Marseille, territoire perdu de la République
Marseille est en colère, à l'issue de l'effondrement meurtrier de trois immeubles de la rue d'Aubagne le 5 Novembre 2018 dans le quartier populaire de Noailles, à deux pas de la Canebière. Ce drame a provoqué la mort de huit personnes, et au cours des jours suivants l'évacuation d'un grand nombre d'immeubles vétustes dans le centre-ville, 111 recensés.
Habitat indigne, part d'ombre qui touche au fondement même de l'appartenance à la cité
Christian Nicol, inspecteur général honoraire de l'administration du développement durable, dans un rapport prémonitoire sur l'insalubrité du parc immobilier marseillais, en mai 2015, soulignait déjà l'urgence d'une situation où 40000 logements présentaient un risque pour la santé ou la sécurité de 100000 personnes, soit un habitant sur 8 environ, et 13% du parc des résidences principales .A partir d'une analyse critique des opérations « non réalisées « par la ville et la communauté urbaine, résultant de décennies d'inaction publique, ce rapport établissait une longue liste de préconisations destinées à la mise en œuvre d'une stratégie de résorption des immeubles menacés de ruine. Christian Nicol, interrogé peu après l'accident souligne à nouveau qu'à Marseille « on ne perçoit pas une volonté municipale de prendre à bras-le-corps le problème du logement indigne et dangereux, en utilisant tous les leviers juridiques que la loi confère aux maires. »
Dans une métropole comme Marseille, deuxième ville de France, le fléau de l'habitat indigne qui devrait être vigoureusement combattu révèle d'un choix politique qui n'existe pas. A ce propos, la société Soléam, chargée de mettre en œuvre le réaménagement du centre-ville a publié au mois de Janvier de cette année un rapport indiquant que sur les 3450 logements recensés, 48% des immeubles, soit environ 1600 logements, sont considérés comme du bâti indécent ou dégradé. Mais à l'issue d'" une unique réunion consacrée au projet de rénovation, il a été décidé que le protocole imaginé par l'équipe en charge du plan guide devra attendre le prochain mandat ".( Source Marsactu)
En résumé, le centre-ville doit être attractif pour les touristes au détriment des habitants Toujours d'après la mairie la rénovation d'un tel parc d'immeubles insalubres représente une tache coûteuse et compliquée compte tenu de la multiplicité des interlocuteurs ! A celles des propriétaires, souvent marchands de sommeil, s'ajoutent les compétences partagées entre l’État et la municipalité .Désormais Ministre chargé de la Ville et du Logement, Julien Denormandie avait présenté le 10 Octobre à la préfecture de Marseille une stratégie dans laquelle la ville apparaît comme un des 14 sites de priorité nationale du plan « Initiatives copropriétés », mis en œuvre à partir de Janvier 2019.
Mais Il aura fallu l'écroulement de ces deux immeubles pour que l’État se préoccupe de ce combat. Le gouvernement a annoncé des mesures par un courrier a été envoyé le 13 Novembre au Maire de Marseille et à la présidente du Conseil Général visant à établir une politique partenariale qui suppose « l'engagement sans faille et durable de tous les acteurs », la situation de la ville devenant une priorité absolue dans le cadre d'une « lutte sans merci contre les marchands de sommeil qui exploitent la misère d'un grand nombre de nos concitoyens. » L’État semble ici vouloir reprendre la main, en mettant la ville sous tutelle, mais les habitants évacuées attendent des actes, face à l'inertie des acteurs locaux.
Une pauvreté sans issue ?
