Mettons tous les tabous sur la table !
La crise que nous venons de connaître ces trois dernières semaines a permis à la société française de mettre bon nombre de ses tabous sur la table. Carte scolaire, problèmes criants de discrimination raciale, rapport entre la jeunesse et la police, et la liste n’est pas exhaustive. Pourtant, cette crise aiguë de lucidité ne semble pas avoir eu raison de ce qui semble être le tabou suprême, le cannabis. Quel dénominateur commun retrouve t-on derrière les problèmes d’économie souterraine, de déscolarisation des adolescents, ou du contentieux jeunes/police ? Évidemment le cannabis.
Tous les politiques, les analystes, les acteurs de terrain ont cette phrase à la bouche : “L’économie souterraine gangrène nos quartiers !” Si l’objectif est d’affoler tout le monde, c’est une réussite. Mais, comme toutes ces expressions préfabriquées, elle n’apporte aucun élément de compréhension. La pierre angulaire de l’économie souterraine, c’est le cannabis. Tous les autres business tournent autour du cannabis comme des satellites autour de leurs planètes. Les caïds, comme on aime à les appeler, utilisent les bénéfices du cannabis pour financer leurs autres business (drogues dures, armes, etc.) bien plus lucratifs. Il faut casser l’image du dealer de cannabis au pied de son immeuble qui roule en BMW grâce à l’argent de son trafic. D’abord, parce que les millionnaires du business n’habitent plus la cité depuis longtemps mais bien souvent un pavillon cossu du centre ville, c’est plus discret et confortable ; ensuite, parce que si on peut vivre du cannabis, on peut difficilement faire fortune grâce à lui.
Avec plus de 5 millions de consommateurs, presque autant de fournisseurs, le marché est plus que concurrentiel et ne permet pas de marges exorbitantes. Les prix sont les mêmes partout (environ 30€ pour 12 grammes) et ne font que baisser depuis quinze ans suivant la courbe inverse de la consommation qui explose. Tout au mieux, un jeune qui vit du “shit” gagne un “salaire” moyen équivalent à celui d’un fonctionnaire de base.
Mais ce portrait du fournisseur ne reflète qu’une réalité minoritaire. Le gros des troupes des dealers a un emploi et ne fait qu’arrondir ses fins de mois avec le trafic. Il y a aussi la catégorie du consommateur solidaire : en général, il s’agit d’un jeune issu de ces banlieues, qui a réussi à s’en sortir, qui travaille dans les centres villes et qui est sans cesse sollicité en raison de ses origines, pour “remonter” du shit à ses collègues (voire à son patron) sans même penser à en tirer un bénéfice autre que celui d’être bien vu. Il serait idiot de penser que les 5 millions de consommateurs se trouvent dans les banlieues. Le cannabis est devenu un produit de consommation de masse. On trouve des “fumeurs” partout, de tous âges et de toutes catégories socioprofessionnelles, du chômeur au chef d’entreprise, du jardinier au journaliste, du fonctionnaire de police à l’attaché parlementaire. La France a développé une culture de la consommation de cannabis et refuse de l’accepter, préférant se bander les yeux et croire aux vertus de la pénalisation pour réduire la consommation. Chers amis, n’est-il pas temps de reconnaître que cette politique a échoué puisque nous sommes les champions du monde de la consommation ?
Cet aveuglement entraîne des situations inacceptables car il engendre une anarchie complète dans la distribution du cannabis. Beaucoup de gamins peuvent se permettre d’être déscolarisés à cause du cannabis. Tout jeune mâle adolescent, vers l’âge de 15 ans, se retrouve dans ce que l’on appelle “la crise d’adolescence”. Nous avons tous vécu ce moment charnière où on ne supporte plus les adultes, où on considère que l’école ne sert à rien et qu’il vaudrait mieux se mettre à gagner sa vie. Nous en sommes tous sortis, parce que nous avons été confrontés au principe de réalité. A 15 ans, on ne peut pas gagner sa vie, et on retourne vite à ses études. Mais la réalité dans ces cités, c’est que ces gosses peuvent vivre de la vente du cannabis. Et le problème commence également à toucher les enfants des beaux quartiers. Les taux d’absentéisme augmentent partout. Et que se passe-t-il lorsque ces mômes sont rattrapés par le système pénal ? C’est leur vie que l’on met en parenthèse. Allez vous insérer dans la vie active avec un casier judiciaire dont la première ligne est : « trafic de stupéfiants » ! Bon courage !
Bref, il est temps de réaliser que cette situation doit cesser. Et puisque la pénalisation a montré son inefficacité à protéger ces gamins, on doit tous prendre conscience qu’il faut imposer des règles de distribution. Il faut dire clairement que fumer du cannabis à 15 ans, ce n’est pas possible, encore moins d’en vendre. Et si on laisse aux vendeurs actuels le soin de tenir ces propos, la prévention n’est pas là de se mettre en place. La pénalisation empêche toute prévention et pour s’en convaincre il suffit de comparer les courbes de consommation des drogues “légales” et des drogues “illégales”. En France, depuis plus de quarante ans, on fume de moins en moins de cigarettes, on boit de moins en moins d’alcool, alors qu’au cours de cette même période, la consommation de cannabis a augmenté de manière exponentielle. Mais, en bon Français, nous préférons une fois de plus fuir les réalités et nous enfermer dans l’immobilisme.
