Mauritanie, l’autre apartheid
Chers citoyens du monde,je reviens aujourd’hui pour vous parler de mon pays, la Mauritanie. Peut-être ce nom ne dit-il pas beaucoup de choses à certains de nos aimables lecteurs.
Vue de loin pour bien des gens, la Mauritanie apparaît comme un pays tranquille, calme, sans problème majeur, stable même aux dires de ses dirigeants. C’est une image trompeuse qui égare bien des observateurs ; la Mauritanie est un pays complexe, secret, un volcan endormi, qui couve une crise interne découlant des relations d’équilibre intercommunautaire, aujourd’hui rompues.
Cette perception première, trompeuse à souhait, est due au fait qu’à l’image de beaucoup de pays africains depuis le discours de la Baule, la Mauritanie, elle aussi, dispose de sa " démocratie". Avec une constitution (sur mesure) des partis politiques qui foisonnent, une presse écrite dite "indépendante" mais je préfère dire "presse privée" et de temps à autre, un simulacre de compétition électorale, pour compléter le tableau ; ce sont bien là des attributs, pour qui n’est pas averti, d’une parfaite démocratie, et l’on se croirait dans un pays où tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Nos plaintes et nos réserves à l’endroit de notre"démocratie" mauritanienne ne seraient pas alors comprises. Et pourtant ! La Mauritanie recouvre une tout autre réalité, dissimule une face cachée de démocratie raciale !
Telle est la réalité que bien des gens ne comprennent pas. Et pour la faire comprendre il nous faut faire un détour, un long détour, remonter quelque peu le cours de l’histoire récente du pays .
Il est nécessaire de rappeler que la Mauritanie est un Etat conventionnel, artificiel, créé de toutes pièces pour les besoins du colonialisme français en 1904, je vous fais l’économie de la géopolitique de l’époque. La France, par sa volonté, décida donc de faire coexister, dans un même espace, deux communautés, arabo-berbère et négro-africaine, deux communautés, il faut le souligner, qui s’étaient forgées chacune au cours de l’histoire dans un espace autonome, régies par des pouvoirs politiques spécifiques, indépendantes l’une de l’autre. Elles entretenaient naturellement, du fait de la proximité, des relations tantôt amicales, le plus souvent heurtées à cause des incessants rezzous maures opérés, pillant et capturant la population des villages à des fins d’esclavage (origine, entre autres, de la composante haratine actuelle).
Depuis l’indépendance, nos chefs politiques, incapables de se départir de l’esprit partisan, tous issus du milieu maure, se sont attelés sans relâche à développer,tour à tour, des politiques qui, loin de forger la nation encore inexistante, ont conduit à des crises cycliques, répétées, à une déchirure profonde entre les deux communautés.
Par ces politiques nocives développées au fil des années et des régimes que guidait un système inique, on mit en place un apartheid déguisé. Je dis déguisé car on le chercherait en vain dans les textes institutionnels alors qu’il existe partout, pour peu qu’on observe.
Le racisme d’Etat est partout
Cette discrimination raciale commença d’abord feutrée, subtile, insidieuse, pour un projet qui allait devenir obsessionnel : construire une Mauritanie exclusivement arabe !
Pour ce faire, des mécanismes furent mis en oeuvre pour que l’Etat soit la"chose" des arabo-berbères ; progressivement, au rythme des résistances qu’opposaient les négro-Africains, ont fit de sorte que les Arabo-Berbères contrôlent la réalité du pouvoir politique et économique, la justice, l’éducation, l’armée.
La diplomatie ne sera pas en reste ; à l’extérieur , il faut afficher l’image d’une Mauritanie arabe par la composition des délégations, le discours et les clichés culturels, il faut gommer totalement l’autre "personnalité" de la Mauritanie. Évidemment, pour masquer la nature discriminatoire des régimes, on va saupoudrer un peu quelques nègres de service, sans responsabilité aucune, personnalités aux genoux tremblants, figurines sans aucun pouvoir de décision !
Un des rouages essentiels de cette machine à discriminer fut l’usage qu’on fit de la langue arabe.Cette langue, introduite très tôt dans le système éducatif... à des fins" d’indépendance nationale", disait le discours officiel ! Vaste supercherie, qui visait en fait à cacher des motivations sordides. On lui fit jouer un rôle non pas d’intégration, non pas d’épanouissement pour tous, mais d’ instrument de sélection et de discrimination dans l’emploi et l’éducation pour éliminer les négro-Africains. Les enfants négro-africains commencèrent à échouer massivement. Ce fut la période où il y eut un raz-de-marée sans précédent de cadis, de magistrats, d’enseignants, des centaines de jeunes sautant à pieds joints dans le système, sans aucune formation, et dont le seul critère de recrutement imposait un passage par l’école coranique. Comme si passer par cette école entraînait automatiquement les compétences et les capacités requises ! Un vrai gâchis au plan national, à la base de l’impasse et de la déchéance actuelle du système éducatif.
