Marseille : un immeuble soufflé par une explosion
Mercredi 12 avril 2023, en fin d'après midi, six corps sans vie avaient été extraits des décombres. Le nombre d’habitants présents dans l’immeuble au moment du drame a été établi à partir du nombre d'appartements, des listes électorales, des appels de proches, du cadastre, l'administration fiscale, compagnies de service (eau, gaz, électricité) et du voisinage. Deux occupants sont toujours recherchés et un doute subsiste. Une copropriétaire louait occasionnellement des chambres et un petit studio situés au rez-de-jardin. Étaient-ils occupés au moment de l'explosion ?
Le drame s’est produit dans la nuit du 8 au 9 avril au numéro 15 rue de Tivoli dans le 5e arrondissement de Marseille. L'immeuble de quatre étages, large de trois fenêtres en façade sur rue, situé dans un secteur connu pour ses bars restaurants et sa vie nocturne comprenait cinq logements. A 00H46 « tout a tremblé, on voyait les gens courir et il y avait de la fumée partout, l’immeuble est tombé sur la rue. (...) Il y avait une très forte odeur de gaz ». Les occupants d'une quarantaine d'immeubles ont du être évacué et l’ensemble du secteur fermé à la circulation. L'immeuble au numéro 17 de la rue de Tivoli s'est effondré vers 7 heures.
Comme cela est souvent le cas pour ces immeubles anciens, on constate l'absence de chaînage d'angle, et des murs extérieurs composés de deux faces maçonnées remplies en leur milieu d'un mélange de pierraille, de terre, voire de sable faiblement dosé en liant (chaux). Les immeubles s'écroulent selon leur structure et la nature de l'explosion. Ce type de construction est très sensible aux poussées latérales ; les murs s'effondrent vers l'extérieur, la partie supérieure est soulevée avant de s'effondrer vers l'intérieur, les planchers et plafonds se détachent et s'entassent les uns sur les autres. L'immeuble s'affaisse sur ses fondations et forme un enchevêtrement de pierres, poutres, hourdis, mobilier. L'amas de décombres recèle très peu d'espaces vides (nids) comme on en rencontre dans les structures en béton armé.
Les façades des immeubles fragilisés ont été placées sous surveillance télémétrique. Des lasers détectent le moindre mouvement d'avant en arrière de quelques millimètres des structures et déclenchent une alarme sonore (110 dB) afin d'éviter tout sur-accident. « Pour l'instant, ça ne bouge pas, mais les vibrations de la grue et le décaissement peuvent présenter un risque. (...) Les recherches se sont concentrées en priorité sur l'arrière des bâtiments, où se trouvaient la plupart des chambres à coucher. (...) Le lent déblaiement se poursuit maintenant vers l'avant, côté rue, où étaient disposées la plupart des pièces à vivre. (...) On a déjà enlevé près de 500 m3 de décombres, mais il en reste, il faut compter environ un mètre d'épaisseur de gravats par étage ».
Le choix de l'engin de terrassement et celui des camions-bennes dépend du volume de gravats à déplacer. Le volume des parties maçonnées : murs, planchers, , charpente et toiture (déduire les ouvertures) est majoré d'un coefficient de remplissage correspondant aux objets, mobilier, électroménager, soit environ 0,3/m3 du volume de la pièce. Le volume des gravats en place (Vp) formant un tas d'éboulis hétérogène est pondéré avec un coefficient de foisonnement (Cf). Les camions chargés de gravats sont numérotés et enregistrés avant d'aller déposer leur chargement dans un site d'exploitation surveillé pour y être criblé par les fonctionnaires de la police technique & scientifique. Le moindre détail peut servir à l'enquête, un matériau fondu indique une température en un endroit, une canalisation arrachée une contrainte, une poutre brûlée un sens de propagation, etc.
Les enquêteurs vont devoir établir la succession d'événements à l'origine du drame. L'incendie est-il à l'origine de la détonation ou l'explosion à l'origine de l'incendie ? s'agit-il d'une partie commune ou privative, d'une installation vétuste, du non respect d'une norme, de travaux publics jouxtant la canalisation, etc. Les causes d'une explosion ou d'une déflagration sont multiples : imprudence (linge mis à sécher proche d'une source de chaleur, fumer au lit, barbecue, etc.) - criminelle (faire disparaître des traces, retarder une identification, arnaque à l'assurance) - suicidaire - accidentelle par négligence (manque d'entretien) ou par ignorance. Des produits anodins peuvent être à l'origine d'une explosion. Une petite dose de lessive contenant du silicate ou zéolites mélangée à un produit contenant des agents tensions actifs peut exploser ! Aucun avertissement ne figure sur les emballages...
L’incendie est une réaction chimique d’oxydation se développant sans contrôle dans le temps et dans l’espace. Le « triangle du feu » réunit : l'énergie d'activation (flamme, chaleur, étincelle, décharges électriques, électricité statique) - un comburant (l’oxygène présent dans l’air) - un combustible (solide, liquide, vapeurs inflammables). L’explosion se caractérise par trois autres éléments qui s'ajoutent à ceux du triangle du feu : confinement (espace clos) - présence de produits en suspension (vapeurs, gaz, aérosol, poussières) - une certaine concentration d’explosivité. En supprimant un des composants du triangle du feu on se prémunit du risque de feu et d'explosion (hexagone de l’explosion).