Un autre tabou nous a également sauté au visage. La jeunesse française dans son ensemble (et pas seulement celle dont la couleur de peau indique les origines) n’aime pas sa police. Étonnant ! Je sais bien que détester sa police est un sport national français. Je ne nie pas que la police n’a pas encore tiré les leçons de ses exactions passées (occupation, nuit du 17 octobre 1961) et que des relents de racisme existent en son sein, puisqu’il y a même un syndicat de policiers très proche du F.N. Pourtant, je crois les autres syndicats, qui nous répètent à longueur d’interview que la police change petit à petit. Le racisme et la culture française ne peuvent pas expliquer, à eux seuls, le malaise. Mais éclairés par la culture de la consommation de cannabis, on peut comprendre ce qui se passe.
S’il y a un corps d’État où l’amalgame jeunes=voyous est le plus fréquent, c’est bien la police nationale. Le pire est que l’amalgame est reconnu par la loi. En effet, avec 5 millions de consommateurs (selon le code pénal, des voyous) dont la majorité sont âgés de 18 à 30 ans, on comprend mieux le contentieux. Quand un policier rencontre un jeune, il a tout intérêt à le contrôler, puisqu’il y a du cannabis partout. Ceci est encore plus vrai lorsque votre ministre vous invite plus que fermement à faire du chiffre. Bien souvent, le contrôle ne commence pas par “Bonjour” mais par “Qu’est-ce que t’as dans les poches ?” Très agréable entrée en matière, surtout quand on n’a rien de fâcheux dans les poches.
“Et quand on en a ?” me demanderez-vous. Eh bien là, c’est le règne de l’injustice. Si Thibault sort du lycée Janson de Sailly et se fait contrôler, rue de la Pompe, une boulette de “shit” dans la poche, on va l’inviter à venir bien gentiment au commissariat. Les menottes ? Pourquoi faire ! “C’est pas une racaille celui-là, et puis vu le quartier, on ne sait pas trop ce que font ses parents dans la vie, mieux vaut être prudent”, se disent les policiers. Arrivé au commissariat, Thibault attendra sagement dans un coin que ses parents arrivent, le policier fera à toute la petite famille un joli sermon sur le cannabis, et notre pauvre Thibault se verra sans doute restreindre l’utilisation de sa carte de crédit offerte par papa et maman à Noël dernier. Maintenant, la même situation, mais en banlieue. Mohammed (Mamadou ou Jean-Luc) sort du RER après sa journée au Lycée technique Georges Brassens, une boulette de cannabis dans la poche. Là, bizarrement, le contrôle va durer une demi-heure, sous les yeux de tous, on va menotter Momo, crier bien fort que c’est un trafiquant de drogues, une racaille ou que sais-je, pour finalement l’inviter lui aussi au commissariat. Mais là, on n’appelle pas les parents, “De toute façon, les parents ne se déplacent jamais !” Et ça ne va pas durer 2 ou 3 heures mais 24 à coup sûr. Pour peu que des collègues de nos policiers aient été caillassés dans la semaine, Momo va avoir droit à l’interrogatoire façon “Pablo Escobar”. “ A qui t’achètes ? A qui tu vends ? Dis-le, que t’es un dealer !” Et à chaque réponse ne correspondant pas aux attentes des policiers, ce sera soit un coup de bottin, soit une gifle avec la main, gantée, évidemment, pour ne pas laisser de trace. Quand on tient Pablo Escobar, tout est permis ! Après 24h, Momo sortira libre, et son dossier sera en route pour le tribunal, qui le classera sans suite, parce qu’il n’a pas que ça à faire. Et les policiers de nous rabâcher : “Vous voyez, on les arrête et ils sont toujours impunis !” On comprend mieux la frustration et l’envie de revanche présente des deux côtés. Et pour peu que Momo décide d’aller se remettre de ses émotions en boîte de nuit, et qu’il y croise un des policiers de la veille en train de fumer son joint comme tout le monde, vous obtenez un chien enragé ! Servez-lui, par-dessus, un “la loi doit être la même pour tous”, et c’est l’explosion.
A la lumière de la réalité du cannabis en France, il est temps que chacun sorte la tête de son trou, analyse lucidement la situation et propose des solutions adéquates. Et surtout que l’on ne vienne pas parler de “dépénalisation de la consommation” dans une volonté bien française de ménager la chèvre et le chou, parce que la dépénalisation, c’est la légalisation de fait de la situation expliquée ci-dessus. Enfin, tous les politiques sont d’accord pour concentrer les efforts sur les banlieues. Ici, on propose 15 élèves par classe ; là, un service civil volontaire payé au smic. Mais avec quels financements ? Les caisses sont vides ! Ne serait-il pas temps de trouver de nouvelles rentrées d’argent pour pouvoir assumer toutes les belles et nécessaires promesses des politiciens ? A moins que l’on préfère se passer d’argent frais et laisser les bénéfices d’un marché de 5 millions de clients aux groupes mafieux ou/et intégristes.
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