Martti Ahtisaari, un Nobel pour la paix... des mauvaises consciences
Vendredi dernier le prix Nobel de la Paix 2008 fut attribué à l’ancien président de la Finlande Martti Ahtisaari, âgé de 71 ans, pour son rôle de médiateur dans de nombreux conflits de par le monde au cours des trente dernières années. Plusieurs fois candidat à la prestigieuse distinction, Ahtisaari rafla la mise au nez et à la barbe des 196 autres candidats en lice comprenant des dissidents chinois et militants russes pourtant donnés comme favoris…
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Parmi les succès à l’actif de notre globe-trotter de la paix, dont il fit une véritable profession, voire un business avec la création de l’ONG ‘Crisis Management Initiative’ (CMI) en 2000, l’accession pacifique de la Namibie à l’indépendance fut, de la bouche même du récipiendaire, sa médiation « la plus importante » pour laquelle il s’impliqua de 1977 et 1990. C’est également lui qui, via la CMI, présida en août 2005 à l’accord de paix entre le gouvernement indonésien et les ex-rebelles indépendantistes du Mouvement Aceh libre (GAM), mettant fin à un conflit qui fit environ 15 000 morts en pratiquement trente ans.
Sans vouloir dénigrer les talents d’intermédiaire d’Ahtisaari dans cette affaire, il est toutefois manifeste qu’il a su surfer sur la vague du terrible tsunami qui, sept mois auparavant, ravagea la quasi-totalité de la province d’Aceh, située à quelques encablures de l’épicentre du funeste tremblement de terre du 26 décembre 2004. Quelque 100 000 personnes y perdirent la vie et presque un demi-million d’individus demeura sans abri. Dans de telles circonstances, il n’est pas exagéré de dire que des conditions manifestement favorables furent créées pour mettre un terme à un conflit qui, selon Wikipedia, avait déjà beaucoup perdu de son souffle du seul fait de l’épuisement des réserves de gaz naturel dans la région. Le partage des revenus engendrés par leur exploitation, dénoncé comme inique par le GAM, ayant été la cause principale du différend.
Le troisième grand dossier sur lequel s’est penché notre heureux élu fut celui de la province serbe du Kosovo, dont il préconisa l’indépendance. Le plan qu’il élabora à cette fin ne fut cependant jamais adopté au Conseil de sécurité de l’ONU, où la Fédération de Russie menaça d’exercer son veto. Celle-ci estima que cela équivaudrait à une violation du droit international car portant atteinte au sacro-saint principe de l’inviolabilité des frontières et représentant une sérieuse atteinte à la souveraineté des Etats du fait de l’opposition farouche de la Serbie à la sécession de sa province. Interrogé par l’AFP, le secrétaire du comité Nobel Geir Lundestad consentit à reconnaître que « tout ce qu’a fait M. Ahtisaari » ne s’est pas « traduit par un succès », mais il a eu des « réussites magnifiques », et d’ajouter qu’il « n’y a pas d’alternative à un Kosovo indépendant ». A l’annonce du lauréat, le président du comité Nobel norvégien Ole Danbolt Mjoes expliqua que les efforts d’Ahtisaari contribuèrent « à un monde plus pacifique et à la ‘fraternité entre les nations’ dans l’esprit d’Alfred Nobel ».
Question fraternité, la partie est encore loin d’être gagnée entre les Serbes et les Albanais au Kosovo et au-delà, et c’est bien là que le bât blesse…
C’est en tant qu’envoyé spécial du Secrétaire général de l’ONU qu’Ahtisaari entreprit de mener les négociations sur le statut du Kosovo à partir de novembre 2005, à peu près un an après avoir abandonné le poste de président de la très influente ICG (International Crisis Group), une ONG basée à Bruxelles, dont il devint alors l’un des deux présidents émérites. L’ICG, dont le conseil d’administration est un véritable catalogue de personnalités ayant fait la pluie et le beau temps en matière de relations internationales ces dernières années, inclut, entre autres, Zbigniew Brzezinski, George Soros, Morton Abramowitz, Wesley Clark, Richard Armitage, Paddy Ashdown, Joshka Fischer, Kofi Annan et même une certaine Christine Ockrent. Cette ONG se mêle de donner son avis sur toutes sortes de conflits dans le monde et n’est pas avare de conseils appuyés sur la façon de les résoudre. Dans le cas précis du Kosovo, ce fut l’un des principaux avocats de l’indépendance de la province serbe, qu’elle réclama à cor et à cri tout en faisant de Belgrade sa véritable tête de turc (ou gagne-pain, selon la manière de voir les choses).
