Messieurs Sarkozy et Obama, rendez-vous donc à Graignes ! (2)
En complément du texte sur l’incroyable histoire de Graignes, je vous propose cette interview de l’équipe nordiste des « Yankees », qui a gentiment accepté de revenir sur sa participation (fort réussie) au film de David David Bruckenmiller, sur la base du livre de l’historien Eric Groce, qui participe dans le film en faisant visiter Graignes et en interviewant deux des héroïnes de l’histoire. Cette interview nous éclaire sur les motivations de ces groupes de reconstitution historiques, parfois mal perçus par certains en raison d’excès notoires de groupuscules à l’intérieur de certains. C’est un peu le même problème que d’autres ont évoqué ici avec le pillage véritable de certains haut lieux de l’histoire des combats, auxquels se livrent des gens équipés de matériel de détection de matériaux ferreux. Re-jouer l’histoire est-il une nécessité ? Au vu de la méconnaissance de certains écoliers, c’est une évidence, dans une société ou le ludique a pris le pas sur l’apprentissage contraignant. Nos désormais célèbres « yankees » vivent une passion, et participent à un devoir de mémoire que tout pays civilisé doit maintenir. Ils prennent sur leurs loisirs pour le faire, et ne sont pas pour autant des militaristes à tout crin comme on pourrait le croire à les voir soigner autant leur uniforme ou les détails de leur reconstitution. Ils font œuvre d’histoire, à leur façon, et viennent d’être reconnus par les aînés qu’ils représentent avec pas mal d’humilité, à les entendre. Ecoutons-les donc nous raconter comment ils en sont arrivés là, et à nous rappeler cet événement exceptionnel qu’a été le martyr du village de Graignes. A vrai dire, sans eux, personnellement, j’en serais encore à ignorer totalement ce qui s’y est passé, et qui nous rappelle d’une certaine manière ce qui s’est passé à Maillé ou à Oradour.

Le groupe est né d’un rassemblement de membre d’une autre association qui voulait aller plus loin dans le respect et la reconstitution. Nous étions 6 passionnés. Lors de notre premier voyage en Normandie en 1994 pour le cinquantième anniversaire, nous voulions faire plus que d’exposer le véhicule sur une place ou à coté d’un monument. Nous avons commencé par nous trouver les uniformes. On ne trouvait pas de reproduction à cette époque. Les expositions s’étoffaient alors de matériels et d’équipements qui plaisaient au public. Les sorties se multipliaient et notre formation commençait à être connue et reconnue. En 1998, nous avons participé à l’avant-première du film de Steven Spielberg, « Il faut sauver le soldat Ryan ». En tenue, nous avions accueilli les premiers spectateurs et avions eu la primeur de voir le film qui devait être un tournant dans l’histoire du cinéma. Durant le premier quart d’heure, nous étions mal à l’aise, nous posant même la question de savoir si nous méritions de porter cet uniforme. La réponse nous l’avons eu plus tard lorsque nous avons rencontré des vétérans du jour le plus long. En 2004, notre souhait, pour notre grand retour en Normandie, était de faire de notre déplacement un souvenir plus instructif à celui fait 10 ans plus tôt. Le groupe s’était agrandi depuis, nous étions une quinzaine et un tel périple coûtait cher. Plusieurs jeunes nous avaient rejoints jusqu’au point de former une troupe d’infanterie et il fallait trouver le moyen d’emmener un maximum de monde. Nous souhaitions que chacun puisse profiter du voyage. Les plans de l’association de l’époque ne le permettaient pas. Nous avons donc, en parallèle, fait le déplacement en Normandie pour trouver une Municipalité qui voudrait bien nous accueillir. C’est là que nous avons fait la connaissance de Longueville, petite commune du Calvados située sur la RN13, qui n’avait jamais rien organisé depuis 60 ans. Le pari d’organiser une marche commémorative et une cérémonie était osé mais fût une réussite qui restera un point fort dans nos souvenirs. En partenariat avec une association de La Madeleine pour l’occasion, le groupe d’infanterie manquera même le 6 juin pour prendre la route en bus en direction de l’Aisne pour rehausser une cérémonie dont le budget permettra de contribuer à nos frais de déplacements.
