MICRON MACRON MACROMANIA
Le « phénomène Macron » étonne encore. Comment un inconnu du monde politique a-t-il pu ainsi grimper au sommet de l’affiche ? Quelles circonstances ont favorisé son ascension ? Qui est-il ? Que propose-t-il ? D’où viennent ses principaux soutiens ?
Du centrisme à l’ « anti système ».
L’émergence d’inconnus se posant soudainement en rénovateurs du champ politique n’est pas si nouvelle en France. A chacune de leur époque, parmi les nouvelles vedettes « ni droite ni gauche » - ou venant « d’ailleurs » ( !) - on a eu Jean Lecanuet (1) dans les années 1960, dont les similitudes avec Emmanuel Macron sont surprenantes. Ensuite est venu Jean-Jacques Servan Schreiber (2) une décennie plus tard. Et comment ne pas mentionner Bernard Tapie (3), « l’homme d’affaires » dynamique des années 1980 ?
De par les institutions de la Ve République, favorisant le bipartisme, le Centre (4), qui avait eu ses heures de gloire dans les régimes précédents de la IIIe et Ive République, est condamné à une érosion rapide.
Aujourd’hui dans des circonstances différentes, presque soudainement des soutiens se sont révélés pour soutenir ce riche jeune homme qu’est déjà Emmanuel Macron.
Malgré les « rebonds » et les prétendus « signaux de reprise », la crise systémique, qui frappe avec acuité l’ensemble du monde capitaliste, a logiquement ébranlé le fonctionnement institutionnel de tous les états. La mise cause du système représentatif par une fraction grandissante de la population en est une des conséquences. Il y a un rejet populaire du monde politique traditionnel tel que le libéralisme l’a toujours proposé. Le leurre de cette démocratie libérale, qui est en réalité commandée par une élite, dans la connivence pour une sauvegarde du système, est aujourd’hui mis à jour.
Et tous ceux qui veulent néanmoins faire une carrière de politicien se doivent d’apparaître comme « anti-système ». Si l’on met à part les partis communistes qui ont fini par jouer le jeu du parlementarisme traditionnel, le populisme aura été le premier courant à se vouloir « anti-système » tout en ne remettant pas en cause les fondements du système capitaliste. Il nait à la faveur des crises, comme dans les années 1930 avec les fascismes.
Comme l’Italie ou l’Espagne, de nombreux pays, ont ainsi vu leur paysage politique complètement bouleversé.
Le vide incarné.
Emmanuel Macron bénéficie de ce courant « anti système ». Tout l’art réside de s’assurer de la continuité du système libéral, de son idéologie, en faisant croire que l’on va tout changer. Le changement dans la continuité… Mais finalement quoi de plus ringard que la nouveauté permanente ?.
Le candidat d’ « En Marche » à l’élection présidentielle n’a rien à proposer, sinon l’ « ubérisation » de la société, le développement des transports en bus,…et des revenus au lance-pierre, avec peu ou sans couverture sociale pour le plus grand nombre.
Et il peut se contenter de dire que des diagnostics sont d’abord nécessaires, qu’il est à l’écoute de la population etc.
Car il a de l’argent. Dès avant trente cinq ans il était millionnaire (5). Comme Tapie hier, il a fait de la réussite par la libre entreprise, un véritable culte. Ne voilà-t-il pas de solides arguments pour obtenir l’appui de décideurs, pour devenir la coqueluche des médias dont sont propriétaires ces mêmes décideurs ?
Car il y a urgence ; il faut rénover et rendre crédible la scène politique sous peine d’ouvrir un boulevard aux populistes.
La gauche social-démocrate était réformiste depuis longtemps. Qui ose prétendre que le Parti Socialiste cherchait à instaurer le socialisme ? Et le leurre de son opposition au système qu’elle prétendait pour le moins réformer, est éventé depuis belle lurette.
Résultante de la crise, une fracture politique s’est créée dans nombre de pays, entre ceux qui veulent, coûte que coûte, sauver le système et ceux qui, à l’écoute de nombre d’ « économistes » (6) proposent déjà une autre vision différente de la question économique et sociale. C’est Sanders aux Etats-Unis. Corbyn en Grande-Bretagne, le mouvement Syriza en Grèce, Podemos en Espagne (7). Signe des temps, des mouvements comme « Occupy Wall Street » ou « Nuit Debout » en France remettent frontalement en question le système représentatif parlementaire en cherchant à développer des pratiques de démocratie directe.
La logique du fric tout en étant bien élevé.
Le « smiley » Macron, là encore, peut chercher à récupérer certaines de ces options sans rien changer au système capitaliste qu’il défend de tout son cœur. Il a réussi à voler la vedette à celui qui s’était déjà vu en chantre du social-libéralisme, un certain Manuel Valls.
