Mobilisations en Guyane : des politiques foncières et urbaines à redéfinir pour l’avenir du « Péyi »
REFLEXIONS EN FAVEUR DE POLITIQUES FONCIERES ET URBAINES ADAPTEES
EN GUYANE :
Consolider le vivre ensemble, redéfinir notre modèle social et urbain,
et construire dès aujourd’hui la Guyane de demain
Guyane, le 28 Mars 2017,
La Guyane est une région ultra-marine Française méconnue, presque inconsidérée, et trop souvent méprisée. La France et la Guyane, partagent une histoire houleuse, douloureuse, mais qui s’exprime aujourd’hui par un attachement profond de son peuple aux valeurs de la République. Avec plus de 250 000 habitants, la Guyane est le plus vaste département français (l’équivalent de la population de la Corrèze sur un territoire aussi vaste que le Portugal), porte d’entrée de l’Europe en Amérique du Sud. Ce territoire presque totalement recouvert de forêt Amazonienne, recèle d’innombrables richesses, qu’elles soient naturelles ou humaines. Au même titre que les autres territoires d’Outre-Mer, la Guyane est une chance pour la France. Les métropolitains qui y ont vécu, même brièvement, le savent.
La Guyane est aujourd’hui à un tournant de son histoire. Après tant de décennies de souffrances, durant lesquelles elle criait son mal être, elle a su se mobiliser et faire de son incroyable diversité culturelle et ethnique, une force du rassemblement. A ce titre, la marche et la voix du peuple Guyanais sont exemplaires, car au delà d’avoir su mobiliser, rassembler et faire entendre son « nou bon ké sa ! » (« on en a marre ! » en créole) jusque dans les plus hautes sphères de l’Etat et jusqu’au cœur de la campagne présidentielle 2017 ; cette voix, cette marche forment déjà le socle et le chemin d’un avenir à construire, d’un nouveau modèle de vivre ensemble qui se dessinent et se décident aujourd’hui :
- Exigence d’un avenir meilleur, puisque face à un Etat Français qui depuis trop longtemps ne parvient pas à satisfaire à ses prérogatives régaliennes (sécurité, contrôle des frontières, égalité d’accès à l’eau, à l’énergie et aux soins), qui entretient par ses mécanismes technocratiques des systèmes de dépendance vis à vis de la métropole, lesquels mettent sous cloche les richesses et potentiels du pays, asphyxiant le lien social et les entreprises ; face à une France qui « lance des fusées sur fond de bidonvilles » (F.Mitterrand, 1985) depuis près de 40 ans ; il est aujourd’hui urgent d’ancrer les besoins hurlants des Guyanaises & Guyanais dans un pacte, gage d’une confiance à rebâtir avec l’Etat et le gouvernement Français.
- Définition d’un nouveau modèle social car en effet, les sujets concernés par les revendications sont nombreux : sécurité, santé, énergie, économie, social, éducation, numérique, infrastructures & équipements, … Les Guyanais aujourd’hui exigent que tous ces sujets qui fondent le vivre ensemble soient remis au centre des débats et pleinement réinvestis par eux-mêmes, l’état et les élus locaux.
Ainsi, la nature profonde du mouvement Guyanais est lumineuse, en ce qu’elle répond au besoin d’émancipation de l’Homme, en ces temps où beaucoup d’entre nous partagent à la fois le constat que nous sommes arrivés aux limites de nos systèmes économiques, mais aussi et surtout l’envie de tendre vers le mieux, durablement.
Nous y sommes donc parvenus. Après le temps de la mobilisation et des revendications, s’ouvre le temps précieux du dialogue et de l’apaisement, pour construire dès à présent et ensemble, les solutions pour la Guyane de demain. Le peuple Guyanais a aujourd’hui la possibilité d’influer sur le cours de son histoire, c’est une opportunité historique emprunte d’une grande responsabilité. Peuple de Guyane, puisses-tu t’en saisir ! Peuple de France hexagonale, puisses-tu t’en inspirer …
Je suis urbaniste, installé en Guyane depuis quelques années. J’écris cet article en tant que citoyen Français, Guyanais de cœur, interpellé et concerné au plus profond de moi-même par ces évènements. J’écris pour vous parler de ce pays que j’aime, ce pays généreux, pour informer, participer et je l’espère enrichir les échanges amorcés avec les représentants de l’Etat (délégation et ministres), en évoquant plus en détails des sujets qui contribueront à la refonte de notre modèle social, à une gouvernance plus équitable et respectueuse de la Guyane, à l’amélioration du cadre de vie de ses habitants ; sujets qui appellent à un dialogue, ainsi que des adaptations règlementaires, mais aussi et surtout des engagements forts de l’Etat : Je voudrais parler des politiques foncières et urbaines, de logement et d’accession à la propriété, de cette « ville amazonienne durable », et lui donner le sens qu’elle mérite.
Je voudrais parler de cela, car à mon humble avis, il n’y a de lutte efficace contre la violence et la délinquance qu’en adoptant une vision globale du problème et surtout, de ses sources. En effet, je crois que ce problème prend pour partie racine dans notre manière de produire et gérer l’ « urbain » en Guyane. Voici donc, quelques éléments de réflexions, quelques propositions autour du foncier et du logement en Guyane.
La gestion & l’accès au foncier
Les Guyanaises et Guyanais aspirent à une gestion du foncier et des politiques urbaines plus justes, pour des villes mieux pensées, plus harmonieuses, offrant un cadre sain au vivre ensemble, pour renforcer les liens, les échanges économiques et humains dans la proximité et les circuits courts.