Ce n’est qu’après avoir longtemps tergiversé qu’Ahtisaari accepta la mission et ce seulement après avoir obtenu la confirmation que le résultat final serait l’indépendance de la province rebelle. Ceci, avouons -le, lui facilita grandement la tâche, et son job consista essentiellement à faire le relais entre les grandes puissances impliquées en vue de peaufiner les contours de ce futur Etat sous la tutelle de la communauté internationale. C’est ainsi qu’il se préoccupa assez peu des parties en présence, qu’il ne rencontrera que relativement rarement pendant les quelque seize mois de sa médiation, laissant à ses associés le soin de gérer les discussions techniques avec elles. Celles-ci ne résultèrent d’ailleurs pas d’une confrontation d’idées ou propositions soumises par les délégations de Belgrade ou Pristina, mais tournèrent autour des suggestions émises par les médiateurs eux-mêmes. Alors que les Serbes se plaignirent constamment de ne pas être écoutés, et pour cause, les Albanais du Kosovo se distinguèrent dans leur rôle de docile béni-oui-oui gobant pratiquement toutes les suggestions de l’équipe d’Ahtisaari avec le sourire aux lèvres car désormais convaincus de tenir le bon bout. L’équipe d’Ahtisaari fut d’ailleurs efficacement épaulée sur le terrain par la Mission intérimaire des Nations unies au Kosovo (Minuk), au sein de laquelle elle puisa nombre de ses cadres.
Ce total mépris pour la position de Belgrade, doublé d’incessantes allusions relatives à l’inéluctabilité de l’indépendance du Kosovo émises par des officiels occidentaux, britanniques pour la plupart, fut particulièrement illustré par le courroux des négociateurs belgradois qui, le 25 août 2006, révélèrent qu’Ahtisaari leur avait asséné quelques semaines auparavant que les « Serbes étaient coupables en tant que nation ». Cette accusation, que l’intéressé ignora longtemps puis rejeta, ne remis nullement en question le cours des soi-disant négociations malgré les véhémentes protestations de Belgrade. Quelques semaines plus tard Ahtisaari bouclait son plan pour l’indépendance du Kosovo dont l’annonce fut cependant reportée de quelques mois du fait de la tenue d’élections parlementaires en Serbie en janvier 2007, et ce de peur de voir les forces dites nationalistes triompher s’il était alors rendu public.
Au printemps suivant (2007), les deux parties furent invitées à débattre du plan dans une dernière série de rencontres très médiatisées dont le véritable but était de faire la démonstration par l’image de l’impossibilité de les voir parvenir à un accord. Il en résulta que le document soumis par Ahtisaari fut présenté comme étant le seul sur lequel s’appuyer pour résoudre le conflit, toutes les propositions d’autonomie élargie soumises par Belgrade ayant été systématiquement écartées d’office. A partir de ce moment, les parrains de l’indépendance du Kosovo, à savoir les Etats-Unis et les principaux pays de l’Union européenne, prirent le relais du négociateur de l’ONU et s’efforcèrent de faire adopter son plan par le Conseil de sécurité des Nations unies pendant l’été. Tous leurs efforts furent vains cependant du fait de la menace de veto de la part de la Fédération de Russie et ils se résolurent à un dernier cycle de pseudo négociations limitées à quatre mois et menées sous la supervision d’une troïka US-EU-Russie. Celui-ci visait à donner suffisamment de temps aux principaux pays de l’UE pour resserrer les rangs de l’union et éviter que les opposants à l’indépendance de la province serbe n’entravent l’envoi de la mission EULEX concoctée par les commissaires Javier Solana et Olli Rehn. Dès lors que tout fut prêt les autorités de la province reçurent le feu vert attendu et firent sécession le 17 février 2008. L’Afghanistan fut le premier pays à reconnaître cette nouvelle ‘réalité’.