Dans un remarquable documentaire (« Du fer à la Finance : l’empire Wendel » de Patrick Benquet, 2015), alors qu’il était ministre et qu’on l’interrogeait sur les licenciements en masse qui suivaient le rachat de certaines entreprises, il avouait son attachement à ces pratiques, d’où qu’elles viennent, car si « les investisseurs »( !) ne venaient pas chez nous, n’iraient-ils pas à l’étranger… Avec Macron, on comprend donc qu’on est entre de « bonnes » griffes euh… mains !
Le candidat à la présidentielle franchit-il un peu les limites en puisant dans des fonds publics, comme cela lui est déjà reproché (8) ? Peu importe pour les groupies ; il est tellement convenable avec son beau costard. Prêt à accompagner maman pour prendre le thé chez mémé. Soyons sûr qu’il sera félicité pour ses cris, sa véhémence, dans certains meetings.
Reprends un biscuit, lui dit mémé…
Et dire que cela se passe à côté de chez moi !
(1) Surnommé « Dents blanches » ou « le Kennedy fançais » lors des élections présidentielles de 1965, Jean Lecanuet (1920-1993), héros de la Résistance, homme politique conservateur, plusieurs fois ministres sous des gouvernements de droite, défenseur du centrisme, échoua comme d’autres, dans sa tentative de créer une troisième force politique entre la gauche et la droite. Ses slogans « la France en marche », son allure, l’engouement qu’il produisit (« jeune et moderne ») le font irrésistiblement penser à Emmanuel Macron
(2)Jean-Jacques Servan Schreiber (1924-2006) a été journaliste et fondateur de l’ « Express ». Sur le terrain politique il a tenté de développer une stratégie centriste en coalisant le Centre Démocrate avec d’autres petites formations. Président du Parti Radical, il devient un éphémère ministre des Réformes en 1974. Surnommé « le turlupin » par Jacques Chirac, après être devenu cependant président du conseil régional de Lorraine, il échoue lors de sa dernière campagne électorale de 1979, ne recueillant que 1,84% des voix. Il se retire alors de la vie politique.
(3) Bernard Tapie a représenté au début des années 1980 le type d’entrepreneur qui réussit tout ce qu’il entreprend. Appuyé par Mitterrand il devient un éphémère « ministre de la ville ». Mais il sombre rattrappé par des affaires judiciaires dont il est encore aujourd’hui l’un des protagonistes. Mais contrairement à Emmanuel Macron, c’était plutôt une grande gueule ayant un aplomb et un sens de la répartie qui manque encore à notre ancien employé de la Banque Rothschild.
(4) Les partis centristes républicains aux sigles les plus divers ont marqué la vie politique de la IIIe et de la IVe République. Le plus important d’entre eux, le Pari Radical Socialiste, a « régné » jusqu’en 1958. Mais l’instabilité gouvernementale qui résultait des alliances et des conflits entre ces formations et leurs leaders, ont justifié, pour le Général et ses partisans, revenus alors au pouvoir, la constitution d’une nouvelle Ve république. Deux fractions se partage l’Assemblée : la majorité soutenant le chef de l’Etat, la minorité qui est l’opposition. D’où les deux camps, l’un de gauche, l’un de droite, ne laissant pas de place pour les anciens « centristes »
(5) Nommé gérant il a l’opportunité de diriger, en 2012, les négociations du rachat par Nestlé d'une filiale de Pfizer Cette énorme transaction, évaluée à plus de neuf milliards d'euros, lui permet de devenir millionnaire d’après Grégoire Biseau, « Avec Macron, l'Élysée décroche le poupon », Libération 2.
Entre décembre 2010, date de sa nomination comme associé-gérant, et mai 2012, celle de son arrivée à l'Élysée, Emmanuel Macron indique avoir gagné 2 millions d'euros brut .(Corinne Lhaïk, Marcelo Wesfreid et Marie Simon, « La bombe Macron » L'Express, 2 septembre 2014).
(6) On peut citer Thomas Piketty ou Paul Jorion. Leurs proposition,s sur des modèles keynésiens, me semblent cependant peu crédibles dans la mesure où le système capitaliste n’est pas vraiment remis en question. Mais c’est là une position personnelle qu’on peut retrouver dans mon petit ouvrage « Tchok » publié en 2013.
(7) Tous ces partis et mouvements se mouvant à l’intérieur des cadres institutionnels existants, ont trouvé leurs limites. Cependant ils soutendent l’idée d’un changement anti capitaliste radical.
(8) « Emmanuel Macron a-t-il utilisé des fonds de Bercy pour lancer sa campagne et se "présidentialiser" ?
C'est en tout cas ce qu'affirment Christian Jacob et Philippe Vigier, présidents des députés LR et UDI à l'Assemblée nationale, qui ont décidé de saisir la Haute autorité pour la transparence de la vie publique. » le Dauphiné 24/01/2017
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