Meurtre d’Ilan : du racisme primaire au crime contre la beauté
Le propos de M. Aspi-rine me donne des aigreurs d’estomac et les commentaires qu’il a suscités dans le forum d’Agoravox sont, pour la plupart, plus irritants encore. Comment ne pas être ému par la barbarie qui, telle une meute de loups affamés, se répand à nos portes ? Et pourquoi chercher toujours à dévaloriser des réactions viscérales d’indignation en allant déterrer d’autres cadavres pour les exposer sans pudeur sur le plateau jamais assez chargé de la balance d’une philosophie de bistrot, poisseuse de bons sentiments ? S’il est une profession qui se porte très bien dans notre cher pays, c’est celle de naufrageur de la morale. Trop de pirates naviguent désormais en tous sens dans des marigots nauséabonds de la pensée humaine où ils retrouvent ceux qui, faute d’être capables de filtrer des sentiments d’intelligence et de raison, doivent se contenter d’agiter la mauvaise conscience des autres. C’est dérisoire et inquiétant...
Le crime du jeune Ilan est une abomination sans nom. L’indignation qu’il a soulevée est on ne peut plus saine, et le traitement que lui ont accordé les médias est proportionnel non seulement à la gravité de l’acte, mais aussi aux innombrables questions qu’il ne manque pas de soulever.
Kidnapper un homme parce qu’il est juif est en soi un acte raciste. Il n’y a pas à discuter là-dessus. Le torturer pendant des semaines pour sensibiliser ses coreligionnaires, puis s’en débarrasser sur le bord d’une route, tient de la barbarie la plus abjecte et la plus raciste elle aussi. Comment peut-on douter d’une telle évidence, en se permettant d’aller chercher, dans les paroles du chef de gang arrêté en Côte d’Ivoire, des arguments pour étayer son trouble devant l’indignation qui soulève notre pays ? Comme l’a justement dit Julien Dray, les avocats de ces êtres bestiaux ne manqueront pas de soulever les pires arguties pour dédouaner leurs « clients ». Laissons-les faire, c’est leur job, même si parfois il n’est guère ragoûtant. Mais tant de commentaires sur ce forum pour disséquer le « préjugé » du « racisme » pur et dur, ça fait froid dans le dos, d’autant qu’on y sent comme un soulagement d’avoir déniché une excuse de s’être trouvé contraint, quelques instants, d’accuser aussi ouvertement un ou plusieurs jeunes musulmans de barbarie. Ce qui n’est pas sans rappeler l’attitude adoptée par une partie de l’intelligentsia maghrébine et proche-orientale, parfois relayée dans nos officines intellectuelles, quand elle proclamait pendant des mois que Ben Laden ne pouvait avoir envoyé des avions sur les tours du World Trade Center, avec pour seul argument qu’un vrai musulman ne peut pas faire ça... On attend toujours les excuses, à défaut de repentance, quand M. Ben Laden, lui-même, a remis leurs pendules à l’heure.
Les propos de M. Aspi-rine ont suscité un commentaire particulièrement abject sur lequel son instigateur devrait méditer : « Si on enlève un catho, un protestant, un musulman ou un témoin de Jéhovah, personne ne pense que la communauté va payer ! Le communautarisme a donc bien été une des causes de la mort d’Ilan ! » Moralité, si les Juifs avaient été moins solidaires entre eux, le jeune Ilan serait encore en vie. Donc, même quand on les assassine, c’est encore de leur faute !
Le crime d’Ilan est un crime né de la haine et de la jalousie qui, de tous temps, ont été les piliers du racisme primaire. A cela, je me demande s’il ne faut pas ajouter un crime contre la beauté. Quand on voit le visage du jeune Ilan, beau et rayonnant de vie, et celui du chef de gang qui, avec ses complices, a décidé de son sort, on peut se demander s’il n’y a pas eu, dans son geste, l’envie d’effacer tant de grâce et tant de beauté. Ilan s’était forgé un visage franc et lumineux. Son bourreau porte le masque de l’abjection la plus noire (sans jeu de mots). Ils ne devaient jamais se rencontrer. Et ce n’est pas le destin qui en a décidé autrement ; c’est une somme de calculs sordides, de machinations maintes fois répétées, une accumulation de raisonnements dépourvus de la moindre parcelle d’humanité.
Devant une telle monstruosité, plutôt que de s’attaquer aux racines du mal qui nous ronge et qui a nom « misère intellectuelle », je lis une fois encore qu’il convient, toutes affaires cessantes, de « rassurer la communauté juive de France ? »
Et ça se rassure comment, la communauté juive de France ? Ça se cajole, ça se frictionne, ça se persille, ça se masse au monoï ou à l’huile d’argane ?... A moins qu’il ne faille organiser dare-dare un bataillon de volontaires-rassureurs professionnels, dûment estampillés CPE, pour qu’ils quadrillent le Marais et les abords de la synagogue de Carpentras ? Arrêtons de dire n’importe quoi, de touiller sans fin les bonnes intentions inconsistantes et de patauger dans la vase des lieux communs qui n’engagent que les imbéciles en leur permettant de se donner bonne conscience à peu de frais.
