Mme Bruni-Sarkozy encore sur Paris-Match ? Non ! « Carla », la militante au grand cœur !
Elle déparait dans le paysage. Existe-t-il une épouse de dirigeant, qu’il soit prince ou président de la République, sans son œuvre de bienfaisance ? Maintenant c’est chose faite : Mme Bruni-Sarkozy, jusqu’ici désoeuvrée, a fini par trouver la sienne. Paris-Match, l’hebdomadaire élyséen, pouvait-il trouver événement plus important cette semaine ? Il le claironne en couverture avec un grand portrait en buste de l’héroïne : « La première dame s’engage dans la lutte contre le Sida, lit-on. LE COMBAT DE CARLA en souvenir de Virginio, son frère tant aimé. »

Une mise en scène soignée
On peut dire que la photo a été travaillée. La mise hors-contexte par arrière-plan flou ne risque pas de distraire le regard. Tout juste devine-t-on trace de lambris. Leurs tons ocre et marron visent à faire ressortir par contraste l’héroïne : le vif incarnat de son visage serti d’une longue chevelure châtain foncé tombant jusqu’à une veste noire ouverte sur un simple T-shirt bleu clair.
Ce bleu clair n’est sans doute pas un hasard. Assorti à ses yeux, il s’imposait pour sa charge culturelle : c’est la couleur du ciel et de la mer qui se confondent à l’horizon du rêve, et donc celle de la pureté, de la fraîcheur, jusqu’à la naïveté : ne parle-t-on pas d’un bleu pour désigner un petit nouveau ?
Un rôle d’ingénue qui peut faire ricaner
Il semble que ce soit le rôle d’ingénue que « la première dame » ait souhaité jouer pour annoncer au monde sa décision renversante d’entrer en guerre contre le Sida.
- La légende - dans les deux sens du terme - martèle, en effet, deux mots martiaux, devenus d’insipides stéréotypes à force d’avoir tant servi en dehors de leur contexte : « lutte » et « combat ». L’actrice Catherine Deneuve, elle aussi, s’était découvert une mission messianique en 1986, avant de vanter, un an plus tard, avec le même aplomb, « les stratèges de l’argent » dans une publicité de la banque de Suez. « Mon combat pour l’Afrique verte », avait titré sans rire Télérama (29.03-04.04 / 1986).
- La formule « Le combat de Carla » fait, en outre, sourire par son emphase : l’article défini tend à faire croire que ce dévouement tout neuf a désormais quelque chose d’exclusif : ça sent le zèle excessif du néophyte. Même si on n’est jamais trop nombreux à la tâche, il est heureux que pour être combattue, la maladie n’ait pas attendu cette ouvrière de la 11ème heure !
Une relation intime simulée pour susciter la compassion
L’héroïne s’exposait donc aux ricanements. Aussi, pour les « combattre », a-t-on feint de l’engager dans une relation intime avec le lecteur.
- D’abord, on dépouille l’héroïne de la pompe due à son rang : ce n’est plus « La première dame », Mme Bruni Sarkozy, qu’on a devant soi, mais seulement « Carla », dans la nudité même… de son prénom, tout comme son frère, "Virginio" !
- Ensuite, puisque s’appeler par son prénom suppose qu’on est entre amis, il devient naturel de se faire des confidences. L’hebdomadaire élyséen en livre une avec une pudeur qui ne lui est pas habituelle. Il procède délicatement par allusion pour stimuler un réflexe de compassion en agitant, sans en avoir l’air, un leurre d’appel humanitaire : « LE COMBAT DE CARLA, écrit-il, en souvenir de Virginio son frère tant aimé ». Le mot « souvenir » est à l’évidence bien faible : c’est une litote pour désigner, en fait, un drame personnel, la mort du frère, due, on le devine dans ce contexte, au Sida. Et si l’attachement de la sœur à son frère est présenté comme aussi intense, c’est pour que la cruauté du drame vécu fasse de la sœur une sorte de victime collatérale de la maladie et suscite envers elle un élan de compassion qui étouffe dans l’oeuf d’indignes ricanements. On est au cœur d’un paradoxe : l’exhibitionnisme ici se drape du manteau de la pudeur.
Une militante au bord des larmes ? Vite, un mouchoir !
Dans ce contexte tragique, on comprend la posture adoptée par le portrait. L’héroïne n’est pas ici en représentation : ni tenue d’apparat de « première dame » ni accoutrement du mannequin qu’elle a été autrefois ! Au contraire, même, peut-elle faire plus sobre dans le vêtement et la chevelure ? C’est une première métonymie dont l’effet offert doit conduire à une cause évidente. Un sage T-shirt à ras du cou, dont le col est même volontairement à l’envers, et une simple veste ouverte, le logo anti-Sida à son revers, visent à donner à l’héroïne l’allure décontractée d’une militante modeste. La coiffure, elle aussi, est rudimentaire : les cheveux longs tombent négligemment, libres sur les épaules. Pas la moindre parure ! Le négligé-apprêté est tout un art.
Et dans cette panoplie, selon le procédé de l’image mise en abyme, l’héroïne regarde le lecteur droit dans les yeux pour feindre d’instaurer la relation interpersonnelle voulue. Mais au visage légèrement incliné, à son expression grave sinon un tantinet contracté et aux grands yeux ouverts embués, se devine une vulnérabilité. La cause de cette seconde métonymie est ambiguë. La confidence rapportée à sa demande par l’hebdomadaire bouleverse à l’évidence l’héroïne : n’incline-t-elle pas la tête et n’agrandit-elle pas les yeux comme pour retenir des larmes dans un moment d’abandon qui lui échapperait ? Qu’est-ce qui l’émeut ? Le souvenir du frère disparu ou son propre courage à l’instant de partir au « combat », ou peut-être les deux ? L’exhibitionnisme là encore feint la pudeur. Car quand on souffre vraiment, cherche-t-on les caméras ? Quel métier, celui de comédien ! Vite, un mouchoir !
Mme Bruni-Sarkozy se conforme donc à l’image traditionnelle de la princesse dont les élans du cœur, criés sur tous les toits, doivent faire oublier au bon peuple la cravache du prince. Il faut dire qu’elle s’y était déjà un peu entraînée, comme c’est désormais l’usage chez les stars de l’industrie du spectacle : avec Omar Sharif, elle avait prêté par le passé son visage à une campagne de l’ONU contre la pauvreté dans le monde ! Quelle star aujourd’hui n’a pas son « ouvroir » ? Le réflexe d’identification chez les gens simples ou incultes est si puissant et ils sont si nombreux malgré plus d’un siècle d’obligation scolaire. Les cyniques auraient bien tort de s’en priver ! La star, fût-elle la plus indigne, devient ainsi un prescripteur, c’est-à-dire un directeur de conscience. Elle y gagne à peu de frais une image de sainteté, qu’un magazine comme Paris-Match raffole en couverture de hisser sur des autels de fortune… pour, par la même occasion, faire la sienne.
Paul Villach
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