Michel Houellebecq, le peintre de la modernité...
Houellebecq est bien le Balzac du XXI ème siècle : il dépeint notre modernité avec tant d' acuité et de talent.
Pour preuve, l'incipit de son roman La carte et le territoire... en deux pages, Houellebecq aborde de nombreux aspects de nos sociétés, un véritable condensé de notre modernité.
Quand on l'interroge sur le sens de son oeuvre, l'artiste peintre Jed Martin, héros de ce roman, répond :"Rendre compte du monde, simplement rendre compte du monde."
Rendre compte du monde, c'est également le projet de Michel Houellebecq. Non seulement rendre compte du monde, mais aussi le révéler.
Le monde de l'art que décrit Houellebecq dans son roman est ainsi l'occasion d'aborder bien d'autres aspects de nos sociétés.
Le roman s'ouvre sur une description de deux personnages, deux artistes de renom : Jeff Koons et Damien Hirst.
Jed Martin est, en fait, en train de les représenter dans un tableau.
Le décor nous fait découvrir, derrière une baie vitrée "un paysage d'immeubles élevés... un enchevêtrement babylonien de polygones gigantesques, jusqu'aux confins de l'horizon."
On perçoit là la démesure de nos immeubles modernes. Et Houellebecq de rajouter : "On aurait pu se trouver au Qatar ou à Dubaï." C'est bien l'occident transplanté dans le monde oriental qui est ici suggéré.
On voit aussi que "la décoration de la chambre" où se trouvent les personnages, "était inspirée par une photographie publicitaire, tirée d'une publication de luxe allemande."
Le décor lui-même est associé à l'univers publicitaire qui est une composante essentielle de nos sociétés de consommation.
On entre ensuite dans les pensées du peintre : il commente le physique des deux artistes, d'abord Hirst, "facile à saisir".
Il est "brutal, cynique, genre "je chie sur vous du haut de mon fric".
Et, bien sûr, on perçoit dans ce portrait l'importance capitale de l'argent : l'argent qui permet l'orgueil, le mépris, l'assurance et même la vulgarité.
De plus, le visage de Hirst "avait quelque chose de sanguin et de lourd, typiquement anglais, qui le rapprochait d'un fan de base d'Arsenal."
En une brève notation, Houellebecq évoque ici l'univers du football, une autre composante de nos sociétés, le football, ses fans, hystérisés, lourds et prompts à l'emportement.
Koons, lui, a un physique plus ambigu : "Koons semblait porter en lui quelque chose de double, comme une contradiction insurmontable entre la rouerie ordinaire du technico-commercial et l'exaltation de l'ascète."
Plus loin, l'artiste évoque son "apparence de vendeur de décapotables Chevrolet".
Le commerce, les voitures, le luxe font aussi partie de nos sociétés de consommation.
C'est comme si la société en venait à imprégner l'aspect physique des individus, comme si la société contaminait les personnages.
D'autre part, les deux portraits s'opposent, comme si les deux artistes étaient en concurrence, l'un apparaît dans une attitude dynamique, l'autre est statique : "Jeff Koons venait de se lever de son siège, les bras lancés en avant dans un élan d'enthousiasme. Assis en face de lui sur un canapé de cuir blanc partiellement recouvert de soieries, un peu tassé sur lui-même, Damien Hirst semblait sur le point d'émettre une objection..."
Houellebecq évoque souvent dans ses romans le domaine de la lutte économique caractérisée par un combat brutal pour la domination.
Selon Houellebecq, "le capitalisme est dans son principe un état de guerre permanente", comme il l'écrit dans son ouvrage Plateforme.
C'est "un monde, en somme conçu sur le modèle de l'hypermarché, un système qui prive les êtres de leurs repères pour mieux les soumettre à la tyrannie du désir, et les condamner finalement à n'être que des produits parmi d'autres, menacés eux aussi d'obsolescence rapide. Car telle est la logique du marché : sans désir, pas de profit et sans peur, pas de désir. Il s'agit donc de planifier le désespoir et la terreur - terreur de manquer, terreur de perdre sa place, terreur de se voir mis au rebut - pour réduire l'homme à la docilité du consommateur et pour assurer le fonctionnement souverain de la machine." Agathe NOVAK-LECHEVALIER.
Terrifiante analyse ! Le monde moderne régi par la peur !
Enfin, quand on regarde les photographies des deux artistes dépeints par Houellebecq, on se dit que c'est finement observé !
L'oeil du peintre, du photographe !
L'incipit du roman :
Le blog :
http://rosemar.over-blog.com/2021/02/michel-houellebecq-le-peintre-de-la-modernite.html
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