Il n'est un secret pour personne que Marseille est l'une des villes les plus pauvres de France, avec un chômage structurel, des inégalités frappantes et des mécanismes de redistribution ne fonctionnant pas. La Canebière, jouxtant le quartier Noailles dessine la frontière entre les Quartiers Nord composé essentiellement d'un ensemble balkanisé de cités de tailles diverses, face à l’opulence des Quartiers Sud, proches de la mer, longée par un balcon somptueux, la Corniche. Cette pauvreté contemporaine est liée au fait qu'il n'y ait plus d'activité industrielle dans le centre-ville, depuis la fin du système industrialo-portuaire dans les années 1970. Les pauvres qui y habitent ne sont pas des migrants fraîchement débarqués, mais des citoyens établis, en grande partie sans occupation professionnelle. Une étude de l'INSEE réalisée en juin 2015 établit les statistiques suivantes :
- le 3ème arrondissement ( Belle de Mai) est le plus pauvre des communes de France métropolitaine, avec plus d'un habitant sur deux qui vit sous le seuil de pauvreté ( 51, 3%)
-le 1er arrondissement ( Noailles) regroupe 42,1% de population vivant sous le seuil de pauvreté .La même année, le rapport Nicol soulignait la précarisation financière des ménages :
Dans les 1er, 2eme, 3eme, 14eme et 15eme arrondissements, le Revenu Brut imposable médian des ménages varie de 6000€ à 8000€ par an, et à l’échelle de la ville, 25% des habitants vivent sous le seuil de pauvreté. Les locataires n'ont d'autre choix pour se loger, que de se tourner vers le privé dégradé. Il est évident que pour combattre et éradiquer la pauvreté, celle-ci ne doit pas être que chiffres et statistiques.
Face à cette déplorable situation, on constate depuis les années Defferre un mode de gouvernance clientéliste installé à la mairie, né de l'appauvrissement de l'action publique nationale. Les premiers employeurs sont l'État et les collectivités locales. Les Élus et notables contrôlent la distribution des emplois de la fonction publique territoriale et des logements sociaux. On y observe 12000 emplois à l'institution communale, 4000 à la communauté des communes ( MPM) 2000 à la région, 4500 au Conseil Général soit au total 22500 emplois sans compter leurs satellites associatifs que sont les CIQ ( comités d’intérêt de quartier ). Face à ce personnel pléthorique et en partie inefficient, la municipalité ne sait pas que faire des ses pauvres et continue, nous l'avons vu, à faire une " mauvaise utilisation de la boite à outils de la lutte contre l'habitat indigne " ( Rapport Nicol), qui pointe aussi le fait que le savoir-faire est insuffisant dans les différents services, Ville et État. A-t-on affaire seulement à de l'incompétence, où est-on en présence d'une méthode politique, d'un déni absolu de la situation réelle ? Car depuis 23 ans, la mairie dirigée par Jean-Claude Gaudin mène une politique de reconquête du centre-ville visant à repousser plus loin les habitants modestes et en appelle à l’État afin que la réglementation évolue pour faciliter et accélérer l'action publique. Le gouvernement, par l'intermédiaire du Ministre du Logement lui a donné une réponse claire en soulignant que la situation de Marseille était une priorité absolue pour le ministère.
Marseille fraternelle et solidaire se réveille
Face au chômage structurel et à la pauvreté endémique, il n'y a pas de remède miracle, mais face au drame de la rue d'Aubagne, une énergie naissante a surgi du cœur populaire de la ville. Un immense mouvement de solidarité s'y est développé afin de venir en aide aux sinistrés, sous la forme de collectes de fonds, de dons d'habits et d'équipements auprès de la Croix Rouge locale, du Samu Social... L'ordre des avocats a lancé un numéro vert gratuit à destination des victimes, les étudiants de l'IAE d'Aix-en-Provence ont assuré une collecte, l'Olympique de Marseille a effectué un don de 40000 EUROS à la Croix-Rouge. Il s'est agit ici de faire bouger les lignes à l'encontre de la résignation à partir de formes de résistances populaires quotidiennes propres à la ville au travers d'un nombre impressionnant de collectifs, d'associations à caractère social, de médias indépendants tels que Marsactu, d'étudiants et artistes du centre-ville disposant du capital culturel nécessaire pour s'indigner.
1 : pour aller plus loin : Michel Péraldi, Claire Duport, Michel Samson , Sociologie de Marseille, 2015
2 : Billet de blog Marsactu, la mort des pauvres est silencieuse
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