Michel Onfray VS Greta Thunberg, au delà des apparences
En ces temps d'hygiénisation de la vie publique et privée, il est vivement recommandé de surfer sur la vague verte, et d'ouvrir les yeux. La planète Terre est en danger, il faut se remuer et se flageller. La tête de gondole des rayons bio de notre magasin vert en péril s'appelle Greta Thunberg. Du haut de ses 16 ans, la jeune suédoise nous alerte régulièrement sur la fin de notre monde, au risque de contrarier quelques esprits réfractaires aux phénomènes de mode et de foire. C'est le cas du philosophe Michel Onfray qui pendant le courant de l'été s'est fendu d'un article et d'une interview dans lesquels il allume, non sans humour, l'adolescente et sa marche verte, déterrant au passage les graines d'une vérité commerciale qu'il faudrait taire.
S'attaquer à un des symboles de l'avenir de l'Homme, aussi cosmétique soit-il, n'est pas du goût de tout le monde. Si certains s'en régalent sous couvert d'anonymat sur la toile, les garants de l'ordre à établir s'en indignent à visage découvert et condamnent le « déchaînement » du normand sur l'activiste écologiste.
Difficile d'y voir clair dans cette affaire. Comme il est difficile d'y voir clair dans ce monde qu'on voudrait tout en couleurs, et qu'on ne cesse pourtant de représenter en noir et blanc, ou plutôt en noir et vert, où les nuances sont gommées, les aspérités lissées, la perspective écrasée.
En tant que fan de science-fiction et de récits dystopiques, j'ai quand même essayé de faire la lumière sur cette histoire de cyborg raconté par un vieux sage. Je vous propose ma critique du discours critique de Michel Onfray au sujet de Greta Thunberg, sans savoir si je souscris malgré moi à la vague déferlante du politiquement correct, ou si j'écris juste au nom du bon sens. A chacun de s'y retrouver dans ce papier qui ne prétend nullement à LA vérité.
Le philosophe normand Michel Onfray, qui s'est spécialisé dans la destruction des idoles de la bien-pensance s'est attaqué à la dernière idole en date des jeunes, Greta Thunberg. Cette jeune suédoise de 16 ans qui marche sur les plates-bandes de Justin Bieber, a quitté les bancs de l'école pour sauver le monde des griffes de l'Homme moderne. Adulée par les ados, les écolos, et les bobos, la nouvelle égérie des médias traditionnels (TV, presse écrite, radio) suscite autant l'admiration que l'indignation.
Sa méthode de lutte contre le dérèglement climatique, consistant pour l'essentiel à sécher l'école et à se plaindre, ne plaît pas à tout le monde. Certains s'interrogent et s'agacent, au risque de dévier du politiquement correct, et de la ligne éditoriale commercialement consensuelle de la presse télé. Michel Onfray, en qualité de Robin des Bois de la pensée, ne pouvait pas s’empêcher de saisir cette nouvelle opportunité de déranger l'ordre artificiel des choses, et de refaire le portrait d'un monde en crise.
A travers un article et une interview dédiés à la super-heroïne scandinave, le philosophe nous éclaire avec sa lumière plus éblouissante que jamais sur le phénomène Greta, et les contradictions de notre époque qui s'en dégagent. Profitons de cet éclairage gratuit et naturel, qui peut-être nous aidera à s'y retrouver dans une réalité qui se déchire entre la fin du mois et la fin du monde.
1 - Le monde selon Michel
Michel Onfray, avec son sens aiguisé de la contrariété qui a fait sa renommée, pouvait difficilement s'aligner sur le discours politiquement correct des médias traditionnels, qui acclament et défendent par souci d'objectivité et d'humanité la démarche écolo de l'ado aux 2 tresses. Le philosophe aperçoit dans Greta une marionnette téléguidée par des capitalistes forcément cupides, qui cherchent à se faire du pognon sur le dos de la planète ; ça s'appelle le « capitalisme vert ». L'écologie devient l'argument commercial d'une nouvelle forme de capitalisme.
