Mieux vaut se moquer des espérantistes que des sourds !
Le point a récemment titré « L'espéranto des singes » un article expliquant que les différentes espèces de grands singes ont certains gestes en commun.
Le journaliste relatait une publication de Catherine Hobaiter, de l'université de St Andrews, qui a identifié 66 gestes de communication chez les chimpanzés. Certains de ces gestes seraient communs à d'autres grands singes, comme les gorilles et les orangs-outans.
Ce geste-là signifierait "Oh ! Ma tête !" (sous réserve de confirmation scientifique) :
Mais l'espéranto est une langue, pas un ensemble de gestes ! Une langue construite dont la grammaire est simplifiée, et dont les mots sont millénaires, principalement puisés dans les racines latines et grecques.
La meilleure analogie eût été de titrer : « La langue des signes des singes », ou encore : « Les singes ont une langue des signes ».
Bien évidemment, la langue des signes (LS) est largement plus complexe et plus subtile que ces dizaines de gestes communs à quelques espèces de singes.
Mais le vrai problème n'était-il pas qu'un tel titre aurait pu être mal vécu par les sourds - pardon : les malentendants ? Ce serait politiquement incorrect, ils risqueraient d'y voir une moquerie, voire de provoquer par contagion une protestation de diverses associations de handicapés : « Comment ? Vous comparez des handicapés à des singes ? », une querelle rappelant les polémiques déclenchées par Darwin – et encore maintenant entretenues par les créationnistes.
Alors que les espérantophones ou espérantistes (ce sont en gros les mêmes, mais militants), eux, ont l'habitude d'être moqués, particulièrement en France, bombardés de clichés ou noyés sous les préjugés.
La LS a déjà un label universitaire, une formation d'interprètes à Toulouse, alors que l'espéranto (Eo) en est encore à demander l'option au bac ! (Une pétition est d'ailleurs en cours en ce moment.
D'un autre côté, ce choix du journaliste ne serait-il pas finalement une manière de reconnaissance ?
Car la LS est différente d'un pays à l'autre, d'une langue à l'autre, avec même des variations régionales (tendant à disparaître), tandis que l'espéranto est international – c'est sa raison d'être, sa vocation.
L'espéranto est un moyen pour toute une espèce de franchir la barrière linguistique, disponible pendant qu'on s'obstine vainement dans des voies qui ont prouvé leur injustice et leur inefficacité : l'anglais, ou les investissements répétés dans la technologie, qui malgré des progrès dus à la traduction par analyse statistique, nous offre surtout depuis des années une succession d'effets d'annonce, afin d'obtenir des investissements.
L'UE vient justement d'investir 6 millions d'euros :
« L'autre projet META-NET, s'est vu attribuer 6 millions d'euros de Bruxelles pour construire une alliance des technologies facilitant une Europe multilingue. » , alors que l'UE est totalement anglophone, à l'exception du Parlement !
Parallèlement, l'UE n'a jamais dépensé un seul euro pour vérifier la vitesse d'apprentissage de l'espéranto, sans rival dans ce domaine, ou sa fiabilité en traduction : deux points de toute façon déjà confirmés depuis longtemps par la SDN, ancêtre de l'ONU. Les facteurs décisionnels ne sont pas techniques ni pédagogiques mais politiques.
Minuscule progrès : l'UE lui consacre quelques lignes dans son étude sur le phénomène lingua franca. (Téléchargeable en pdf)
« Even Esperanto, the most successful among them, is confined to a restricted community of staunch supporters, without any real impact on political, cultural or economic exchanges at a wider level. On the contrary, the actual communication among people not sharing the same language has always been ensured by natural languages ortheir ad hoc varieties. Today is no exception. In the past decades English has spread as the vehicular language in our globalised world in all domains at an unprecedented pace, although it is not as regular or as easy to learn as constructed languages, nor does it guarantee a level playing field for all parties in all speech situations. »
Qui inclut également un entretien avec François Grin :
« I have mentioned translation and interpretation. I have mentioned inter comprehension. I would also suggest making some space for Esperanto as part of the solution — not as the solution, but as part of the solution — because it is about 7-8 times cheaper and faster to learn than any other language, and it remains a much more balanced solution than any alternative that relies entirely on the language of one of the participants in the exchange, which is the problem with English. »
- Signes
Globalement, la diffusion de l'anglais est présentée dans cette étude de l'UE comme un phénomène naturel - ce qui est une vaste blague.
Alors, oui : les grands singes ont quelques gestes en commun, les Indiens des plaines leur langue des signes, les malentendants de nombreux pays chacun la leur – complexe - mais les hommes, ensemble, ont inventé l'espéranto pour traverser les frontières linguistiques et mentales, et surmonter enfin la malédiction de Babel.
Pas si bêtes nos cousins les singes et, s'ils pouvaient parler, je suis sûr qu'ils nous diraient : « Mais qu'est-ce que vous attendez pour essayer l'espéranto ? »
Nota : Le Point a passé mon commentaire (similaire) après leur article, mais les [...] initiaux remplacent en fait « Quelle honte ce titre ! », une exclamation qui n'est ni une insulte ni une grossièreté, mais un qualificatif qui m'est venu spontanément, une expression décrite dans le dictionnaire comme une « tournure exclamative. »
Modérer, oui, mais censurer inutilement semble commun à de nombreuses espèces !
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