Mayotte, tristes tropiques !
Dans les années 1990, j’ai vécu à Mayotte, l'île des cocotiers où j’ai découvert une société traditionnelle africaine musulmane, plutôt "soft", où le français était peu parlé, sauf par les jeunes scolarisés. La famille avec laquelle j’avais noué des liens vivait simplement, entre pêche artisanale au bord de la mer — sur une plage au sable volcanique aussi dépotoir — et la culture de quelques bananiers et maniocs. À chaque nouvelle naissance, le chef de famille plantait un bananier, mais en procédant ainsi, il déforestait petit à petit, laissant la terre nue s’écouler dans le lagon, le deuxième plus grand au monde, disait-on, qu’elle contribuait à dégrader.
Mon ami Mohammed, chef de cette famille, avait dix enfants. Quand je lui demandais comment il comptait subvenir à leurs besoins, une situation courante sur l’île, il me répondait simplement : « Allah s’en chargera ! » Je pensais pour ma part aux transferts sociaux qui jouaient peut-être aussi un rôle. Sur cette île vivant presque en autarcie, la monnaie était rare. La vie y était pourtant paisible : on pêchait dans le lagon calme, on cultivait un lopin de terre qui offrait bananes et manioc, et les enfants, nombreux, jouaient sous l’œil attentif des adultes. Les femmes, quant à elles, prenaient soin des plus petits et préparaient les repas. Les rares voitures qui traversaient les villages devenaient aussitôt des attractions, attirant la curiosité de tous.
Puis la télévision est arrivée. Ce fut une révolution. Tout le monde en voulait, mais cette nouveauté allait bouleverser profondément le mode de vie traditionnel de cette communauté. La télévision nécessitait de l’électricité, ce qui impliquait de remplacer les toits en chaume par des tôles de métal pour des raisons de sécurité. Mais ces nouveaux toits transformaient les maisons en fours invivables sous le soleil tropical. De plus, le chef de famille, ayant besoin d’argent pour payer ces nouvelles commodités, abandonnait la pêche et partait travailler comme déchargeur de conteneurs à Mamoudzou. Il achetait une mobylette, restait souvent sur place, et ses enfants, laissés sans surveillance, devenaient livrés à eux-mêmes.
Comme si cela ne suffisait pas, le changement de statut de Mayotte, introduisant le droit du travail métropolitain au bénéfice des salariés, ouvrit une nouvelle séquence : l’arrivée massive de migrants anjouannais. Alors qu’ils n’étaient autrefois que quelques barques par mois, leur nombre passa rapidement à plusieurs par jour. Le patronat, notamment dans l’industrie du parfum, voyait cette main-d’œuvre docile et peu exigeante d’un bon œil. Mais cela eut des conséquences désastreuses : la prolifération des bidonvilles, faits de tôles précaires, et au passage du cyclone un nombre effrayant de victimes. Sous l’effet des vents violents, les feuilles de tôle, projetées comme des lames, tuant ou blessant gravement des occupants incapables de se protéger.
Aujourd’hui, Mayotte est marquée par les cicatrices de cette transformation brutale, où modernité et traditions n’ont pas su cohabiter sans heurts. Ce passé que j’ai observé, reste pour moi une leçon amère sur les bouleversements d’une société fragile, face à la pression d'un progrès mal pensé, ignorant des spécificités locales pour le moins !.
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