• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile

Accueil du site > Tribune Libre > Masters enseignement : sortir des crispations

Masters enseignement : sortir des crispations

Les enseignants devraient à partir de l’année 2010 être recrutés au niveau master. La mise en place de cette réforme, imposée par le Président de la République pose de nombreuses questions et suscite de violentes controverses.
Un certain de nombre de points de blocage peuvent clairement être identifiés, des solutions pourraient être trouvées pour les lever, à la condition qu’un véritable dialogue se mette en place entre les ministères concernés et entre ceux-ci et les universités. Après les improvisations et les provocations, il semble temps de passer à un véritable travail de fond. Les réponses sont grandement dans la dépendance des choix du Ministère de l’Education nationale.

Depuis quelques mois, la question de la formation des enseignants s’est imposée comme un problème technique et éthique majeur pour les universités françaises avant de devenir l’enjeu d’un bras de fer sur la scène politique nationale. Plusieurs raisons expliquent l’exaspération des universités à l’encontre des deux ministères concernés par cette question. Rappelons que le Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche dirigé par V. Pécresse aura pour tâche de valider les masters enseignement quand celui de l’Education nationale piloté par X. Darcos devra préciser les modalités des concours permettant de recruter les futurs enseignants. D’abord, les conditions dans lesquelles cette réforme majeure a été lancée : une annonce par le Président de la République, le 2 juin 2008, sans la moindre concertation préalable. Ensuite, la distillation tardive (et encore incomplète) par les ministères concernés des informations permettant de construire ces masters (le premier texte de cadrage a été la circulaire Hetzel du 17 octobre 2008). Enfin, la crainte que cette réforme ne masque un projet politique de plus grande ampleur, visant à remettre en question à moyen terme, le statut fonction publique des futurs enseignants. Face à cela, l’argument développé par N. Sarkosy justifiant cette réforme par la nécessaire revalorisation financière des débuts de carrière des enseignants ne pèse que d’un poids minime quand il ne prête à sourire. Cette promesse n’ayant été suivie d’aucun engagement vérifiable.

Confrontées au défi d’inventer des masters destinés à former les enseignants, dans le primaire comme dans le secondaire, les universités ne sont pas demeurées passives. Celles ayant intégré des IUFM se sont appuyées sur l’expertise technique des professionnels de la formation des enseignants pour trouver des réponses pertinentes ; celles disposant de formations au Capes les ont adaptées. Un travail considérable a donc été effectué, sans attendre les directives des ministères de tutelle qui peinaient à parvenir. Des relations renforcées se sont par ailleurs tissées, avec des succès plus ou moins probants, entre les universités et les rectorats. Ces masters étant à vocation professionnelle, des stages en responsabilité, c’est à dire avec la pleine responsabilité de l’enseignement, devront être mis en place. Ceci ne peut s’imaginer sans une concertation renforcée entre l’employeur académique et les universités. 

Pour autant, est-il possible de dire le 15 février, date à laquelle les maquettes de formation auraient dû être transmises que tous les problèmes sont réglés. Clairement non. Ceux-ci sont de nature différente et génèrent un climat de tension. Pour certains d’entre eux des réponses pourraient rapidement être fournies qui contribueraient à établir une atmosphère plus sereine.

- 1) L’harmonisation des formations constitue ainsi un enjeu majeur. Les ministères ayant fourni des informations insuffisantes et les universités n’ayant pas eu le temps matériel de se concerter, les architectures de ces formations peuvent varier de façon sensible d’une université à l’autre. Les universités se retrouvant dans une forme de concurrence, il est aisé de voir le danger : ici des formations a minima, là des formations n’intégrant pas le volet professionnel, etc. Dans le cas des masters hors enseignement, le problème ne prend pas une importance aussi nette, en effet les flux d’étudiants entrant, de même que l’insertion professionnelle finale, contribuent à réguler le système et à hiérarchiser les formations. Dans le cas des masters enseignement, il s’agit bien de fournir les mêmes bases communes aux enseignants devant exercer sur le territoire national, qu’ils aient été formés en Corse, en Guadeloupe ou en région parisienne. Il en va de la cohérence territoriale et de l’équité sociale. Un cadrage national des ces formations doit donc conduire à une harmonisation. 

