Mauritanie : Analyse psychique d’un peuple malade de son Etat
« Les dirigeants de pays tracés à l’équerre sont souvent obtus »
La situation du peuple mauritanien, ne change point de décennie en décennie, en témoigne cette réflexion que nous avions formulée il y a plus de dix ans sur l’état psychique de ce peuple qui se démène. Malade de l’Etat et de ses dirigeants, à croire que psychiquement les dirigeants de pays tracés à l’équerre sont souvent obtus.
Lorsqu’une personne est atteinte de troubles psychiques, elle s’adresse à un « psy », un psychologue ou un psychiatre. Mais dans tous les cas, en consultant, elle attend une solution à son mal.
Le peuple lui ne consulte pas, il est consulté. Mais le malade n’est pas celui que l’on croit. Or le peuple mauritanien vu ses comportements mérite de consulter. Mais peut-on faire passer tout un peuple sur le divan d’un « psy » ? Certes que non, mais cela n’est pas nécessaire puisque le peuple s’exprime par lui-même et son comportement est (évidemment) public, il n’est pas besoin donc de l’interroger, il se lâche tout seul. La nation c’est le divan du peuple.
Pris dans sa globalité avec ses interactions, ses échanges internes et externes, ses comportements, le peuple peut être considéré comme un tout. Un organisme vivant qui vit, évolue, se renouvelle, et comme tout individu, il vit ses crises, ses contradictions, ses problèmes socio-économiques et cherche à les résoudre. Cependant contrairement à l’individu, personne physique, le peuple cherche à résoudre ses problèmes socio-économiques en recourant à une entité spécifique l’Etat.
Si alors le divan du peuple c’est la Nation, son mal est dans le giron de l’Etat.
Mais quelle approche psychique sied le plus au peuple ? Sans être exhaustif les psys utilisent des modèles théoriques dont nous allons ici nous inspirer. Il s’agit notamment de l’approche de psychiatrie cognitive et comportementaliste, de l’approche psychanalytique et de l’approche systémique. Chacune de ces approches est utile pour comprendre, analyser et fixer une thérapie pour le patient.
I- Le peuple mauritanien dans une approche de psychanalyse cognitive : La pensée négative
Qu’est-ce que l’approche de psychiatrie cognitive et comportementaliste ?
Les thérapies cognitives s’appuient sur le fait que ce n’est pas la situation elle-même qui provoque les émotions et les comportements mais plutôt les pensées spontanées qui à ce moment-là traversent l’esprit et qui deviennent automatiques par la suite. C’est la nature de cette pensée à cet instant qui détermine l’état d’esprit de la personne et va permettre de comprendre son comportement.
Pour être plus illustratif, lorsqu’une épouse constate le retard de son mari la pensée qui traverse son esprit est révélatrice de son état d’âme. Cela peut être la peur (« il a peut-être eu un accident »), la jalousie (« il ne pense plus à moi »), les remontrances (« il se fait exploiter par son patron et ne réagit pas »), l’indifférence (« après tout il fait ce qu’il veut »), la contre-offensive (« S’il me fait ça, je ferai de même »), ou des pensées plus paisibles : la confiance (« il doit certainement terminer consciencieusement son travail »), la satisfaction (« il doit certainement travailler dur pour qu’on ne manque de rien ») ou la fierté (« il devient important et indispensable au travail ») etc. Ces pensées spontanées deviennent avec le temps des pensées automatiques et vont dicter les comportements à l’égard de la personne considérée (agressivité, suspicion, indifférence ou au contraire tolérance, respect etc.). Toujours est-il que le devenir de la relation humaine va s’en ressentir.
L’approche cognitive comportementaliste appliquée au peuple mauritanien pourrait nous fournir de précieuses explications sur sa situation actuelle.
Si l’on examine en effet l’état actuel du peuple on remarque que son comportement prend sa source dans ses pensées automatiques qui traversent l’esprit du citoyen. Pensées automatiques qui ont été pérennisées au fil des années par l’Etat. Le passé de gouvernance de l’Etat mauritanien.
