Mein klein Mädchen ou Merkel, l’Andenpakt et la Glass-cliff
L’"Andenpakt" (pacte des Andes) est un groupe d'intérêt informel constitué au sein de la CDU, en embuscade depuis une vingtaine d’années et toujours actif, créé en 1979 par une douzaine de jeunes gens de la CDU qui, lors d’une visite officielle en Amérique du Sud, au cours du trajet Caracas-Santiago du Chili qui survolait les Andes, se sont engagés à s'entraider dans une conquête du pouvoir concertée et solidaire.
Les membres du pacte présentent des caractéristiques similaires : ils sont tous nés en Allemagne de l'Ouest et sont pour la plupart catholiques. Leur contrat a porté ses fruits et au fil des ans, plusieurs parmi eux sont parvenus à des postes importants, dans les Länder ou au niveau fédéral :
- Roland Koch, libéral-conservateur au service des grands groupes industriels, est devenu ministre-président de Hesse, le centre financier de l'Allemagne.
- Christian Wulff, plus ouvert en matière de politique sociale, mais tout aussi favorable aux entreprises privées, a été élu ministre-président de la Basse-Saxe.
- Friedrich Merz, qui espère succéder à Merkel, est devenu président du groupe parlementaire CDU, succédant à son mentor, Schauble.
À la fin des années 90, le pacte des Andes allait atteindre son but ultime : conquérir les sommets politiques en Allemagne, la direction de la CDU, et constituer un nouveau gouvernement. Mais patatras, c’est juste à ce moment-là que le parti a été éclaboussé par un scandale d’envergure qui a révélé un système de corruption generalise et mis au jour les cadeaux du lobbyiste des industries d’armements Karlheinz Schreiber à ses dirigeants. C’est ce séisme qui avait entraîné la chute du chancelier Helmut Kohl et du chef du parti Wolfgang Schauble.
Dans la situation de crise qui s’en est suivie, Angela Merkel est apparue comme un outsider capable d'intervenir et de nettoyer les écuries d’Augias avant de revenir. Les Britanniques ont baptisé ce genre de cadeau empoisonné “glass cliff” (falaise verglassée) quand les conservateurs ont confié à Theresa May le soin de gérer le Brexit : le stratagème consiste à confier une mission délicate à une femme utilisée comme fusible pour pouvoir à la fois mettre à l'abri des remous les patriarches et confirmer l’incompétence atavique de la gent féminine en matière de leadership.
Sauf que, une fois que Merkel a eu le pouvoir, elle s'est maintenu pendant près de deux décennies. Pourquoi et comment ?
La timide protestante libérale, l’angélique Angela, née en Allemagne de l'Est, avait occupé jusque là des postes que les ambitieux membres d'Andenpakt ne prenaient pas au sérieux : ministre de la Femme et de la Jeunesse et ministre de l'Environnement au sein du gouvernement Kohl. Personne ne la considérait comme une menace.
Au contraire, elle était perçue comme une image exempte de scandale, idéale pour le poste de chef de parti qui dirigerait la CDU pendant que l’organisation se remettrait du scandale et que les sociaux-démocrates seraient au pouvoir. Personne n’imaginait qu’elle resterait en poste pendant 18 ans et serait chancelière pendant 13 ans.
En fait, l'un des avantages de Merkel au début de sa carrière politique était le fait qu'elle était constamment sous-estimée par les hommes qui l'entouraient, y compris Kohl, qui l'appelait "Mein Madchen" (ma fille/ma copine).
Or, en 2002, la "copine" en question est sortie des élections avec les deux des postes les plus puissants de la CDU, et en 2005 elle est devenue la première femme chancelière allemande grâce à un accord de coalition avec les sociaux-démocrates.
Puis elle a continué à consolider son pouvoir au sein de la CDU alors que plusieurs membres de l’Andenpakt étaient victimes de ses stratagèmes politiques :
- Roland Koch qui a mené avec elle de nombreuses batailles internes pour infléchir vers la gauche la politique conservatrice de la CDU et de la déplacer vers la gauche a fini par renoncer abandonné, exaspéré et, comme Merz, il est passé dans le secteur privé.
- pour neutraliser Christian Wulff, ministre-président de la Basse-Saxe, elle a fait en sorte qu'il accède au poste de président fédéral d'Allemagne entre 2010 et 2012, une position respectable mais sans pouvoir.
La "petite copine" d’Helmut Kohl a montré que ses talents aux jeux de pouvoir dépassait ceux des hommes qui la toisaient avec une condescenance ironique, et la considéraient comme inoffensive sur le plan politique.
Mais, bien qu'elle ait encore remporté les élections de 2017, la "crise des réfugiés" a marqué un tournant dans sa carrière, et le 29 octobre dernier, elle a annoncé qu'elle se retirait de la présidence du Parti Démocrate Chrétien (CDU) après 18 ans à ce poste. Elle a également déclaré qu'elle ne se représenterait pas à la chancellerieaprès l'expiration de son mandat en 2021 (si elle le termine).
Son succès politique et sa persévérance ont surpris beaucoup de gens, à commencer par ceux qui l’avaient mise en selle à la fin des années 1990, et qui sont prêts à prendre leur revanche.
Merz, qui s'est déclaré prêt à prendre la relève presque immédiatement après son annonce, est actuellement le favori. S'il gagne, Merkel ne sera plus en mesure de décider elle-même de la date de son départ.
La dernière carte de Merkel contre les “Andenpakt” est Annegret Kramp-Karrenbauer (également appelée AKK) qui a soutenu la chancelière dans la “crise des réfugiés”. En tant que catholique pratiquante, elle est plus conservatrice sur les questions sociales mais, si elle l’emportait, Merkel pourrait au moins terminer son mandat.
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