-Parlez-nous de Graignes, si vous le voulez-bien : c’est une portion d’histoire exceptionnelle a laquelle vous avez été invités à participer...
Les YANKEES commencent à être reconnus dans le Nord de la France. Chaque année, nous nous rendons en Angleterre afin de participer au plus grand rassemblement de collectionneurs de véhicules et de groupes de reconstitutions d’Europe. Nous nous rapprochons d’un groupe organisateur britannique et d’année en année, nous permettant de participer aux spectacles et expositions qui nous permirent d’avoir les honneurs de la presse spécialisée. C’est par ce biais que nous avons été contactés pour participer à un tournage de docu-fiction en Normandie pour la télévision américaine History Channel. Le tournage eu lieu en février 2004 dans le village Graignes dans la Manche. L’histoire, alors inconnue du public, nous toucha particulièrement. Alors que la série « Band of Brothers » était annoncée, les uniformes aux couleurs de la 101ème division et surtout du 506ème régiment fleurissaient. Nous avons pris le parti d’honorer le 507ème régiment, celui qu’on appelle régiment oublié. Avec la compagnie C du deuxième bataillon de Rangers, ce sont les couleurs que nous portons au plus haut pour que chacun sache que le sacrifice des jeunes de 20 ans pour libérer un pays qu’ils ne connaissent pas, se doit d’être ancré dans les mémoires afin que jamais de tels événements ne se reproduisent. En 2005, sur invitation d’un historien qui accueillait des vétérans, nous escortions la délégation durant leur pèlerinage. Durant la cérémonie d’adieu, nous avons rendu les honneurs aux anciens combattants. L’un d’entre eux c’est alors adressé à nous au nom de tous en disant : « Laissez nous à notre tour vous saluer, messieurs, car grâce à vous nous savons que vous contribuez à ce que l’on ne nous oublie pas ». Ils se mirent au garde à vous et nous saluèrent tous et nous pouvons alors dire que c’est à cet instant que nous avions la réponse à nos doutes ressentis en 1998. Chacun sait maintenant pourquoi il porte cet uniforme. Ce jour restera l’un des plus émouvants que nous ayons connu.
Notre structure devenait imposante et la question de créer notre propre association se posait. Suite à la réussite de notre partenariat en Normandie avec l’association U.S.A.R.G. de La Madeleine (près de Lille), l’offre d’intégrer l’association en temps que département indépendant fût acceptée à l’unanimité. Les YANKEES sont aujourd’hui environ soixante, de tous types sociaux et âges confondus. Ces graphistes, commerciaux, psychiatres, étudiants, patrons et autres sont bien déterminés à rester dans l’esprit de départ sur l’amitié et le respect de l’histoire.
- Qu’est ce qui vous motive ? L’histoire, les uniformes ou le goût de l’armée ?
Les motivations sont diverses. L’état d’esprit reste le moteur du groupe. Le goût de l’Histoire est pour beaucoup l’intérêt premier, mais c’est surtout la passion de pouvoir la transmettre aux autres en présentant aux jeunes et aux moins jeunes ce qui nous anime : l’Histoire Vivante. L’histoire est une base sur laquelle des recherches sont sans cesse faites. En 2009, soixante cinq ans après le débarquement, nous trouvons encore des informations, nous faisons des rencontres qui nous permettent d’enrichir notre savoir et ainsi le communiquer au plus grand nombre.
- Si l’on vous critique en vous taxant de militaristes, que répondez-vous ?
Que pourrions-nous répondre ? Il est bien difficile de répondre à telle accusation car il s’agit, le plus souvent d’une accusation plutôt que d’une critique. La critique est constructive. Il nous est arrivé d’être critiqué et nous avons corrigé nos défauts sur la qualité de nos prestations. Aujourd’hui encore, nul n’est parfait.
- Comment faites-vous si dans votre groupe débarque un admirateur d’Hitler ?
Une période probatoire de un an est prévue dans nos statuts. Pour tous les motifs contraires à notre déontologie, nous avons mis en place un règlement strict permettant de nous séparer d’une personne qui ne correspondrait pas à notre esprit.