Selon Onfray, et ses inspirations platoniciennes, mais aussi Star Wars-nesques, il faut comprendre que nous vivons dans un monde pourri par l'argent où l'émotion, la déraison, l'affect, la peur ont remplacé la logique, la raison, l'intelligence, le discernement. Le monde est piloté par des capitalistes insatiables qui infantilisent les masses afin de mieux les manipuler, et de s'enrichir au passage. Quoi de mieux que la peur comme mode opératoire pour manipuler les gens ? La récupération d'un dérèglement climatique plus ou moins naturel, et la promotion de prophètes de l'apocalypse, sont au service d'un marketing de l'or vert.
Toujours selon ce classique clivage binaire, pour ne pas dire manichéen, qui met d'un côté l'émotion qui annihile le bon sens, et de l'autre la raison qui préserve l'humanité, nous vivons dans un monde puéril qui n'assume pas sa cupidité, et préfère se voiler la face en invoquant des prétextes plus ou moins nobles et crédibles. A la manière d'un cadre supérieur qui n'oublie pas d'aller au boulot en trottinette électrique, parce que c'est bio, alors qu'en fait c'est juste parce qu'il n'a pas coupé le « cordon ombilical » qui le « relie à [son] enfance ». Il veut bien travailler, et s'en mettre plein les poches, mais à condition de continuer de garder ses jouets d'enfant à proximité. Nous sommes dans un monde d'adultes irresponsables qui ne sont pas sortis de l'enfance, et qui ne peuvent que prendre un malin plaisir à se voir soumis à l'autorité de leurs enfants rois.
Dans ce monde immature de gosses pourris gâtés pressés et d'adultes attardés, une ado écolo alarmiste de 16 ans qui refuse de se plier aux règles érigées par des grandes personnes ne peut que triompher, et grossir les caisses de puissants capitalistes bien planqués.
2 - Rhétorique à la sauce sophiste
Pour étayer sa thèse de l'activiste instrumentalisée, et faire par la même occasion le procès de ses contemporains, Onfray s'appuie sur des arguments aussi percutants et volatiles que du méthane tout droit sorti de l'arrière-train d'une vache normande. Attention, ça va aller très vite. Greta est une enfant, déscolarisée, et autiste. Remarque de Onfray : pour qui elle se prend pour donner des leçons ?! Conclusion de Onfray : elle est incapable de se rendre compte qu'elle est manipulée par des intérêts économiques qui la dépassent, comme tous ceux qui la soutiennent dans son combat écolo. Voilà c'est tout. Essayons maintenant de voir ce qui cloche avec ces arguments et ce raisonnement.
2.1 - Croire penser par soi-même avant 18 ans, l'erreur de jeunesse
Onfray semble avoir un problème avec la jeunesse, avec l'enfance, et ses membres ; les enfants, ces « êtres en cours de fabrication », et sans pensée qui leur serait propre. Il faut comprendre que selon sa vision apparemment platonicienne du monde, qui repose sur une distinction radicale entre le sensible et l'intelligible, et qu'on enseigne au lycée avec la fameuse allégorie de la caverne, seule une poignée d'experts ayant de l'expérience et de la sagesse sont dignes de donner des leçons. Parce que leur savoir les met à l'abri des apparences trompeuse du monde sensible, de sa représentation fallacieuse du réel. Les enfants, cloîtrés dans la sécurité matérielle et affective du cocon familial, ne peuvent avoir conscience des enjeux du réel qui dépassent le cadre de la seule tâche qui leur importe ; leur bien-être personnel.
On imagine bien qu'en prenant de l'âge, et de l'expérience on gagne en principe en maturité, et en sagesse. Cela étant, c'est à mon sens loin d'être aussi systématique, simple et évident qu'un découpage entre enfance=immature=mouton, et adulte=mature=bon sens.
