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Mépris et baratin

Comme le beurre se forme dans la baratte, du baratin jaillissent nos élus. On parle beaucoup de la politique "post vérité" depuis l'élection de Trump aux USA. C'est l'art d'asséner des mensonges avec assurance à une clientèle qui fonctionne plus à l'émotion qu'en faisant appel à la logique, à la vérité des faits. Ne vous laissez pas baratiner par des gens qui vous méprisent.

France-Culture avait consacré une émission sur le thème : "Petites gens", "France d'en bas"… Comment les responsables politiques désignent les classes populaires.

Comment oublier les « sans-dents » de François Hollande, terme méprisant employé en privé et sorti des 320 pages écrites par son ex-compagne. Toutefois, dans le discours public de nos politiciens, on trouve un florilège d’expressions entortillées, euphémismes maladroits, périphrases risibles, quand la sémantique trahit un problème politique.

Jean-Pierre Raffarin avait choisi « La France d’en bas ». Manuel Valls a fait un autre choix. Lors de sa déclaration de candidature en 2017, il a parlé des "petites gens", on pourrait presque se croire dans une chanson de Pierre Bachelet qui dit « les petites gens, ça connaît la chanson ». Dans le discours de Marine Le Pen, les classes populaires sont souvent englobées dans des adjectifs : "les invisibles" ou "les oubliés". On en est encore à une vision romaine de la république avec sa noblesse, ses patriciens et la plèbe, c’est-à-dire celles et ceux que l’on nomme les « gens du peuple ». Nous nous sommes éloignés du rôle de chaque citoyen dans la démocratie athénienne.

Les employés et les ouvriers représentent 55% de la population active, auxquels il faut ajouter les retraités modestes. L'enjeu électoral est important car il est impossible de gagner sans l'apport des classes populaires. Les politiques doivent faire oublier leur arrogance et se montrer connectés à la vie réelle. Nous l’avons vu avec Jean-François Copé et son pain au chocolat à dix centimes. Nous avons pu noter les efforts souvent brocardés d’Alain Juppé pour gagner de la popularité. Les politiciens sont conseillés et choisissent des mots qui ne doivent pas être blessants ou incompris. Emmanuel Macron, pas encore roué à cet exercice, avait évoqué les "pauvres qui prendront le bus". Le mot « pauvre » n’a pas la même résonnance dans la bouche d’un énarque né le cul dans le gâteau et dans celle d’un syndicaliste. Macron a accumulé les « gaffes » envers une classe populaire que, à l’évidence, il ne connaît pas si ce n’est par ce que l’on peut en dire dans la grande bourgeoisie provinciale et dans les arcanes du pouvoir, parmi les conseillers énarques comme lui. Le mépris fait toujours surface lorsque le langage n’est pas maîtrisé. Chassez le naturel, il revient au galop !

Dans l’incapacité à trouver des mots simples et directs, le discours public préfère les périphrases. De qui parle-t-on avec ces "classes populaires" ? Le sociologue François Dubet note que ce bloc "classes populaires" n'est pas homogène, et l'est même de moins en moins. Le chômage et la précarisation du travail créent une palette de situations sociales fort diverses.

Pour éviter ces inconforts linguistiques, certains ont trouvé des astuces. Par exemple, celle de définir le public dont vous parlez, par l’heure de son réveil. « La France qui se lève tôt », disait Nicolas Sarkozy : une formule qui a l’avantage de rassembler tous ceux qui souffrent un peu quand la sonnerie retentit. Cela fait du monde, mais ce n’est pas très précis.

Si les politiques avaient lu les bandes-dessinées de Jul, invité de France-Culture, ils auraient pu emprunter le concept astucieux de "prolo-sapiens" (l'une des classes sociales dans "Silex and the city"). Et puis il y a la solution ultime, celle de Laurent Wauquiez, l’ex-patron par intérim du parti Les Républicains et actuel Président autocrate de la région Auvergne-Rhône-Alpes, qui a résolu le problème sémantique : ne pas citer les catégories populaires, la méthode ultime pour ne pas commettre d'impair, surtout, si, comme lui, on sort une ânerie réactionnaire par discours contre les acquis sociaux.