Ce fut donc le prélude à la rélève des négro-Africains, le commencement de leur marginalisation massive, qui allait se poursuivre et atteindre son apogée avec l’avènement du colonel Taya .
Bien entendu, au fur et à mesure des réformes impopulaires et imposées, des réactions d’hostilité ne manquèrent pas de s’exprimer du côté négro-africain. Les réformateurs marquaient alors un temps d’arrêt ; en fins stratèges ils donnaient du mou à la ligne, pour laisser passer l’orage, et obstinément le projet était poursuivi.
Beaucoup d’observateurs, se méprenant alors sur le sens de ces crises, les présentaient, à tort, comme des crises inter-ethniques, comme si les communautés arabo-berbère et négro-africaine se dressaient, par animosité, l’une contre l’autre. Ce ne fut jamais le cas. Ces crises étaient à l’image de ce qui se passait au Kwazulu-natal du temps de Botha. Elles étaient orchestrées par nos dirigeants à des fins politiques, ils les exploitaient alors à chaque fois et judicieusement ; ils les présentaient, en milieu maure, comme des menaces graves aux intérêts et acquis maures, de manière à créer autour d’eux un consensus. Ce fut le cas pour les évènements de 1966, de 1987 et de 1989 pour ne citer que les plus graves et les plus douloureux.
Ce n’est pas par hasard si la déportation de 120 000 noirs mauritaniens au Senégal et au Mali ne suscita que peu d’émoi du côté des intellectuels et de la classe politique beydane, où l’on remarquait un silence assourdissant.
Si, par ailleurs, des blancs risquèrent leur vie ou se firent pendre (aux USA avec l’underground) pour la cause des faibles, ce ne fut pas le cas en Mauritanie pendant ces terribles déportations. Seuls quelques jeunes du Mouvement des démocrates indépendants (MDI) allaient faire exception. Or, j’ai toujours eu le sentiment que l’intellectuel ressemblait davantage à Zola qu’à Gobineau ou Goebbels, et qu’il ne pouvait rester sans rien faire, sans rien dire devant l’injustice.
Pourquoi un tel silence ? Le régime du colonel-président avait-il réussi à les convaincre ?
C’est là du reste une dimension, entre autres, qui rend malaisée la recherche d’une solution au problème, au regard de l’ambiguïté de ces formations politiques sur notre question nationale. Certaines formations, si elles ne nient pas purement et simplement l’existence du problème, le réduisent à une simple question linguistique, ou de violation des droits de l’homme. A les entendre il suffirait, pour tout régler, que les déportés reviennent. Le débat, en général, dans l’opposition politique, au lieu de se focaliser sur les vrais problèmes, tourne hélas autour de questions périphériques.
En tout état de cause, ces déportations planifiées, aux relents de nazisme, avaient des motivations sordides.
Il s’agissait de profiter du "conflit" avec le Sénégal pour tenter de "dénégrifier" le pays, car le taux d’accroissement important des négro-Africains est devenu une hantise, au point que tous les résultats des recensements démographiques (par ethnie) sont tenus secrets et ceci depuis 1960 !
Il s’agissait aussi de saisir cette occasion pour faire passer enfin une réforme foncière qui rencontrait une forte résistance en milieu négro-africain, pour servir des intérêts inavoués. La déportation, justement, permit de redistribuer la terre, et les terres de ces réfugiés en exil forcé au Sénégal, comme s’ils ne devaient plus jamais revenir !
Il s’agissait enfin de frapper les esprits en sévissant durement et partout pour intimider, afin de décourager à jamais toute velléité de résistance, en décapitant la seule force politique organisée que sont les FLAM, de manière à neutraliser l’avant-garde éclairée de la contestation du projet hégémonique. Dans le feu des événements allait surgir une quatrième raison : récupérer le bétail peulh ( 150 000 bovins ) pour compenser les pertes matérielles subies par les Maures rapatriés du Sénégal.
Pour se venger du Sénégal voisin, les autorités mauritaniennes allaient se rabattre, sans remords, sur leurs propres citoyens qu’elles spolièrent et dépossédèrent pour les chasser ensuite comme de "vulgaires étrangers". Quelle ignominie !
Et dire que l’Afrique se tait devant ces actes barbares, ici et au Soudan ! Et qu’à côté, on garde un silence, à la limite de la complicité. Mais revenons après cette digression, que j’ai crue utile, au fil chronologique de notre marginalisation.
Ainsi donc, au fil des années et des régimes guidés par un même projet, la discrimination raciale allait s’accentuer, pour s’afficher violemment dans les années 1980. Si, avec les premiers régimes, un peu plus futés, elle fut feutrée, sous le règne du colonel Taya qui, lui, ne s’embarrassera pas de scrupules, les négro-Africains passeront de l’état de marginalisation à l’exclusion totale ouvertement déclarée, dans laquelle il faut replacer les déportations évoquées plus haut.