Tous les gaz inflammables sont explosibles dès lors que leur mélange dans l’air ambiant atteint leur « plage d'explosivité » : entre 5 % et 15 % pour le gaz naturel (mélange de méthane (CH4) et d'éthane (C2H6) - 1,8 % et 8,4 % pour le butane (C4H10) - 2,2 % et 9,5 % pour le propane (C3H8). Ce rapport atteint, une étincelle ou une source incandescente suffit à enflammer le mélange. En dessous de la limite inférieure et au-dessus de la limite supérieure du mélange gaz/air, il n’y a pas de risque d’explosion de grande ampleur. S'il faut plusieurs heures pour que l'air ambiant d’une pièce soit rendu explosif (cela dépend du débit de gaz, du volume de la pièce et de la ventilation), quelques minutes peuvent suffire à entraîner la détonation d'une poche de gaz.
La détonation se caractérise par l'apparition soudaine et brutale d'énergie sous forme gazeuse, de chaleur et onde de choc (effet de souffle). On différencie l'explosion, onde de choc à vitesse supersonique avec élévation rapide de la pression, de la déflagration qui se propage par conduction thermique à vitesse subsonique (330 m/sec) avec montée en pression beaucoup plus lente. Si l'explosion génère de petits éclats projetés à grande vitesse, la déflagration reste très destructrice à l'intérieur d'un bâtiment. Une surpression de 100 grammes par centimètre-carré donne une poussée d’une tonne par mètre-carré. Effets de la surpression : 0,03 bar bris de vitres - 0,2 bar fissuration de murs en parpaings - 0,5 bar écroulement de murs de briques - 0,7 bar destruction du bâtiment .
Une explosion de gaz reste un accident domestique majeur : incendie - brûlures - intoxication - blessures - polytraumatismes - surdité - blast pulmonaire - ensevelissement - crush syndrome (effondrement de parties bâties) - trauma psychologique. « Si les explosions impliquant la destruction d’un immeuble trouvent leur source dans la rupture de la chaîne de prévention avant compteur (canalisation, travaux, glissement de terrain) la plupart des accidents dus au gaz n’impliquant souvent qu’un logement sont dus à des comportements inadaptés, voire au non respect de la réglementation de la part des usagers ». Selon Gaz de France, qui alimente 8,5 millions de foyers, 50 % des logements utilisant le gaz naturel, la sécurité des installations et des appareils, après compteur, est jugée insuffisante, voire dangereuse.
La gravité de ce risque impose des précautions :faire ramoner les conduits d’évacuation et cheminées ;
faire vérifier les appareils dans le cadre d'un contrat d’entretien ;
ne pas obturer les grilles d'aération et les nettoyer ;
aérez régulièrement la chaufferie et y installer un extincteur classe C (gaz) ;
nettoyer les brûleurs de la gazinière (flamme de couleur bleue) et le filtre de la hotte aspirante ;
vérifier l'état du tuyau reliant la gazinière au robinet ;
fermer le robinet d’arrivée de gaz au compteur lors d'une absence ;
remplacer le robinet d’alimentation par un système VISSOGAZ ;
installer un détecteur d'incendie et de gaz ;
ne pas entreposer de produits inflammables à côté d'une source de chaleur ou électrique ;
faire exécuter tous travaux par un professionnel du gaz agréé ;
souscrire multirisques (propriétaire, locataire ou colocataires) ;
afficher le plan du sous-sol et du rez-de-chaussé dans le hall de l'immeuble.
Si on soupçonne une fuite de gaz : ouvrir les fenêtres immédiatement - couper l’arrivée de gaz - éviter toute action pouvant provoquer une étincelle (interrupteur, disjoncteur, téléphone, sonnette, ascenseur). Si la fuite est enflammée, il y a peu de risque d'une explosion. Il suffit de fermer le robinet d’alimentation - prévenez les voisins (frappez aux portes) - Si possible, actionner la vanne de barrage du bâtiment - évacuez l'immeuble - s'en éloigner pour se placer à l'abri - appeler le 18 ou le 112 - interdire l'accès à la zone - attendre l'autorisation des autorités pour revenir dans les appartements, et le passage des agents GRDF pour la remise en fonctionnement de l'installation.
Mardi après-midi 11 avril, l'hypothèse d'une explosion au gaz semblait se confirmer : « Ce que nous savons, c'est que seuls le rez-de-chaussée et le 1er étage étaient équipés en gaz, les autres étant passés au tout électrique. Ce qui est intéressant, c'est que nous avons pu récupérer le compteur de gaz du premier étage, celui de madame Vaccaro, c'est un compteur particulier, un Gazpar, équivalent du compte Linky pour le gaz. Les données de cet élément sont en cours d'exploitation par GRDF à Paris pour vérifier s'il y a eu une consommation anormale dans les 24h précédant l'explosion » madame le procureur de la République Dominique Laurens.
Le fils du couple installé au rez-de-chaussée, un policier à la retraite, a déclaré : « La question du gaz et de l’explosion provient tout simplement d’une problématique liée à l’habitante du 1er étage, une personne âgée que je connaissais et que j’aimais beaucoup, qui devenait sénile et qui malheureusement se réveillait la nuit, se faisait à manger et oubliait le gaz allumé. (...) Mes parents ont signalé plusieurs fois le problème aux services sociaux. Le but n'était pas de chasser Antoinietta de chez elle, mais bien de la protéger. Aucune suite n'a été donnée à ces sollicitations. (...) Mes parents ont même payé de leur argent une cuisinière électrique et lui ont installé, mais elle refusait l'électricité ». La nièce de l'occupante reconnaît l'installation de la cuisinière électrique, mais de confirmer que sa tante l'utilisait depuis plusieurs jours. Les comparaisons horodatées entre les compteurs Linky et Gaspar devraient apporter des éléments tangibles. Une remarque, une correction, une précision ?
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