étais coincée rue de Lyon et je n’avais même pas entendu son discours.
C’est à Marseille, pour la première fois, que je vais réussir, au prix de deux heures d’attente, assise dans l’herbe près d’une barrière, à me retrouver à dix mètres de l’estrade où il prendra la parole.
Ce jour-là, on a la chance d’un temps radieux, d’un vent léger, d’une lumière printanière sur la mer à l’infini et j’ai le cœur qui bat à l’idée de le voir tout simplement. Parce que c’est lui. Parce que c’est nous.
Ce qu’il représente est d’autant plus grand que le manque était grand. Manque d’espoir, manque d’honnêteté, manque de courage, manque de talent, manque de poésie.
C’est tout cela qui fait battre mon cœur.
J’aurai vécu ces moments-là où les hommes, partout sur notre planète, condamnés à la terreur depuis la forfaiture du 11 septembre, depuis les crises bancaires menées de main de maître, non pas crises mais actions délibérées, étaient livrés à un avenir dont on savait, de plus en plus, qu’il était celui d’esclaves.
La lâcheté : se taire. Baisser les yeux. Ne pas essayer de comprendre car, quand on comprend c’est trop horrible. Voilà ce qu’était notre vie.
Et autour de nous aucun élan. Que des médiocrités, des mensonges, des images en toc.
La parole de Jean-Luc Mélenchon, qui commence à retentir dans le monde entier, a balayé tout cela d’une manière tellement inattendue, souveraine, puissante qu’elle emporte tout sur son passage.
Non pas un tsunami de destruction mais un tsunami d’apothéose, vague lente, majestueuse, transparente, chargée de richesses que l’on croyait noyées et qui les livre à nous, glissant jusqu’à nos rivages avec des embruns de cris et de joie.
La joie ! La joie sublime qui émane de toute chose en ce monde ! De la lumière, de l’espace, de la beauté, de la nourriture offerte à foison ! Nous vivons dans un monde généreux où la mort n’est que le champ de nouvelles vies.
Je ne saurai vous dire combien nous étions à Marseille, face à la mer violette. Je n’étais que la cellule d’un grand corps. Avec une dizaines de cellules autour de moi, tout aussi patientes que moi, embarrassées dans leurs drapeaux qui deviendraient les ailes de notre émotion collective. Chrysalides avant de devenir papillons…
Je suis privée de ce que j’ai connu à Paris, la possibilité d’aller tout au long du cortège et de sentir son immensité grandissante. Comme je suis à une place de choix, je m’accroche. Même dans la peur. Car je suis assez agoraphobe. Mon père, journaliste sportif au Provençal et chantre de l’OM, était à Bastia lors de l’effondrement d’une des tribunes du stade. Les rares fois où je suis confrontée à la presse de la foule, comme à Nation, il y a un mois, je sens immédiatement quelle catastrophe pourrait naître sur une simple bousculade. Le travail du service d’ordre du Fdg, n’en est que plus immense et précieux. Pas un incident à la Bastille, c’est incroyable !
Comme je suis très près de gigantesques haut-parleurs je reçois tout le concert qui précède comme une pluie de marteaux à l’intérieur de mon corps. Je ne peux pas supporter ça. Je ferme les yeux. Je prends patience. C’est un supplice.
Commencent, enfin, les orateurs. Clémentine Autain fait un discours vif, passionné, on la sent portée par les circonstances, la foule, cette incroyable aventure. Elle va rappeler que c’est à Marseille, lors des défilés sur la Canebière qu’est né le fameux slogan « Tous ensemble, tous ensemble, ouais ! ouais ! » Et ce rappel va préparer les plus beaux échanges à venir. Un problème me frappe alors : celui de la voix. Les filles et les femmes ne sont pas privilégiées en tant qu’oratrices. Voix trop aigüe, trop acide. Quand Pierre Laurent prend à son tour la parole, lui aussi stimulant et passionné, mais aussi enroué que Hollande, il n’en est pas moins limité par ce problème.
Voilà pourquoi lorsque Jean-Luc Mélenchon monte sur la tribune, invisible à mes yeux pendant un moment, car il disparaît sous les drapeaux, les caméras, les appareils photos, quand il commence à prendre la parole, ce qui me frappe aussitôt, c’est l’incroyable puissance de sa voix. On ne s’en rend pas compte à la télé car les micros mettent tous les orateurs à égalité. Mais là, c’est un prodige. Il a la puissance vocale d’un Pavarotti que l’on comparerait à des chanteurs de variété. C’est un don. Cela ne s’explique pas. La puissance de sa détermination est d’abord la puissance d’une gorge, d’une poitrine et d’un ventre qui crée, autour de lui, comme une onde circulaire qui le dépasse largement et s’élance, sans fatigue, sans effort apparent, dans des accents, des variantes qui appartiennent au registre d’un virtuose.
Pourtant face à Marseille, face à cette plage débordante où l’on a annoncé 120 000 personnes, face à la mer , au ciel clair, à l’immense vague des drapeaux et des cris, pénétré d’un bonheur que son visage ne cache pas, le maître, pour une fois, est débordé par ses disciples.
