Mitterrand avait prévenu Delors, en 1993, que l’effondrement de la zone euro était à prévoir

« En 1993, alors que ses efforts pour poser les fondations de la zone euro commençaient à porter leurs fruits, Jacques Delors eut un pressentiment : l’union monétaire européenne avait besoin de plus que d’une banque centrale copiée sur le modèle de la Bundesbank et des règles de Maastricht. Pour encaisser les chocs et être capable de récupérer après qu’ils aient frappé, Delors a correctement conclu qu’une émission obligataire commune à la zone euro devait être créée. À cette fin, dans un Livre Blanc présenté en décembre 1993, il recommandait que ces euro obligations de fait soient introduites en tant que rouage essentiel dans la machinerie de la zone euro et, en plus, qu’un Fonds d’investissement européen soit institué.

« Pour donner à sa recommandation l’élan politique nécessaire et une signification macroéconomique, Delors essaya de convaincre le Président Mitterrand que ces euro obligations devaient faire pour la zone euro ce que les Union Bonds avaient accompli pour le New Deal de Franklin Roosevelt, où ils financèrent un programme de redressement impressionnant tiré par l’investissement, maintenant le déficit budgétaire fédéral des USA à un faible niveau, de 1933 au début de la Seconde Guerre mondiale.

« Mitterrand écouta avec la plus grande attention mais répondit : « Jacques, vous avez raison. L’union monétaire européenne a besoin de ces instruments. Mais, nous ne le ferons pas. Helmut (Kohl) et moi-même n’avons pas une influence politique suffisante pour le faire. Nous avons le pouvoir de lier entre eux les pays sur le plan monétaire – de forger une monnaie commune. Mais nous n’avons pas le pouvoir de créer une dette commune. Laissez-moi cependant dire ceci : lorsque, dans 10 ou 15 ans, une grande crise financière frappera l’Europe, nos successeurs seront confrontés à un choix : soit mettre en œuvre votre idée, soit laisser l’union monétaire européenne s’effondrer ».

« Deux évènements donnèrent raison à Mitterrand : une crise mondiale majeure est bien survenue 15 ans plus tard, en 2008, et, en outre, les dirigeants européens ont été confrontés à un dilemme entre la consolidation (le long des lignes de la proposition de Delors d’une union obligataire) et la fragmentation. Là où Mitterrand et le Chancelier Kohl se sont avérés avoir tort est leur croyance (tacite) que leurs successeurs choisiraient la consolidation. À ce jour, ils se jètent, tels des somnambules, directement dans les bras de la fragmentation… »

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Yanis Varoukakis est professeur d'économie à l'université d'Athènes et professeur détaché à l'université d'Austin au Texas. Il a été le conseiller économique de George Papadréou (ancien Premier ministre grec), de 2004 à 2006. Varoufakis s'est rendu célèbre en critiquant sévèrement les plans de sauvetage d'Athènes, s'attirant au passage les foudres des cercles dirigeants de son pays, au point de devoir s'exiler aux Etats-Unis.