Il est curieux qu'Onfray, un rebelle de la pensée, assigne la maturité à l'âge, et l'émotion à la négativité. La maturité peut davantage relever de l'environnement dans lequel on évolue que de l'âge. Et pourquoi bêtement dissocier l'émotion et les sentiments de l'intelligence, et de la capacité à associer des éléments de telle ou telle nature ? Par ailleurs, quel intérêt de vivre en tant qu'être humain s'il faut renoncer à ses émotions, les refouler ? Surtout lorsqu'on se revendique hédoniste. Sauf si on est un hédoniste ascétique comme le normand apparemment, et là on ne comprend plus rien.
Toujours au sujet de la jeunesse, et d'une éventuelle incapacité à réfléchir qu'il faudrait y attacher, Onfray explique que Greta ne fait que rabâcher un discours qu'elle n'a pas écrit, issu des dossiers du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) et de la « bien-pensance progressiste » débitée « depuis des années par des adultes ». En quoi alimenter la teneur de ses propos en se servant des connaissances produites par d'autres est-il exclusivement révélateur d'une incapacité à penser par soi-même ? Dans ce cas, Onfray qui paraphrase dans son article le philosophe Hans Jonas pour parler d'obscurantisme, est au même titre un décérébré qui ne fait que réciter les vérités de son catéchisme à lui.
Avant de se faire un nœud à la tête, on note selon Michel, et pour des raisons mystérieuses qui lui appartiennent, que les adultes bien qu'immatures auraient le monopole de la bonne parole. Oui, c'est paradoxal, et illogique. Autant que d'appeler à la raison et au pragmatisme, tout en conseillant de lire de la poésie pour faire de l'écologie … passons.
2.2 - Sécher les cours, c'est pas bien
Greta a quitté l'école. Pour le professeur marginal Michel Onfray, faire l'école buissonnière n'est pas un gage de sérieux si on veut être crédible intellectuellement et donner des leçons. Là encore, ah comprend pas. Comment quelqu'un qui a créé un lieu de savoir en dehors de l'establishment (Université Populaire de Caen), et aime défaire les connaissances véhiculées par l'establishment (Freud et ses névroses appliquées au commun des mortels), peut-il accorder aussi peu de crédit à quelqu'un qui comme lui sort de l'establishment ? Ça paraît absurde, mais il ne faut pas oublier les arguments invoqués par le philosophe, Greta est une enfant, et en plus elle ressemble à un cyborg. Ces 2 mentions sur le CV de l'adolescente ne cadrent pas avec les critères de recrutement de Michel au poste de réformateur. Il semble qu'il y ait des conditions très strictes pour s'arroger le droit de sortir du troupeau et de dispenser la bonne parole aux moutons.
2.3 - L'inexpressivité d'une ado autiste, un manque d'humanité
Enfin, dernier point de l'argumentaire de Michou, l'autisme de Greta. Le philosophe insiste lourdement sur son apparente inexpressivité qui facilite son argumentaire consistant à la dépeindre comme un robot téléguidé par des géants verts. Greta est autiste asperger. Sans doute, cette particularité neurologique affecte son expressivité, et la transparence de ses émotions.
On pourra reprocher au philosophe qu'il est, et qui aime faire dans l'explication de texte, de céder à la facilité de la généralité en assimilant l'autisme asperger à de l'autisme, et de se limiter à 4 mots pour définir l'autisme : « détacher de la réalité ». C'est un brin réducteur. Autant que de réduire la philosophie à cette simple définition proposée par un « juge de paix » pourtant « fiable », Larousse, et qui dit de celle-ci : « Enseignement donné dans les classes terminales des lycées et dans les universités sur ces problèmes ». Autrement dit, une simple épreuve scolaire à valider.
