Migrants : « Nous y sommes », oui. Et maintenant, que fait-on ?
Ce jeudi 23 avril 2015, un sommet extraordinaire des chefs d’Etat et de gouvernement des 28 pays membres de l’Union européenne se tient en urgence à Bruxelles. Son objectif : prendre des décisions communes sur la réponse à donner à l’afflux exponentiel, et souvent mortel, de migrants en provenance d’Afrique et du Moyen-Orient. Cette réunion fait suite à un conseil des ministres européens des relations extérieures qui a eu lieu lundi dernier, au moment où l’on apprenait que le naufrage de la veille au large des côtes libyennes avait fait environ 800 morts par noyade, n’épargnant que 27 personnes. Il s’agit du bilan le plus lourd jamais enregistré pour un tel naufrage en Méditerranée. Il faisait lui-même suite à une précédente catastrophe qui avait causé la mort de 400 personnes le 12 avril 2015.
La situation migratoire en Méditerranée n’est pas nouvelle. En juillet 2013, à Lampedusa, le pape François lançait un appel afin que le monde sorte de l’indifférence face à ces personnes en quête d’une vie meilleure. Dans les décennies précédentes, de nombreuses personnalités avaient alerté les pays occidentaux sur le risque de voir les populations misérables de la planète se précipiter par milliers aux portes de l’Europe. Je pense à l’Abbé Pierre qui voyait dans les inégalités entre le Nord et le Sud le ferment puissant d’une immigration future incontrôlable. Je pense au livre de Jean Raspail Le Camp des Saints datant de 1973, jugé raciste par une partie de la critique, dans lequel il imaginait des millions de migrants débarquant dans des cargos du delta du Gange sur la côte d’Azur sous l’oeil impuissant des pouvoirs publics, et à propos duquel Jean Cau disait : « Et si Raspail, avec Le Camp des Saints, n’était ni un prophète ni un romancier visionnaire, mais simplement un implacable historien de notre futur ? »
Je tiens à préciser d’emblée que je n’adhère ni à la cause de l’inégalité Nord Sud mise en avant par l’Abbé Pierre, ni au scénario de la défense de nos frontières les armes à la main comme imaginé par Raspail dans son roman.
Toujours est-il que « nous y sommes ». C‘est la petite phrase qui se répète en boucle depuis les derniers naufrages. Des migrants par milliers frappent à nos portes et un nombre incalculable d’entre eux trouvent la mort dans cette entreprise du dernier espoir, sans décourager le moins du monde les tentatives suivantes. Doit-on rester passif et regarder les gens mourir en disant : « C’est horrible » ?
Où somme-nous exactement ? Depuis le début de l’année, 1 750 migrants ont péri en Méditerranée. L’Organisation internationale des Migrations (ou OIM) s’attend à ce que le chiffre total de l’année 2014, qui s’élevait à 3 279 décès, soit dépassé d’ici quelques semaines et craint de voir le bilan 2015 atteindre 30 000 morts si la tendance actuelle se poursuit. Selon le Haut Commissariat aux Réfugiés (ou HCR) de l’ONU, le mois d’avril a été le plus meurtrier avec environ 1 300 décès. La météo plus clémente du printemps ne serait pas étrangère à ce chiffre élevé dans la mesure où les traversées sont plus faciles, mais néanmoins cruelles car les bateaux, aux mains de passeurs sans scrupules, sont en mauvais état et surchargés.
Les filières clandestines de passage en Europe profitent du chaos qui règne en Libye pour se développer et se reconstituer, sitôt démantelées. Elles sont souvent contrôlées par les organisations terroristes dont c’est une ressource financière. Pour les migrants, la tragédie peut commencer dès le désert, où, ballotés de passeurs en passeurs, ils sont parfois abandonnés sur place, laissés à la soif, à la faim et à une mort certaine.
Quand les migrants arrivent à bon port en Italie, soit sur l’île de Lampedusa soit en Calabre, ils sont pris en charge par des centres de décontamination, puis répartis dans des centres d’accueil dans toute l’Italie. Ils y restent le temps de régulariser leur situation, certains poursuivant leur voyage vers le nord de l’Europe, Calais puis le Royaume-Uni, ou l’Allemagne, premier pays de l’Union européenne pour les demandes d’asile en janvier 2015. De ce point de vue, la France n’est qu’en cinquième position et a même vu les demandes d’asile diminuer pour la première fois depuis 7 ans en 2014.
Toujours selon l’OIM, 170 760 personnes ont effectué la traversée de la Méditerranée en 2014. S’agissant de sans-papiers, il est difficile de savoir exactement qui elles sont et d’où elles viennent, mais selon les informations recueillies à l’arrivée par les autorités italiennes ou par des enquêtes de journalistes, on peut dire les choses suivantes : les raisons de la migration sont soit la misère soit la guerre, les migrants appartiennent plutôt aux classes moyennes car le coût du passage représente plusieurs milliers de dollars, ils sont pour moitié musulmans et pour moitié chrétiens, ils sont nombreux à être diplômés mais ne voient pas d’avenir pour eux dans leur pays. Ils viennent des zones en conflit ravagées par le terrorisme, mais également d’Erythrée, d’Ethiopie ou de l’Afrique sub-saharienne.
Peu après le drame de Lampedusa qui se solda par la mort de 366 migrants en octobre 2013, l’Italie a mis sur pied un programme de sauvetage nommé Mare Nostrum, doté de moyens importants (9 millions d’€ par mois) permettant à la marine italienne d’effectuer des sauvetages en mer jusqu’aux côtes libyennes et d’arrêter de nombreux chefs de filières. Cependant, le gouvernement italien a fini par trouver que cette opération à succès pesait fortement sur ses finances et gagnerait à être partagée par les autres pays européens, tout aussi concernés par le problème. Mare Nostrum a donc pris fin en octobre 2014, date à laquelle cette mission fut relayée par l’opération Triton de l’Union européenne. Moins bien financée (3 millions d’€ par mois), bénéficiant de moins de bateaux, moins d’hélicoptères et moins d’officiers de marine, Triton n’arrive pas à venir à bout de tous les bateaux clandestins qui circulent. Ses objectifs consistent du reste à surveiller les frontières, et non plus à sauver les migrants. D’où, après l’hécatombe de dimanche dernier, la réunion d’urgence d’aujourd’hui à Bruxelles.
Et maintenant que fait-on ? Tant Angela Merkel que François Hollande se sont dit bouleversés et souhaitent s’attaquer aux « racines du mal » dans un cadre européen. A écouter hier différentes personnalités politiques, on avait toutefois l’impression qu’il est nettement plus facile de s’indigner de la situation que de proposer des actions concrètes au-delà du stade « sauvetage en mer. » Le fait est que rien n’est simple. Une fois qu’on a sauvé ces personnes de la noyade, qu’en fait-on ? C’est l’histoire de toute la misère du monde, qu’on ne peut accueillir dans sa totalité, mais dont on doit prendre sa part, selon les termes bien connus de Michel Rocard.
Au risque de paraître extrêmement naïve, voici mes idées. Les causes étant identifiées comme la misère et la guerre des pays d’origine, y aurait-il moyen de reconstruire ces pays dans le sens de la paix et de la prospérité afin que les habitants n’aient plus tant envie de les fuir ? Je vois un programme en quatre points :
1. Sauvetage en mer et 2. démantèlement des filières :
Lundi, la Commission européenne a proposé un plan en dix points tournant surtout autour du sauvetage, du contrôle, du développement de l’asile, du blocage des clandestins et de la répression des filières. Tout ceci est à faire, et je n’ai pas de doute que ça sera fait. Il est évident qu’il est de la responsabilité de l’Europe de prêter assistance aux familles en danger à quelques kilomètre de ses côtes, tout en continuant à maîtriser ses flux immigratoires et à mieux répartir les demandeurs d’asile entre tous les pays membres.
3. Lutte contre le terrorisme de Daesh et affidés, restauration d’un Etat de droit en Libye, soutien aux gouvernements légaux :
Il existe déjà une coalition internationale pour contrer les avancées du terrorisme islamiste. Aux dernières nouvelles (non confirmées) le chef de Daesh, Abou Bakr Al-Baghdadi, aurait trouvé la mort ou aurait été grièvement blessé dans un bombardement. La lutte contre le terrorisme répond à deux objectifs : restaurer la stabilité politique des pays gangrenés par l’Etat islamique et dans la même foulée mettre fin au trafic migratoire qui contribue à financer les organisations terroristes. Je crois qu’il faut continuer, tout en réfléchissant à « l’après. » De trop nombreuses interventions occidentales se terminent sur des succès militaires restreints suivis, faute de réflexion et de travail de terrain, par des débacles politiques qui relancent la machine de la guerre civile et du terrorisme.
4. Trouver une voie de prospérité en Afrique et au Moyen-Orient :
Il y a quelques années, j’ai lu un livre extrêmement intéressant, et très courageux, sur les méfaits de l’aide internationale en Afrique. Il s’agit de Dead Aid : Why aid is not working and how there is another way for Africa de Dambisa Moyo, paru en 2009 au Royaume-Uni aux éditions Penguin Books. L’auteur, née en Zambie et titulaire d’un Ph.D. en économie de l’université d’Oxford, y montre non seulement que l’aide internationale déversée par milliards de dollars en Afrique est inefficace, mais surtout qu’elle est même néfaste à terme tant elle empêche les pays et les populations concernée de se prendre en charge eux-mêmes, de se réformer et d’innover. Inefficace, car son plus haut a coïncidé avec l’accroissement de la pauvreté. De plus, elle attise la corruption et les convoitises, relançant guerres ethniques et guerres civiles.
Faisant le constat que les pays qui ont connu un fort développement le doivent à la création de richesse et non à l’aide extérieure, Dambisa Moyo prône le respect du droit de propriété, l’ouverture sur l’extérieur, le financement non par des prêts à taux réduits mais par des émissions obligataires obligeant l’émetteur à plus de rigueur. Elle préconise aussi la fin des aides de l’Europe et des Etats-Unis à leurs agriculteurs afin de permettre au paysan africain d’accéder à des marchés mondiaux.
Bref, Dambisa Moyo, parfait exemple des possibilités immenses de l’Afrique, suggère l’adoption d’une politique libérale, la seule susceptible d’accompagner les pays d’Afrique et leurs habitants sur le chemin de la prospérité. La seule qui pourra vraiment apporter une solution durable au drame des migrants de la Méditerranée.
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