En effet, l’Etat fournit une très médiocre image de sa gestion des ressources publiques (détournements de fonds publics), de la protection des droits du citoyen (torture, procès.) et du respect de ses engagements à l’égard de la société (tribalisme exacerbé, déportation, confiscation des biens et des libertés …). Le peuple a perdu toute bonne foi dans les actes de ses dirigeants ainsi que sa confiance quant à leur gestion des affaires publiques.
Le peuple a acquis une « vision » négative des pouvoirs publics. Ceci rejaillit incontestablement sur les actes du chef de l’Etat et de son gouvernement actuel, le peuple ne comprend plus qu’à travers le filtre de la pensée acquise.
Le président de la république n’arrive pas à se décider (« c’est que les autres le prennent en otage ») Le gouvernement tarde à prendre une décision (« c’est qu’il est incompétent »), L’Etat va privatiser la SNIM (« ça y’est-il vont encore vendre le pays »), le déficit budgétaire est important (« ils ont tout détourné »), les coupures d’eau et d’électricité persistent (« ils ne peuvent rien gérer »), les nominations sont effectuées (« tous des roumouz el vessad »), madame la présidente en voyage officiel (« ils jettent l’argent du peuple par la fenêtre ») etc.
Et cette pensée automatique qui participe depuis des années à alimenter les salons populaires fait de l’acte de dénigrement une culture, un comportement dont les fondements sont à chercher dans ce qu’est devenu l’Etat.
Quelle est, alors, la thérapie ?
Cela ne pouvait être que la rupture avec le passé, la réhabilitation de l’Etat, l’établissement de l’Etat de droit, l’éducation politique populaire, la prise en charge à bras-le-corps par l’Etat des problèmes socio-économiques du peuple, élever le niveau de vie, restaurer l’éducation et le civisme à travers un comportement exemplaire, lancer efficacement la lutte contre la corruption, descendre sur le terrain auprès des populations (premier ministre et gouvernement en bras de chemises) se confondre à la foule, écouter, agir et enfin donner au peuple l’image d’un Etat en mouvement d’une démocratie en marche par et pour le peuple.
En somme l’avènement d’une démocratie tant attendue après tant d’années de mauvais exemples publics de déchirements et de despotisme qui exorcisera tant d’évènement sombres dans le subconscient de tout un peuple. C’était cela la thérapie à apporter au peuple. Une démocratie nouvelle dans un Etat nouveau.
Malheureusement, cette évolution fut ratée et le coche et n’a pas (ou pas encore) tenu les promesses attendues. L’Etat est à mille lieues du peuple.
Le gouvernement est assis sur un piédestal, isolé dans une primature et des départements ministériels en train de nommer ou d’arrêter une politique dont la connexion avec le peuple reste à démontrer. C’est l’unilatéralité de la décision à sens unique.
Un président qui tarde à retrouver ses repères pris dans un environnement politique nouveau mis à rude épreuves par ses engagements. Un parlement qui discuterait et légifèrerait mais dont le peuple ne ressent pas l’impact direct sur sa condition ni sur l’amélioration qu’il a apportée à son niveau de vie.
Face à cette politique « à guichets fermés » le peuple se sent exclu. C’est alors que le comportement négatif et ses préjugés à l’égard de ceux qui gouvernent prennent de l’ampleur. Et son ressentiment psychologique tient désormais en une phrase : « rien n’a changé ». Et la thérapeutique démocratique biaisée comme un médicament mal pris ne peut guérir.
A moins que vu le mouvement lent et la langueur de cette politique on puisse arriver à démontrer que la démocratie puisse se prendre à doses homéopathiques.
II- Le peuple mauritanien dans une approche psychanalytique freudienne : que craint le peuple ?
On sait depuis Freud que la formation des symptômes névrotiques résulte du refoulement de traumatismes psychiques, rarement isolés, qui provoquent ainsi une rétention des affects, dont la décharge (catharsis) entraîne la guérison.