Comment des politiciens qui ont un problème sémantique avec les « petites gens », la « France d’en bas », les « sans-dents », les « invisibles », les « oubliés », les « gens qui se lèvent tôt », « ceux qui ne sont rien » ou la « Classe moyenne » (celle donc qui n’est pas riche), peuvent-ils obtenir les voix de celles et ceux qu’ils méprisent ? Ces derniers devraient mieux les écouter et mieux analyser leurs discours, surtout lorsqu’ils se présentent comme les candidats du travail, alors qu’ils sont issus de la rente de la bourgeoisie de province et du métier de la politique comme François Fillon, ou professionnels de la rente et de la spéculation financière comme Emmanuel Macron..

Dans une librairie, j’avais feuilleté un petit opus intitulé « Dictionnaire des mots qui manquent ». C’est bientôt Noël et voilà un cadeau à offrir à ces politiciens à qui il manque les mots justes. Peut-être faut-il en inventer comme « paluchard » qui désignerait une personnalité politique dont l’activité essentielle consiste à serrer des mains.

On parle beaucoup de la politique "post vérité" depuis l'élection de Trump aux USA. C'est l'art d'asséner des mensonges avec assurance à une clientèle qui fonctionne plus à l'émotion qu'en faisant appel à la logique, à la vérité des faits. La jeune clientèle française de la politique "post vérité" se cherche un homme providentiel et a cru le trouver chez celui qui, sur un slogan "en marche", la fait courir sans s'intéresser à ce qu'il dit et à ce qu'il est vraiment. Ces jeunes cherchaient une idole, un mythe vivant. Un Rastignac comme Macron pouvait facilement les mystifier par des slogans vides et des idées faussement lumineuses ou modernes. Il a ouvert des boîtes de pandore qui génèrent plus de problèmes que de solutions. Il a fait du racolage électoral et a trouvé pour promouvoir sa candidature des patrons de presse. Lycéen de 15 ans, Macron jouait l’épouvantail dans la pièce de Jean Tardieu « La comédie du langage ». Cette œuvre est un ensemble de huit pièces courtes, comiques ou non, dont le propos commun est la parole et l'importance qu'elle tient au sein de la communication de l'être humain. Elle s'ouvre avec "Un mot pour un autre". Vers l'année 1900 une étrange maladie apparaît, touchant principalement les milieux aisés. Les personnes atteintes de ce mal utilisent un vocabulaire fantaisiste et intervertissent les mots sans se soucier de leur sens. Dans un costume d’épouvantail, Macron déclame seul sur scène : « Ah… C’est bon de renaître », avant de déambuler les bras ouverts. Macron semble avoir été doublement marqué par cette œuvre. Il a séduit sa professeure de théâtre qui lui a montré des possibilités langagières pour faire de la politique, notamment celle de la post-vérité. Il a fait profession de crier et de gesticuler sur une estrade pour faire courir celles et ceux qui se sont mis « en marche », alors qu’il aurait dû les épouvanter.

Nous sommes entrés dans la comédie du langage électoral. Avec des mots, les politicards nous tricotent des mensonges. Il nous faudrait des parapluies de mots pour nous protéger des mots piégeurs, des mots auxquels ils font dire ce qu’ils veulent. D’aucuns, avec des petits mots loquaces, nous préparent de grandes peines. Si les mots expriment des idées, exprimez vos idées avec vos mots. Ne vous les laissez pas volés par des blablateurs qui manipulent les esprits pour installer un pouvoir réactionnaire et autoritaire rendu possible par la constitution de la 5ème République qui fait de l’élection présidentielle l’alpha et l’oméga de la vie politique.