- Comment cela se passe-t-il pour vous ? Combien de temps cela vous prend de vos loisirs ?
La gestion d’une association est la même que pour entreprise à la seule différence que cela doit rester un loisir pour tous. C’est une gestion permanente. Heureusement, il y a un noyau dur sur lequel on peut compter à chaque instant.
- Travailler avec un réalisateur américain, c’est facile ?
Il est nécessaire de faire ses preuves avant de pouvoir être contactés. Le sérieux d’un groupe est sa meilleure carte de visite.
- Vous ont ils faits des remarques sur votre souci du détail ?
Les directeurs sont très reconnaissants du travail fait pour leur œuvre. Ils ne manquent pas de remercier chacun des figurants à la fin du tournage. Jamais nous n’avons été déçu d’un tournage et réciproquement.
- En moyenne, un tournage c’est combien de temps ?
Un tournage peut durer une journée ou un mois pour long métrage mais en moyenne c’est sur un week-end pour un docu-fiction.
- Est-ce possible cette passion en famille ? Qu’en pensent vos épouses ou vos compagnes ?
Sans un accord familial, la passion est impossible. Certains ont leur compagnes qui les « accompagnent », d’autres ne partagent pas la passion mais viennent lors de réunions plus familiales. D’autres encore sont passionnés et recherchent activement des documents ou des informations pouvant concerner le rôle des femmes dans la seconde guerre.
- Quelles sont vos relations avec les anciens combattants ? Vous critiquent-ils ? Pourquoi parfois ça coince ?
Nous avons un soutien particulier avec les anciens combattants du Nord (UNC – Mémoire Vivante). Les responsables partagent au plus haut point notre action pédagogique et nous sollicitent à plusieurs occasions.
- Est-ce un loisir coûteux ?
C’est un loisir, et comme beaucoup de loisirs… On ne peut pas cacher que ça coûte de l’argent. Depuis quelques années, le « business » est florissant et fluctuant laissant le champ libre aux marchands qui surfent sur la vague de la demande.
- Comment faites-vous ? Pendant les vacances, des congés, des week-ends ?
Chacun gère son temps comme il le peut. Généralement, nos sorties se font le WE. Il n’y a que les plus gros déplacements qui nécessitent de prendre des congés. Ces déplacements sont toujours à date fixe, ce qui nous permet de prévoir à l’avance .
- Citez des livres, des films ou des émissions qui vous ont donné le goût de le faire :
Ce sont les films à gros budgets avec un un énorme renfort de pub qui ont le plus la côte. Le film « Le jour le plus long » reste la référence des quadra comme « Ryan » ou « Band of brothers » pour les plus jeunes. De nombreuses productions moins connues sont tres interessantes, on peut citer notamment la série « The War » diffusée il y a peu sur nos écrans.
- Avez-vous suivi l’affaire « Vent d’Europe », qu’en pensez-vous ?
L’affaire était prévisible depuis plusieurs années. Celui qui est dans le « milieu » et qui se serait étonné de découvrir ce qui est arrivé devrait revoir ses convictions ou ses attentes. Depuis plusieurs années, les reconstitutions de batailles avec des groupes allemands voyaient le jour. Le plus impressionnant c’était de voir que ces groupes choisissaient de porter les insignes SS. Ce choix là devait déjà être une alerte.
- Que peut-on faire pour l’empêcher ?
Ça peut paraître bizarre, mais le fait d’autoriser en encadrant pourrait être bénéfique pour tous. L’interdit attire les extrêmes.
- Quels sont vos projets ou vos prochains contacts ?
Nous préparons depuis plusieurs mois notre prochain déplacement pour le 65ème anniversaire en Normandie. Un périple d’une semaine avec un programme qui s’étoffe encore aujourd’hui.
- Que dire à des jeunes qui voudraient vous rejoindre ?
Nous dirions à un jeune qui souhaite nous rejoindre que nous sommes, avant tout, à son écoute. Mais c’est à lui de nous prouver sa et ses motivations car, on est YANKEES par son état d’esprit pas par envie.
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