Le colonel Taya allait, le premier, donner le cadre juridique de notre élimination par une constitution qui imposerait désormais la langue arabe comme seule langue officielle. Mesure certainement légitime pour la communauté arabo-berbère, mais injuste pour les négro-africains de l’aveu même de Hamid El Mauritanyi, connu sous le nom de Mohamed Ould Cheikh, ancien ministre de la Défense de Daddah, qui disait : " Vouloir que ceux qui savent à quoi s’identifier abandonnent leurs valeurs propres pour être embrigadés dans l’aventure de ceux qui se cherchent une identité est non seulement de l’arbitraire, mais d’une politique culturelle imbécile."
Les plans d’ajustements structurels du FMI, arrivant à point nommé, servirent pour vider l’administration des négro-Africains, surtout. Résolu, par une répression physique et mentale féroce, sans tergiverser comme ses prédécesseurs,Taya allait, à marche forcée, consolider le système et afficher l’option désormais déclarée d’une Mauritanie exclusivement arabe. " La Mauritanie n’est pas en voie d’arabisation, c’est un pays arabe", devait-il déclarer à Jeune Afrique en janvier 1990.
J’avais besoin de ce détour pour montrer les conditions prévalant en Mauritanie, à la veille de la fameuse démocratisation... pour que l’on comprenne que la Mauritanie n’a pas été et n’est pas comme les autres pays africains que balaie le vent démocratique.
Ici, on a affaire à une minorité arabe qui, pour pérenniser son pouvoir, abuse de l’Etat et use d’une politique à soubassement idéologique pour assimiler et asservir les autres composantes culturelles, une minorité qui confisque le pouvoir depuis près de quarante-cinq ans, qui ne veut ni l’abandonner, ni le partager.
Le contexte dans lequel arrivent notre"démocratie" et le "coup d’Etat " du 3 août 2005, c’est celui-là.
Notre "démocratie" arrive donc et se plaque sur cette triste réalité qu’elle recouvre, intacte, sans rien changer, se muant ainsi en une "démocratie raciale", à la manière de l’antique Afrique du Sud ; il suffit de gratter un peu pour découvrir derrière le racisme le plus hideux, l’exclusion la plus brutale, l’esclavage le plus primaire.
Maintenant, vous pouvez comprendre pourquoi les négro-Africains se plaignent (légitimement de leur "démocratie"... qui n’est pas comme les autres.
Nous ne nous sentons pas concernés par cette pseudo-démocratie qui nous exclut, nous avons cessé de croire en notre" Etat ", on a fait de nous des spectateurs passifs du jeu de compétitions électorales réservées... aux citoyens (blancs) à part entière. Du reste, on tend de plus en plus à une bipolarisation raciale du champ politique. En Mauritanie, on est dans une phase en-deçà de ces démocraties, même tarées, qu’on retrouve ailleurs, et que nous envions, et pour cause ! Nous sommes, nous, négro-Africains, au stade où nous luttons pour notre survie, pour notre reconnaissance en tant que citoyens, en tant qu’hommes simplement, dans un milieu hostile où l’homme voue l’homme au racisme et à l’esclavage.
Notre "démocratie" est assise sur la tête qu’il faut redresser.
J’ai le sentiment qu’on a mis les charrues avant les boeufs, et qu’il n’est pas encore trop tard pour bien faire. Il est temps de comprendre que l’exclusion est en soi économiquement mauvaise, socialement corrosive, politiquement explosive.
Comprenons qu’une " nation dispersée, battue, humiliée peut (heureusement) toujours se rebeller contre son sort et revenir à la vie". Tentons dès à présent de sortir de ce cul-de-sac qui, tout le monde le sait, ne mène nulle part. Pour en sortir, il faut, à mon avis, une attitude, un climat et des conditions.
Une attitude courageuse, d’ouverture sincère et de reconnaissance du problème de fond.
Un climat de décrispation sociale grâce à un train de mesures positives à l’endroit de tous ceux qui, victimes et blessés dans leur chair, ont subi des préjudices matériels et moraux. La sanction des crimes commis pour rendre leur dignité aux victimes, à leurs veuves et à leurs enfants. Je crois qu’il faut se parler, car ce formidable potentiel de révolte enfouie commence à gronder. Il serait erroné de croire que vingt années de calme plat peuvent exclure toute éventualité de soulèvement populaire. Après seulement ce forum, dont les conclusions pourraient éventuellement être soumises au peuple, comme l’ont proposé les véritables FLAM, on aborderait enfin la phase d’une véritable démocratisation.
Il est urgent, me semble-t-il, de tirer tous les enseignements des cas dramatiques du Rwanda du Burundi, du Congo, de la Côte d’Ivoire actuels, pour paraphraser un écologiste, je dirai : nous n’avons qu’une Mauritanie, ne l’abîmons pas !
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