La liste est longue des petites phrases méprisantes de l’actuel locataire de l’Elysée. En septembre 2017, à Athènes : « Je serai d’une détermination absolue et je ne céderai rien, ni aux fainéants, ni aux cyniques, ni aux extrêmes ». En octobre 2017, il stigmatise ceux qui, « au lieu de foutre le bordel, feraient mieux d’aller regarder s’ils ne peuvent pas avoir des postes là-bas ». Le 12 juin 2018, il s’agace dans son bureau à l’Élysée : « On met un pognon de dingue dans des minima sociaux, et les gens sont quand même pauvres ». Empêtré dans l’affaire Benalla, il défie : « S'ils veulent un responsable, il est devant vous. Qu'ils viennent me chercher » avant de pointer du doigt les « Gaulois réfractaires au changement », lors d’un déplacement au Danemark. Face à jeune horticulteur au chômage cherchant un travail dans l’horticulture, il lui dit : « du travail ? Je traverse la rue, je vous en trouve ». En janvier 2022, interrogé par les lecteurs du Parisien sur les Français non vaccinés, Emmanuel Macron répond qu’il a "très envie de les emmerder. Et on va continuer à le faire jusqu'au bout". Macron est indécrottable. La liste n’est pas exhaustive. Les petites phrases méprisantes sont devenues sa spécialité. Il est pétri de mépris.

Lorsque j’ai lu que le macron est un diacritique et que « plusieurs langues polynésiennes, notamment le marquisien, hawaïen, le samoan, le maori de Nouvelle-Zélande, le tahitien, le futunien et le wallisien, l’utilisent… », je suis resté perplexe sur le projet novateur « ni droite ni gauche », avant de lire la suite de la phrase « … pour indiquer une voyelle longue : ā, ē, ī, ō, ū  ». Le macron est un accent plat, diacritique de plusieurs alphabets : latin, grec et cyrillique. Il prend la forme d’une barre horizontale que l’on place le plus souvent au-dessus d’une voyelle. Son principal rôle est d’indiquer que le signe qui le porte reçoit une quantité vocalique longue ; il s’oppose en cela à la brève. Il est aussi utilisé pour modifier la valeur de certaines consonnes comme l̄, m̄, n̄, r̄, v̄, ȳ dans l’écriture de quelques langues, ou d’autres consonnes comme ḡ dans certaines translittérations. Le macron se retrouve aussi au-dessous de certaines lettres modifiant ainsi leur son : on l’appelle macron souscrit ou ligne souscrite.

Quel beau symbole souscrit pour Emmanuel Macron : « L’accent plat » qui veut éliminer tous les autres accents en faisant traîner le son de quelques voyelles et consonnes. Il ne veut pas changer le discours mais seulement la musique. Macron est bien un accent plat de la politique, d’une grande platitude. « Il y a toujours dans l'histoire d'un peuple des moments où ceux mêmes qui en jouissent sont las de la platitude de l'ordre établi », écrit André Maurois dans « Don Juan ou la vie de Byron ». Songez à la platitude de l’avenir vu par Emmanuel Macron ! Ni droite ni gauche, amor vincit omnia ! L’amour vainc tout ? Si nous avons appris une chose pendant notre existence, c'est que cette platitude est un mensonge. Le monde n’est pas voué à la platitude et la médiocrité. Il est probable que les accents aigus et graves se révolteront pour faire comprendre à Macron que l’accent circonflexe sur sa tête n’est ni un casque à pointe ni une couronne de roi mais pourrait être vu comme un bonnet d’âne.

Comme le beurre se forme au fond de la baratte, du « baratin » jaillissent nos élus. Ne vous laissez pas baratiner ! Le beurre et le baratin sont des lubrifiants. L’urne électorale ne doit pas être une boîte de pandore et une fabrique à fromages.


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4 réactions à cet article    


  • leypanou 24 janvier 10:13

    auteur inconnu (multi-pseudo ?, nouveau ?), 0 post, déjà 4 articles, 17 commentaires reçus : bravo.


    • armand 24 janvier 18:02

      @leypanou
      de plus en plus fréquent, mais souvent ils ne modèrent pas (ni ne commentent)


    • zygzornifle zygzornifle 25 janvier 11:43

      Mépris, résume toute la vie du président .....


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Jean d’Aïtone

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