Mme Rachida Dati, ministre de la Justice, se flatterait de s’être fait « son réseau »
Le parvenu a l’exhibitionnisme chevillé au corps. Il faut que nul n’ignore où il est arrivé, ce qu’il est devenu, ce qu’il a, ce qu’il souhaite paraître. Plus ça carillonne autour de lui, plus il est aux anges. Il parade à longueur de temps. À quoi bon, en effet, s’être tant démené si c’est pour que personne n’en sache rien. Le parvenu guette dans les yeux des autres l’envie et même la jalousie que son succès provoque, comme un hommage à son génie dont, tout au fond de lui, il ne serait pas tout à fait sûr. Que lui importe donc, si en s’exposant autant, il s’expose aussi à des bévues !
Les patriciens, eux, – héritiers d’un nom et d’un patrimoine – n’ont pas ce souci : la notoriété de leur famille est établie depuis si longtemps de génération en génération qu’ils peuvent feindre la modestie et la discrétion : elles suffisent à leur éclat et à la déférence d’autrui qui s’y attache. Le parvenu, lui, n’a d’éclat que dans l’ostentation. Quant à la déférence qu’il en attend, elle peut lui faire défaut : il lui manque l’ancienneté dans l’emploi et la patine que le temps confère aux toiles sublimes comme aux croûtes.
« Mon réseau était fait »
Ce sont pêle-mêle des idées qui traversent l’esprit à la lecture du portrait que Raphaëlle Bacqué a livré, dans Le Monde du 30 mai 2008, de Mme Rachida Dati, actuelle ministre de la Justice. De toutes les confidences que la journaliste lui prête, il en est une qui sidère plus que toutes les autres : « Je ne me suis jamais mise dans la position de favorite, aurai-elle avoué. Je ne suis pas une création de Nicolas Sarkozy. Lorsque je l’ai rencontré, mon réseau était fait. Mais je lui suis redevable et je ne veux surtout pas le contrarier. » Il n’est pas sûr que pareille confession ingénue y contribue : l’amateur des jardins de Jean de La Fontaine a connu pareille mésaventure avec un ours (« Fables », VIII, 10).
On ne saurait mieux, en tout cas, se définir en si peu de mots et en toute impudicité. Il faut se rendre à l’évidence et accorder à Mme Dati qu’on ne devient pas à son âge et au degré d’expérience modeste qu’il implique, sans être l’heureuse créature d’un puissant réseau. Voilà tout le problème.
Écurie, coterie et réseau idéologique
François Bayrou avait soulevé, il y a près de vingt ans dans un ouvrage, le coin du voile pour des fonctions infiniment plus modestes, mais tout aussi potentiellement dévastatrices dans l’institution où elles s’exercent : « Ce n’est pas lui faire injure, écrivait-il de l’inspecteur pédagogique de l’Éducation nationale, que de dire, pour la plupart des individus de l’espèce, qu’il a ramé (…). Je parle ici, continuait-il, des inspecteurs au mérite et non de quelques garnements qui ont pris pour accéder à ce prytanée des chemins de traverse qui feront pendant quelques mois murmurer sur leur passage. Ils sont l’exception et la honte du corps. Et ils en rient encore, ce qui devrait ajouter à leur déshonneur.(…) Les autres (inspecteurs), il leur a fallu s’attacher à des protecteurs, fréquenter à longueur de décennie les couloirs du ministère, appartenir à la bonne écurie, non seulement la coterie amicale, mais la plupart du temps le réseau idéologique ou scientifique. » (La Décennie des malappris, Éditions Flammarion, 1989 et 1993).
« Il fallait un calculateur… »
Mme Dati crache le morceau : avant de rencontrer M. Sarkozy, « (son) réseau était fait », aurait-elle révélé sans ambages. Qu’est-ce à dire ? Un réseau est un groupe de personnes disséminées comme un filet jeté sur un pays et au-delà, adonnées à une solidarité active des unes envers les autres, où chaque avancée de l’une dans les cercles des pouvoirs est la promesse de celle des autres.
Introduction, recommandation, parrainage sont les clés qui ouvrent les portes capitonnées derrière lesquelles se calfeutrent les décideurs avec leur clientèle. Par temps de pléthore de diplômés aux qualités incertaines, rien n’est plus sûr pour avoir une place que d’appartenir à un réseau dont la seule raison d’être est d’étendre ses ramifications, à la façon de la devise olympique, toujours plus vite, plus haut, plus fort - "Citius, Altius, Fortius" -, pour le plus grand bénéfice de ses membres.
On imagine aisément les moyens dont usent ces Rastignac aux dents longues : ils savent jouer des coudes comme de rames pour écarter ceux qui les gênent. Les intrigues de toutes sortes, la cooptation, le passe-droit comptent parmi les plus bénins. Le cynisme, qui mène à tous les déshonneurs, est la seule morale que connaissent ces prédateurs. Arriver au pouvoir et aux honneurs coûte que coûte est leur seule obsession et raison d’être.
Beaumarchais en a résumé et l’efficacité et l’effet délétère pour une société dans la célèbre tirade du Mariage de Figaro où son héros se remémore sa vie : « On pense à moi pour une place, s’écrie-t-il, mais par malheur j’y étais propre : il fallait un calculateur, ce fut un danseur qui l’obtint. » La compétence importe peu : l’appartenance seule au réseau fait la différence et écarte les rivaux. Tant pis pour ce qu’il adviendra de l’exercice de la charge attribuée !
Il fallait un ministre de la Justice, poste occupé dans le passé par Edmond Michelet, René Capitant ou Robert Badinter. Ce fut une jeune magistrate peu expérimentée qui le devint. Beaumarchais décrivait les mœurs de l’Ancien régime monarchique finissant. Qu’annoncent non pas leur retour puisque ces mœurs sont de tous les régimes, mais leur étalage et leur éloge en toute impudeur ? Paul Villach
79 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON