Mille euros : le prix d’une vie afghane

En Afghanistan, on continue en effet à tuer tort et à travers, femmes, vieillards et enfants. En sortant le chéquier après selon le tarif en cours : pour chaque victime, des dollars en compensation de la bavure. Mais pas toujours au même taux : le croque-mort américain n’a pas toujours le même guichetier de banque. Revenons en arrière en 1999. Le 7 mai de cette année là, un B-52 se trompe de cible lors de la guerre du Kosovo et balance une volée de JDAM sur l’embassade chinoise. Bilan : trois journalistes tués et 27 blessés. Quatre mois plus tard, les Etats-Unis se confondent en courbettes et lâchent 4,5 millions de dollars en compensation pour les victimes, soit 150 000 dollars par tête de pipe chinoise. C’est ça où le grave incident diplomatique et des répercussions commerciales évidentes. A Gardez, ce n’est pas tout à fait le même tarif : les américains ont proposé 1500 dollars par victime à Hajji Sharaf Udin, le propriétaire de la maison où à eu lieu le raid du 12 février. Il les a renvoyés à l’administration de Karzaï. Le taux de remboursement, dans l’économie de guerre US est excessivement variable. Et on a appris bien après comment les événement s’étaient produits chez lui. Il ne s’agissait pas d’un bombardement, mais bien d’un raid sauvage de ces fameuses forces spéciales qu’affectionne tant McChrystal !
Ce jour-là, on fêtait la naissance d’un petit fils d’Hajji Sharaf Udin. Une fête avait été organisée. Sur renseignements, ou plutôt dirons-nous, sur dénonciation, les services secrets US soupçonnaient la présence de deux chefs talibans, parmi les invités. Et avaient décidé d’investir la place, alors que tout le monde dormait, une fois la fête finie. Réveillé en pleine nuit, Mohammed Daoud, le jeune fils d’Hajji Sharaf, sorti pour vérifier les bruits entendus est froidement abattu. Le second jeune fils, qui balbutie quelques mots d’américain, sort aussitôt pour tenter de parler et d’arrêter les tirs : il est abattu lui aussi. Les deux étaient effectivement non armés. La petite fille d’Hajji Sharaf, Gulalai ; âgée de 19 ans, sa fille de 37 ans, Saleha, mère de six enfants et sa belle-fille Shirin sont elles aussi abattues alors qu’elles portaient secours aux deux garçons tués. Les deux plus âgées sont enceintes. Tous ont remarqué que les gens qui ont tiré ne portaient aucun uniforme de l’armée américaine. Mais des habits de talibans. Des forces spéciales... ou des mercenaires, qui ne portent pas le béret vert ou rouge montré avec tant d’insistance par le pouvoir américain... parmi eux, ces fameux "contractants", à savoir les sbires de Blackwater recrutés pour effectuer les basses besognes. Ayant agi sans discernement, sans sommations et sans aucun scrupule. Sur place, il n’y avait effectivement aucun taliban de présent. Les renseignements étaient faux.
Et dehors, derrière les sbires tueurs, les policiers afghans... alors en formation, en train d’apprendre comment se comporter avec les habitants ! Psychologiquement, c’est une évidence, ces actions délibérées et insensées fabriquent deux choses : de futurs talibans, c’est sûr qui n’auront de cesse de vouloir venger leurs familles, et des policiers afghans déserteurs écœurés par ce qu’il viennent de voir en "exemple". Le turn-over important des policiers afghans est en effet une des tares essentielles du retard pris par le gouvernement afghan de Karzaï pour redresser le pays. C’est le même problème en Irak. Or, dans ce pays, il faut savoir aussi que celui qui avait été envoyé par Georges Bush en personne pour superviser cette fameuse formation, un homme payé à un tarif exorbitant, n’était autre que Bernard Kerik, qui dort depuis quelques semaines en prison, aux USA, pour détournement de fonds publics. L’homme était l’ancien patron de la police de New York, fort présent lors des attentats du 11 septembre, et lui-même un ancien délinquant ! Ses formations ont été données bizarrement en Jordanie, entraînant des frais supplémentaires énormes ! Le 19 février dernier, il héritait de 4 années de prison. Le moins qu’on puisse dire, c’est que c’est bien un échec sur toute la ligne comme type d’action. La stratégie de McChystal est pire que celle de Petraeus. Elle était censée faire moins de victimes civiles. Ça n’est pas le cas : l’usage immodéré de "contractants" est une hérésie militaire. Il y en a trop de mêlés aux forces spéciales et leur comportement est douteux.