A ce jour, soit huit mois après sa proclamation unilatérale d’indépendance, le Kosovo est reconnu par 50 pays. Loin d’avoir intégré la communauté internationale pour autant, ce processus se voit désormais menacé par le vote de mercredi dernier à l’Assemblée générale de l’ONU, qui accepta massivement la requête de la Serbie d’obtenir un avis de la Cour internationale de justice (CIJ) de La Haye sur la légalité de l’indépendance déclarée de sa province. Ceci représenta un camouflet pour les Occidentaux de la part du reste du monde, qui s’avère très préoccupé par le précédent que représente le soi-disant cas unique du Kosovo. Il n’est alors pas surprenant que la nouvelle de l’attribution du Nobel de la Paix à Martti Ahtisaari donne du baume au cœur de ceux à qui il servit d’intermédiaire pour la réalisation d’une politique si manifestement contestée à peine deux jours auparavant à New York. Dans le concert de félicitations en provenance de l’ouest la voix du ministre français des Affaires étrangères et ancien ‘gouverneur’ onusien du Kosovo Bernard Kouchner, qui s’est dit être « très heureux » du choix fait par le comité Nobel norvégien, résonne d’autant plus du fait de la présidence française de l’UE en cours. Vantant le fait que, « lors de chacune de ses missions, Martti Ahtisaari a fait la preuve de sa capacité à conduire un travail difficile pour faire respecter les droits de chaque communauté… », il rappela que ce dernier chercha « dans des circonstances particulièrement difficiles à trouver une solution au conflit du Kosovo » en 1999, puis à nouveau en 2005-2007.
En juin 1999, Ahtisaari fit partie, aux côtés du Russe Victor Tchernomyrdine et de l’Américain Strobe Talbott, de la troïka dépêchée à Belgrade pour convaincre le président Slobodan Milosevic de capituler face à l’intensification des raids aériens de l’Otan résultant en la destruction systématique des infrastructures de la Serbie. La petite histoire veut que, irrité par l’obstination de Milosevic à vouloir tenir tête à la plus importante alliance militaire de tous les temps, il ait balayé du revers de la main tout ce qui se trouvait sur la table devant lui et, montrant la table désormais plate comme le revers de la main, assura que c’était ce à quoi ressemblerait le pays s’il ne cédait pas. Les bombardements de l’Otan s’arrêtèrent pratiquement dans la foulée après avoir duré 78 jours.
Parmi les expériences antérieures dans les Balkans, et avec les Serbes en particulier, Ahtisaari fut à la tête du groupe de travail de l’ICFY (International Conference for the former Yugoslavia) de septembre 1992 à avril 1993 et par la suite envoyé spécial du Secrétaire général de l’ONU pour l’ex-Yougoslavie. C’est en cette qualité qu’il fut l’un des principaux auteurs du plan de paix dit Vance-Owen qui fut, à l’époque, rejeté par les Serbes de Bosnie.
Bien que parfaitement conscients qu’il ne faille pas nécessairement être un surhomme pour obtenir un Nobel et que les échecs font partie de la condition humaine, l’attribution de ce prix à Ahtisaari ces jours-ci ne manquera certainement pas d’en amener plus d’un à se poser la question sur les critères du moment requis pour l’obtention de cette prestigieuse distinction. S’exprimant sur la question, le ministre russe des Affaires étrangères Sergei Lavrov ne souhaita pas commenter la décision du comité Nobel tout en soulignant cependant que « le prix Nobel pour la Paix est un prix tel qu’il ne doit pas être politisé »…
A Meulaboh, dans la province d’Aceh, seule la mosquée résista au passage du tsunami.
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