Usage douteux de la sémantique homologuée par l'éducation nationale mis à part, on pourrait admettre par ailleurs qu'en matière de déconnexion du réel, le philosophe est plutôt bien loti ; à passer l'essentiel de sa vie à la penser plutôt qu'à la vivre. Mais ce serait simpliste et malhonnête de confondre le philosophe avec un simple spectateur du réel, autant que d'exclure un autiste du réel. A moins de basculer dans une vision sophistique du réel qui réduirait l'expérience de la vie à Une et Une seule Réalité, Vérité. On évitera ici de souscrire à de telles extrémités, bien que pratiques pour expliquer rapidement LE sens de la vie.
Cela étant, il est étonnant qu'un Zorro de la pensée tel que Michel Onfray passe par le raccourci de l'uniformité de la réalité pour définir l'autisme. On comprend bien que ça facilite le déroulé de son discours à charge, mais on s'attendrait à plus de profondeur et de subtilité de la part d'un « intellectuel » qui aime aller jusqu'à bout des choses, et qui ne rate jamais une occasion de le reprocher à ceux qui ne le font pas. Même au cours d'une simple interview.
3 - De l'anti-conformisme non-recyclable
Onfray veut dénoncer l'instrumentalisation d'une ado au cœur de latex par un capitalisme vert, et en même temps faire le procès d'un monde infantile accroché à ses écrans et jouets numériques. Pourquoi pas. Mais comment croire à une histoire de pantin manipulé par des gros bonnets verts, aussi intéressante et divertissante soit-elle, si cette fiction ne repose que sur des bases fragiles. Le pilotage automatique de la jeune suédoise bien que décrié par le philosophe n'est jamais avéré. Même les détracteurs de Greta auront du mal à adhérer au projet dénoncé par Onfray ; à moins d'inscrire son récit au catalogue des théories du complot, ou à celui des billets d'humeur à caractère humoristique qui font la fierté des émissions radio parisiennes.
Hélas pour tous les marcheurs qui cherchent leur voie hors des sentiers battus, le guide de la pensée anti-conformiste s'est perdu sur un chemin particulièrement périlleux pour tout bon logicien qui se respecte ; les apparences. En se focalisant autant sur l'apparence « robotique » de Greta, en méprisant la sensibilité, la jeunesse, en utilisant des arguments maladroits pas vraiment compatibles avec sa représentation du monde moderne, et en faisant l'amalgame entre les différentes périodes de l'enfance, il prend trop de mauvais raccourcis qui ne mènent à rien d'autre qu'au discours d'un vieux con aigri, d'un sophiste qui s'ignore, d'un nihiliste. C'est dommage de tomber dans le conventionnel quand on joue à l'esprit rebelle. N'est pas Lorenzo Lamas qui veut. Mais il faut croire que la sagesse n'est pas toujours une question d'âge, ni même de quantité de livres avalés. Le temps et l'expérience ont tendance à user les pièces, et la machine ne tourne alors plus aussi bien qu'avant. Quand l'étincelle s'éteint, il est impossible d'avancer. Et c'est justement le cas ici.
Une ampoule a grillé dans la salle du contre-courant. On n'est pas prêt d'y voir clair dans cette réalité fragmentée.
Sources :
Article Michel Onfray : https://michelonfray.com/interventions-hebdomadaires/greta-la-science
Interview Michel Onfray : https://michelonfray.com/archives/greta-thunberg-michel-onfray-repond-aux-critique?mode=video
Réactions à l'article de Michel Onfray :
- https://www.lesinrocks.com/2019/07/25/actualite/societe/michel-onfray-se-dechaine-sur-greta-thunberg-twitter-lui-repond/
- https://www.nouvelobs.com/planete/20190724.OBS16332/michel-onfray-se-dechaine-contre-greta-thunberg-la-cyborg-suedoise.html
- https://blogs.mediapart.fr/cuenod/blog/270719/greta-thunberg-onfray-odieux-tout-puissant
- https://www.agoravox.tv/tribune-libre/article/apres-sa-tribune-sur-greta-82528
- https://planetes360.fr/michel-onfray-se-dechaine-contre-greta-thunberg/
Définition de la philosophie de Larousse : https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/philosophie/60268
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