En plus clair, qu’est-ce qui, dans l’inconscient collectif, fait de ce peuple ce qu’il est actuellement : immobilisme, acceptation du fait accompli, passivité, absence de réactivité etc.
Ce sont là, en effet, des « symptômes névrotiques » qui, tout autant que pour la personne physique, peuvent résulter chez le peuple de traumatismes psychiques refoulés. Peut-on provoquer chez le peuple une décharge de ses affects entrainant la guérison ?
Les symptômes étant connus quels sont alors les traumatismes psychiques ?
Le peuple mauritanien n’a jamais été asservi par un autre peuple, il n’a pas subi les affres des deux guerres mondiales, il n’a jamais été sous embargo, ni assiégé par une puissance, il n'a jamais connu de catastrophes naturelles majeures.
C’est un peuple paisible tenant son calme et son insouciance de la modestie de son mode de vie et de la paix du désert. Mais voilà qu’en 1960 surgit l’Etat, un Léviathan, et le peuple se trouva projeté dans le tourbillon des institutions.
Le parti unique pendant 18 ans, un calme relatif avec quelques remous estudiantins très vite entrés dans les rangs, une guerre du Sahara qui ne dura pas longtemps et qui n’occupa rien. Le peuple d’une immensité géographique rassemblé dans une capitale issue de rien, guidé par un « père de la nation », vivait l’indépendance.
Mais un traumatisme est repérable pourtant à cette époque-là : les événements raciaux de Nouakchott en 1966. Ces évènements marquèrent certainement le subconscient de ce peuple qui commença depuis à craindre les troubles raciaux et tribaux.
Un fragile équilibre prévalu longtemps après ces évènements. Et en 1989, le traumatisme causé par les événements du Sénégal ainsi que les déportations des populations négro-africaines vinrent s’ajouter à la série des troubles de la population. La suspicion régna, l’instinct de conservation se développa davantage à travers le renforcement des identités tribales et la recherche de la « sécurité » auprès de ceux de sa race accrus par un régime politique qui exacerbait les différences.
Aujourd’hui, quoi qu’on en dise, le traumatisme est persistant et rien qu’à examiner les réactions face au retour des réfugiés on s'en convînt.
Le peuple n’est pas uni et tous les régimes précédents ont exacerbé ses différences jusque dans les systèmes éducatif et culturel. Ce traumatisme le peuple le vit depuis les premières années de l’indépendance et les évènements de 66 et il n’en a pas été guéri. Toutes les politiques qui ont suivi ont plutôt aggravé cette situation. Il suffit de voir comment se répartissent les races dans les quartiers de Nouakchott. Une séparation géographique illustrative de ce qui se passe dans l’inconscient du peuple.
Voilà donc ce que craint le peuple : lui-même.
Le peuple inconsciemment craint de sombrer dans les divisions raciales et ce volet quoi qu’on en dise n’a pas été résorbé ni à travers un Etat-nation ayant fondu toutes les races dans un même moule de citoyenneté, ni à travers un développement socio-économique fort permettant une intégration et des échanges importants entre les populations et gommant sur une base d’intérêts nationaux, de prospérité et de patrimoines partagés et à protéger, les différences.
Sur le divan-nation, le peuple sait que sa cohésion est toujours une faille dans son développement et que l’Etat aggrave la situation. C’est de cela qu’il demande qu’on le guérisse. Son immobilisme, sa passivité, son manque de réactivité tiennent certainement de cette volonté du peuple de ne pas changer un statu quo, une situation qui risquerait d’entrainer l’instabilité.
Le traumatisme est toujours présent. Alors cela explique que le peuple reste indifférent au politique puisqu'il a déjà adopté son parti pris et qu’il descend dans la rue chaque fois que le régime change. Non pas parce qu’il est contre le régime précédent (comme on pourrait le croire) mais parce qu’il pense que "le nouveau régime" sera meilleur que celui qui la précédé. Utopie de pauvres gens, traumatisme d’un peuple.
Connaissant maintenant les traumatismes et les symptômes, quels remèdes ?