Ça fait trente ans qu’on essaie de rassurer un peu tout le monde, au gré de l’air du temps et des secousses que ne manque pas d’enregistrer notre société depuis le printemps 68 et depuis qu’elle est confrontée au plus fort taux de population immigrée d’Europe - ce qui engendre les plus grandes difficultés pour maintenir des mécanismes d’intégration qui, jusqu’il y a peu, n’avaient pas trop mal fonctionné.
Depuis des décennies, on a tour à tour rassuré les femmes, les enfants, les veuves, les orphelins, les anciens combattants, les homosexuels, les élèves, les parents d’élèves, les instituteurs, les professeurs, les médecins, les infirmières, les notaires, les agents EDF, les gendarmes, les employés de « chez Renault », ceux de Danone, les intermittents de l’intermittence. On a aussi rassuré copieusement les paysans, les pêcheurs, les dockers, les routiers, (aujourd’hui les éleveurs de volaille), les OGNophiles et les OGNophobes, les partisans de l’éolien et ceux du tout-nucléaire. On s’est aussi occupé à rassurer les aveugles (devenus non-voyants), les sourds (devenus malentendants), les handicapés (affublés de mobilité réduite). En même temps, on a fait semblant de rassurer les immigrés de la première génération, ceux de la deuxième et maintenant ceux qui ont un abonnement chez l’assistante sociale. Puis, quand on s’est aperçu qu’on les avait oubliés, on s’est empressé de rassurer plus ou moins les tziganes, les harkis, les fils et petits-fils de harkis, et les plombiers polonais, sans oublier les clandestins chinois et les Brésiliens du bois de Boulogne. Et j’en oublie des tas.
Ainsi, il conviendrait aujourd’hui de rassurer une fois de plus la communauté juive de France... Ceux qui professent de telles inepties devraient se brancher, ne serait-ce qu’une journée, sur Al Jazira ou sur Al Arabia, les parangons de la « pensée » la plus diffusée aujourd’hui dans le monde arabe. Je pense qu’après une telle expérience, ils auraient eux aussi besoin d’être rassurés.
L’immigration, des années 1960 jusqu’aux années 1980, se faisait en regardant TF1, Antenne 2, ou FR3. Ce n’étaient peut-être pas les meilleures télé. du monde (quoique...) mais je ne suis sans doute pas le seul aujourd’hui à regretter la qualité et l’originalité de certaines émissions qu’elles programmaient aux heures de grande écoute. Aujourd’hui, un jeune issu de l’immigration est pris entre les deux mâchoires d’un étau. Elles sont aussi terribles l’une que l’autre. S’il n’est pas encadré, dans une famille respectueuse des valeurs de la République, ou tout au moins du minimum de valeurs humaines, il ne peut que sombrer dans l’horreur idéologique qui mène aux pires extrémités. Si les prisons françaises hébergent une forte population issue de l’immigration, c’est peut-être dû en partie à des problèmes de discrimination, mais ils ne sont pas seuls en cause. Il ne serait pas anormal de se poser des questions sur le déficit d’éducation dont souffre cette jeunesse et qui génère une bonne part de cette discrimination. Il suffit de se promener à une heure du matin à Nice, du côté de l’Ariane, dans le quartier du Petit Bar, à Montpellier, ou dans certaines zones du fameux 93, aujourd’hui vendu comme label d’authenticité. On y voit des enfants de 4 à 10 ans errer seuls une bonne partie de la nuit entre les voitures les parkings des cités, pendant que leurs pères sont au café à jouer au rami (ou à des jeux moins avouables) et que leurs mères discutent entre elles jusqu’à épuisement. Or ce spectacle est très précisément le même que celui qu’on voit dans les rues d’Alger, de Constantine ou de Casablanca. A élever ses enfants dans la rue, on en fait des enfants de la rue, sous toutes les latitudes.
Tant en Europe qu’au Maghreb ou au Moyen-Orient, la société musulmane est en panne d’un véritable système d’éducation, depuis des siècles, et le phénomène s’est emballé avec l’apparition de chaînes de télévision qui diffusent la haine de l’autre à longueur d’antenne.
Il suffit d’allumer Al Jazira, ne serait-ce que cinq minutes. On y entend les mots d’arabiia et d’amériqiia, répétés à satiété comme des rafales de kalachnikov, pour laver le cerveau de gens qui n’ont rien d’autre à se mettre au bout de leurs neurones. Ce sont ces gens-là qui ont coupé le monde en deux, et non les éternels oppresseurs de l’Occident, comme on voudrait nous le faire croire. Même si les télévisions des pays occidentaux (Japon compris) ne sont pas en reste d’une nouvelle barbarie - mais c’est celle de la liberté et je reste preneur. L’impudicité de l’argent et du sexe qu’elles promeuvent depuis des années jette des centaines de jeunes en mal d’idéal dans les bras des intégristes de tous poils.
Seul un effort d’éducation humaniste, puisé à la source du « Connais-toi toi-même » [et fous la paix aux autres] de la pensée grecque et diffusé tous azimuts, peut nous permettre d’échapper à un naufrage de civilisation déjà programmé. Ce n’est certainement pas le rap qui pourra nous l’épargner.
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