Ce sera une des caractéristiques du meeting de Marseille. Il y aura entre la foule et l’orateur des échanges qui n’avaient pas existé jusqu’à présent. Dans ses autres meetings, l’orateur savait d’un regard calmer les voix et les appels. Mais là, la relation sera plus amoureuse, plus tumultueuse et à plusieurs reprises il se laissera faire.
Dès les premiers mots, il s’abandonne, il avoue : « Que vous êtes beaux… »
C’est l’aveu d’un moment de bonheur unique. On l’imagine taraudé, jour après jour, par l’enjeu, les pressions, l’épuisement, les ennemis, le doute. Et là soudain, dans la lumière, tout simplement il goûte à cet amour qu’on lui manifeste et qui ne veut pas se taire.
A plusieurs reprises, il sera pris par la foule.
Novice dans l’art des manifs, coincée entre des voisins où chacun défend son bout de gras pour préserver une petite fenêtre de visibilité, ayant été obligée de lutter pour éliminer les appareils photos et les caméras qui cachent tout, un drapeau dans une main, je m’aperçois qu’il est très difficile d’applaudir de l’autre ! Du moins je peux participer au ballet des drapeaux. C’est une des beauté de ces manifs, qui, lors de cette élection, dépasse tout ce que l’on a vu jusqu’à présent. Et commence une chorégraphie, comme une houle, qui s’apaise et reprend quand telle expression, tel mot suscite l’enthousiasme.
Oui, sans cesse, la foule agite l’onde des drapeaux, prend la parole et ne veut pas la quitter. Ce sont les choeurs de « Résistance ! » ou du fameux « Tous ensemble ! ».
Il y aura un moment prodigieux. Le « Tous ensemble ! » commencera et s’envolera dans une accélération dynamique sans que l’orateur, à aucun moment, veuille ou puisse l’interrompre. Il y aura aussi cet instant audacieux où des voix exploseront « Mélenchon président, Mélenchon président », cri que l’on sait interdit mais qui là, pour une fois, s’impose et auquel Mélenchon qui, dans un premier temps, fait signe qu’il ne veut pas l’entendre, s’abandonne tout à coup, vaincu, riant de cette bonne blague marseillaise, à toute cette foule qui parle d’amour à celui qui lui parle d’amour.
A plusieurs reprises je pleure. Pour la beauté des mots, cette « mer violette » qui jaillit tout à coup dans un grave magnifique. Pour cette sincérité d’une parole qui est tellement plus qu’un discours, qui va fouiller dans les anciennes peines, les retrouve, les arrache et rend tout à coup les âmes à la légèreté de l’espoir.
Pourquoi des larmes de joie ? Il y a tant de courage chez les hommes, tant de circonstances douloureuses où ils maîtrisent leur peine. Mais elles restent en eux et lorsque vient le moment de la paix, elles, les interdites pendant les guerres, elles coulent librement, s’offrant au jour nouveau qu’elles ont su attendre.
Certains diront que ces assemblées, ces foules « fanatisées », j’emprunte un vocabulaire ennemi, peuvent être dangereuses.
Mais tout est dangereux dans l’excès. « Tout est poison. Rien n’est poison. C’est la dose qui fait le poison. », écrivait Paracelse, l’alchimiste pour qui son art devait séparer le faux du vrai. Vaste ambition qui est aussi celle de ces élections.
Oui, les foules sont heureuses et radieuses. Aussi. Pleines de promesses. C’est Nietzsche qui a le mieux parlé de cette joie retrouvée des foules dionysiaques quand la fraternité renaît, quand la solitude d’Apollon est vaincue, quand la terre bénévole dispense ses dons, quand les bêtes féroces des monts et des déserts s’approchent paisiblement, quand l’esclave est homme libre. Naît soudain l’évangile de l’harmonie universelle, chacun se sentant non seulement uni, réconcilié, confondu avec son prochain, mais un avec lui. C’est le temps des chants, des danses et des cris quand l’homme se manifeste comme membre d’une collectivité qui le dépasse. Il se sent dieu. Porté au‑dessus de lui-même, il foule le sol, extasié, comme dans son rêve il a vu faire les dieux.
L’homme n’est plus artiste, il est devenu œuvre d’art.
C’est tout cela que nous vivons ensemble.
Nous sommes engagés dans une aventure historique collective. Nous sommes les héritiers de luttes qu’il faut mener à leur terme. Au nom de la paix et de l’harmonie qui font partie de notre héritage. Nous avons cette chance infinie de rencontrer une voix qui porte toute les voix.
Nous sommes fondus dans le creuset de cet espoir.
Nous, l’or du peuple d’où naissent les légendes.
Marseille ! Là où autrefois une femme prit pour époux un étranger descendu d’un bateau, cet homme même qui apportait la richesse de sa civilisation !
Au bord de cette mer violette chantée par Homère, un vers d’Apollinaire m’est venu en mémoire :
Comme ma vie est lente
Et comme l’espérance est violente.
Oui, comme l’espérance cogne en nous, violente, vivante, vibrante.
Elle est devenue notre sang et nos pensées.
Même nous tuer ne la ferait pas disparaître.
A demain !
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