Il est évident que ce qui a manqué jusqu’à présent dans tous les régimes qui ont précédé, c’est l’intérêt porté au peuple. Et pour cause : traumatisé, il ne réagissait pas. Il est donc plus facile à gouverner. Le maintenir dans cet état était l’un des plus grands crimes de ses gouvernants.
Dans ce nouveau régime démocratique, il est du devoir des gouvernants d’apporter la thérapeutique nécessaire afin que le peuple puisse les accompagner dans leur mission, qu’il puisse s’épanouir avec ses races et ses différences, qu’il puisse se libérer des traumatismes du passé.
Pour cela il convient de mettre en place les structures nécessaires au dialogue et à la réconciliation.
D’un côté, la réconciliation du peuple avec lui-même en ouvrant les forums publics pour le dialogue intercommunautaire sur le présent et le futur de la nation et la réconciliation du peuple avec l’Etat et ses gouvernants à travers les commissions vérité et réconciliation pour évacuer tous les discordes, les dissensions sur la gestion des biens publics, ses biens dont il est exclu sans autre forme de procès.
III- Le peuple mauritanien dans une approche de psychanalyse systémique : Qui suis-je ?
Dans l’approche psychanalytique systémique, l'accent n’est pas mis sur l’individu (sphère intrapsychique) mais sur son environnement. C’est-à-dire vers un système plus vaste composé de ses partenaires, de sa relation avec eux et des interactions entre eux. Cette approche se base sur l’idée fondamentale qu’il y a interdépendance de l'individu et de son milieu. Dans cette vision, c'est le contexte social actuel, beaucoup plus que les dommages subis par le passé, qui sont la source du comportement problématique.
Appliquée au peuple mauritanien, cette approche est fort intéressante car elle nous donne une explication du tiraillement du peuple entre le nord et le sud, entre l’arabité et l’africanité entre le Maghreb et l’Ouest Africain. En somme ses relations avec son environnement géoculturel.
Trait d’union entre l’Afrique subsaharienne et le Maghreb, la Mauritanie n’en finit pas de se chercher dans cette aire géoculturelle, à telle enseigne qu’il en est résulté des courants politiques, à l’intérieur et à l’extérieur du pays, qui se basent sur ces tiraillements pour entretenir la division. Dans cette situation, le peuple vit une scission qui se répercute jusque dans ses comportements.
L’Etat n’a développé aucune stratégie d’intégration pouvant gommer les différences exacerbées prenant pour fondement les appartenances géographiques. Cette situation le peuple la vit dans un inconscient collectif et elle ne manque pas de ressortir au premier appel à la « différence ». Or pour gommer ces différences, il faudrait que l’Etat recentre le pays sur son peuple et le peuple sur son pays. Ni nord ni sud, la Mauritanie tout court. « Un point c’est tout », pourrait-on dire.
Pour que le peuple prenne son destin en main, dans une Mauritanie réconciliée, il faut que tout en assumant son arabité et son africanité, il soit d’abord mauritanien. Sans cette dose de mauritanité, au sens de patriotisme, qui fera sa spécificité parmi les peuples et qui fondera sa citoyenneté, il vivra perpétuellement le trauma d’un « écartèlement » géoculturel empêchant tout développement social et culturel du pays.
Le traumatisme du peuple ? Il l’exprime par un « qui suis-je », le pendant logique d'un "où suis-je", qui est son incapacité à développer dans ses franges sociales culturelles et raciales, la cohésion nécessaire à son devenir. A comprendre son identité. Un peuple ne peut fonder une nation que dans la cohésion et l’unité malgré ses différences. La démission de l’Etat, n’est pas pour aider à changer les choses.
Sorti du divan du psychanalyste, chaque patient a hâte de savoir s’il est guéri.
En sortant de ce même divan, le peuple mauritanien aura hâte de savoir…si l’Etat est guéri.
Et ce n’est point, aujourd’hui, que l’on pourrait dire qu’il l’est.
Mais si la psychanalyse vise à élucider la signification inconsciente des conduites, il est des inconscients desquels le réveil peut être brutal. Le réveil des peuples l’est.
Pr ELY Mustapha
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