- 2) Les anciens fonctionnaires-stagiaires de l’IUFM bénéficiaient d’une année d’apprentissage prise en charge par l’Etat. Le volet professionnel dans les nouveaux masters sera d’une durée beaucoup plus réduite. La formation professionnelle dans la nouvelle formule ne se retrouvera donc pas au niveau de celle qui est actuellement dispensée. Mécaniquement, ce déficit de formation devra être compensé lors de la première année de titularisation. Il en va de la qualité de l’enseignement pour la jeunesse du pays, mais aussi de la confiance que pourront acquérir les futurs enseignants. Il semble pour le moins légitime d’attendre des propositions explicites de la part du Ministère de l’Education nationale sur ce point. Celles-ci auront un coût qu’il s’agit d’appréhender comme un investissement dans la qualité de la formation.

- 3) Les règles du jeu des concours demeurent encore floues sur certains points. Certes, nous savons qu’il y aura deux épreuves positionnées lors de la seconde année du master, mais les modalités de celles-ci n’ont pas été approfondies. Or, la nature du concours contribue à piloter par l’aval la formation qui va être dispensée. À titre d’exemple : l’oral final de recrutement tiendra-t-il compte du stage en responsabilité précédemment réalisé ? Dans l’affirmative, les universités auront intérêt à porter une grande attention au volet professionnel des masters, dans le cas inverse, les masters s’articuleront autour des seuls savoirs disciplinaires. Ceci constituerait un important recul par rapport aux formations actuellement dispensées par les IUFM, n’en déplaise au Ministre de l’Education nationale, X. Darcos, qui semble curieusement méconnaître cette réalité (cf. son intervention du 12 février).

- 4) Les bourses et les rémunérations attribuées aux étudiants inscrits dans ces masters, lorsqu’ils effectuent un stage, constituent un autre point d’achoppement, même si des précisions ont été apportées par le communiqué de presse du 15 janvier. Plaçons-nous un instant du côté des étudiants désireux de devenir enseignants. Une formation à bac + 3 avec une année de fonctionnaire-stagiaire payée par l’Etat, n’a pas la même signification qu’une formation à bac + 5 avec quelques stages rémunérés. Cette réalité doit être prise en considération de deux manières : d’abord, les étudiants de ces futurs masters ne doivent être empêchés de suivre ces formations pour des raisons liées à leurs conditions sociales (les futurs enseignants ne peuvent être exclusivement issus des catégories aisées), ensuite il ne saurait être question de leur demander de multiplier des stages déconnectés de leur formation, sous peine de les voir échouer aux concours.

- 5) Dernier point, sans doute le plus sensible et le plus lourd de sous-entendus. Il serait souhaitable que le Ministère de l’Education nationale fournisse des informations sur sa politique de recrutement, de manière pluriannuelle. Celle-ci est dans la dépendance des structures démographiques de la population scolaire et du corps enseignant. Elle dépend aussi des choix budgétaires et des priorités éducatives du ministère. S’il est difficile de disposer d’une absolue visibilité à moyen terme, tout du moins des fourchettes de recrutements par discipline et par niveau de scolarisation pourraient être fournies. Ceci présenterait deux avantages : éclairer les étudiants s’inscrivant dans ces masters sur leurs chances d’intégrer l’Education nationale et lever les inquiétudes persistantes quant au démantèlement du statut fonction publique des futurs enseignants.

Si le sujet de la formation des enseignants au niveau master est d’une extrême complexité et a été conduit jusqu’à présent dans la plus grande improvisation (pour ne pas dire désinvolture), il n’en demeure pas moins que des solutions pourraient être trouvées, à partir du travail effectué par les universités. L’enjeu est d’importance, car il s’agit de concevoir des mécanismes destinés à durer et engageant le pays dans un domaine crucial pour son avenir. Les universités sont donc en droit d’attendre que les pages suivantes de ce dossier s’écrivent dans le dialogue, la concertation, le respect des acteurs concernés. Il est donc à regretter que ces mots ne figurent pas dans la grille d’évaluation par laquelle les ministères impliqués sont notés.


Moyenne des avis sur cet article :  3/5   (6 votes)




Réagissez à l'article

2 réactions à cet article    


  • Ceri Ceri 17 février 2009 13:32

    et alors un prof d’histoire ne sera plus formé comme un historien mais seulement comme un propagandiste d’Etat ? Seulement formé à la "pédagogie" par compétences ? 


    • armand armand 18 février 2009 09:41

      Déjà un ’point de blocage’ fondamental - que le Président de la République "impose" une réforme dans un domaine où il n’a aucune compétence.

      Améliorer ou réformer un système s’obtient à travers des négociations avec tous les acteurs concernés, non par fiat présidentiel. Nous ne sommes pas dans une république ’bananière’... Quoique...

Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page

Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.


FAIRE UN DON






Les thématiques de l'article


Palmarès