L’équipe de sbires montée par Furlong a donc agi sans autorisation du Congrès, violant ainsi la loi établie en 1976 par la commission Church : mais à force de voir des gens tuer, en étant protégés, certains se sont enhardis. Et c’est là où ça coince aujourd’hui, en particulier sur l’usage de renseignements militaires en provenance de drones par une équipe de ce qu’il faut bien appeler des mercenaires. "Selon Robert Young Pelton, un sous-traitant de l’armée américaine, M. Furlong a outrepassé sa mission. "Nous fournissions des informations pour les aider à comprendre la situation en Afghanistan et cela a été utilisé pour tuer des gens", a-t-il expliqué" nous dit LeMonde. Pelton est plutôt fin connaisseur, laissons-lui la véracité de ses propos. Selon lui, donc, les mercenaires tueurs appuieraient leurs actions sur les renseignements purement militaires ? Pas exactement, quand on sait que les drones étaient armés par Blackwater. L’étaient, puisqu’Obama l’a interdit depuis. Mais il a de même multiplié les attaques ciblées de ces fameux drones !
L’histoire nous apprend également que ces actions délibérées de ce type ont déjà eu lieu, et qu’elles ne sont pas l’apanage de McChrystal. En 2002, je vous l’ai déjà raconté, un AC-130 gunship et des A-10 avaient passé le village complet de Deh Rawud au canon : il y avait eu 60 morts et 120 blessés. Pour la totalité des victimes, les USA avaient versé 18 500 dollars seulement : 100 dollars en moyenne par individu touché. Il y a des vies qui ne valent rien dans ce bas monde. En février 2002, une autre bavure de la CIA à Hazar Qadam avait vu le versement de 1000 à 2000 dollars à chaque famille des 22 tués. On le voit ; il n’y aucune règle d’édictée aux compensations : seule semble jouer le degré de connaissance que le monde extérieur a eu de la bavure. Moins elle est connue, moins les familles touchent. L’auteur du texte relatant les faits faisant remarquer en prime que l’argent versé n’a certainement jamais atteint les familles : il l’avait été via les officiels de Karzaï, dont on connaît le degré de corruption !
Le 21 févier, dans la province d’ Oruzgan, (ou est le e 21e RIMa, français !) encore une erreur manifeste des renseignements US : avertis d’une possible action talibane, il vont prendre pour objectifs des mini-bus emmenant des civils désarmés pour de possibles attaquants. Les Apaches diligentés sur place feront un vrai carnage. On relèvera 33 morts dans les trois véhicules massacrés à la mitrailleuse lourde, celle de 30 mm équipant l’avant de l’hélicoptère. C’est au même endroit que 5 enfants avaient été tués le 13 février 2009 lors d’un affrontement entre talibans et troupes australiennes. Le 16, 5 autres civils étaient morts bombardés, confondus avec des poseurs d’IEDs. Là encore, très certainement, à l’origine du problème une mauvaise interprétation d’images en provenance de drones. C’est au même endroit encore que le 5 décembre 2002, 21 soldats pro-Karzai et et leur commandant Qasim Jan avaient péri par erreur tués par des bombes d’une tonne. Le 22 février dernier, McChrystal s’était quand même fendu d’un communiqué, énonçant son "extrême tristesse pour la perte de vies innocentes". Sans prendre pour autant de sanctions au sein de ses troupes. Résultat, chez l’UNAMA Human Right on dénombre en 2009 près de 2400 victimes civiles en Afghanistan (contre 2118 en 2008). Au total, en moins de deux ans, les américains ont tué plus de civils qu’il n’y en avait eu au WTC ! Mais il ne pèsent pas pareil dans l’opinion mondiale, bien évidemment !
Des forces spéciales, et des talibans "retournés". Avec un autre scandale à la clé : celui des "rubans jaunes". Là, la découverte est beaucoup plus récente : par un parfait hasard, en épluchant les directives données au soldats US, un journaliste curieux a soulevé un autre lièvre intéressant. Ces fameuses forces spéciales qui ressemblent comme deux gouttes d’eau aux talibans, ou les ex-talibans retournés à coup de dollars, comment donc les distinguer pour ne pas leur tirer dessus ? Ils n’ont pas d’uniforme et sont habillés comme des talibans ! Avec deux choses en fait : de nuit, avec le fameux petit émetteur décrit ici, qu’ils portent sur eux, et de jour, si leur pile est usée par un signe distinctif : un ruban jaune. Or le choix de ce colifichet, rappelle les journalistes tombés sur l’affaire, n’est pas anodin : c’est le même que les citoyens US accrochent aux arbres ou aux poteaux autour de leur maison en souvenir des soldats qui combattent ou ont été faits prisonniers, et ça a une origine historique évidente : c’est au mort de ce ruban que se reconnaissaient ceux qui luttaient contre l’occupation anglaise au XVII et au XVIII ème siècle ! On a bien affaire à une croisade : quand elle n’est pas religieuse, elle est nationaliste ! On pourra préciser que le ruban est également une réminiscence directe du foulard de la cavalerie US : du John Wayne !
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