Ces politiques nationales couplées à une situation foncière tendue en Guyane, plongent les collectivités locales dans des situations inextricables de déficit budgétaire structurel. C’est pour dire, l’Etat, propriétaire de 90% des terres, ne paie aucun impôt foncier aux communes et intercommunalités. De plus, ce quasi gel du foncier empêche les collectivités d’anticiper leur développement urbain. Elles cèdent la plupart du temps à un opportunisme foncier chronique qui produit des villes désordonnées, coûteuses car difficiles à gérer, et souvent insalubres pour partie.
Il faut reconnaître que l’Etat attribue du foncier aux collectivités, mais au compte gouttes. Cela a pour répercussion de limiter considérablement leurs réserves foncières ainsi que leurs bases fiscales, contribue à la flambée des prix fonciers, au bénéfice des quelques opportunistes et grands propriétaires privés, provoque un report de la pression urbaine sur des zones agricoles ou de grands projets d’équipements, et contraint de facto l’accès au logement, au foncier agricole (dont les demandes d’attribution s’entassent dans les services immobiliers de l’Etat) et d’activités économiques.
Il faut également reconnaître que l’Etat doit en théorie compenser le principe de non fiscalisation de son patrimoine foncier, dans le corps même des dotations globales de fonctionnement (DGF) versées aux collectivités. Seulement, les efforts budgétaires auxquels est contrainte la France (par l’Europe notamment), conduit à une baisse généralisée de ces DGF chaque année, là où en Guyane, il est urgent d’investir. De plus, les bases de calcul des DGF ont tendance à favoriser les communes au taux d’équipement le plus élevé. Par conséquent, les collectivités Guyanaises, largement sous-équipées (équipements publics, scolaires, infrastructures, …), s’en voient doublement pénalisées.
Ajouter à cela le désengagement progressif et généralisé de l’Etat, et il devient aisé de comprendre à quel point les collectivités locales, seules confrontées à la réalité du territoire, au plus près des populations ; sont prises en tenaille entre un élargissement forcé de leur champs d’intervention (l’Etat faisant défaut), et un cadre budgétaire et financier exsangue, se réduisant comme peau de chagrin.
Par conséquent, il est évident que le foncier représente un enjeu central du pouvoir politique local, des stratégies de l’Etat, en ce qu’il permet de conserver la main mise sur le territoire. Pour autant, il concerne directement les Guyanaises et Guyanais, et les interpelle dans leur vision de l’avenir. Cela appelle à la mise en place de politiques foncières plus adaptées, en faveur de l’accession à la propriété, du logement, et plus largement d’un développement urbain maîtrisé et cohérent.
Le développement urbain & la production de logements
Malgré l’Article 73 de la Constitution disposant « Le régime législatif et l'organisation administrative des départements d'Outre-mer peuvent faire l'objet de mesures d'adaptation nécessitées par leur situation particulière. », et la Loi Egalité Réelle Outre-Mer du 28/02/2017 :
Nous produisons du logement en Guyane de la même manière qu’en métropole, via des procédures opérationnelles et des mécanismes financiers analogues ; quand bien même ces logements s’inscrivent dans des réalités territoriales, des climats, répondent à des modes culturels et d’habiter totalement différents de la métropole.
Nous faisons face en Guyane, a une explosion démographique (+2,6% par an en moyenne contre +0,5% en métropole) qui, traduite quantitativement, dépasse largement nos capacités à produire ces logements, en nombre suffisant, et dans le respect des normes nationales en la matière. Cela conduit à une production (quasi exclusive) de logements sociaux, dont les types et typologies sont en tous points déconnectés de la réalité sociale, des modes d’habiter et des capacités financières de leurs bénéficiaires, et notamment de ceux qui, en situation d’extrême précarité, en ont le plus besoin.
Les hauts niveaux de prix fonciers, couplés à des coûts d’aménagement élevés (du fait de la topographie & l’hydrographie), produisent des charges foncières coûteuses pour les opérateurs de logement social, pesant sur leurs bilans financiers, ne laissant guère de place à la réalisation d’espaces communs, de jeux, de parcs et espaces verts, au sein même des résidences sociales. Ce manque de qualité urbaine au prix d’équilibres financiers instables, crée de nombreux troubles de voisinages, détériorations du cadre bâti, et contribue à dégrader sur le long terme les capacités d’investissement des bailleurs sociaux, dont les dépenses d’entretien et de rénovation de leur patrimoine s’alourdissent.
Aussi, la notion de mixité sociale ne s’exprime pas de la même manière en métropole qu’en Guyane. Là ou les services de l’Etat restent enfermés dans des visions normatives des stratégies de peuplement et autres concepts métropolitains, la réalité de la Guyane démontre que la diversité culturelle a créé des regroupements communautaires et des systèmes d’entraide dans les quartiers, qu’il est dangereux de délier, broyés par ces politiques nationales.
Enfin, il existe trois principales strates de financement du logement social :
- L’aménagement des terrains par les aménageurs publics et/ou privés, financé par le Fonds Régional d’Aménagement Foncier et Urbain (FRAFU) ;
- La construction des logements à proprement parler, financée par des aides à la pierre : la Ligne Budgétaire Unique (LBU) ;
- L’exploitation des dits logements (loyers), financés par des aides à la personne (CAF, APL, …)
Pour autant, il suffit de constater que la majeure partie des populations que la ville « programmée » ne parvient pas à absorber, s’emparent eux-mêmes de la production de leur habitat, et démontrent avec sans cesse davantage de qualité, de compétences techniques dans ce domaine.
Par conséquent, pourquoi l’action de l’Etat et de ses opérateurs, ne se concentrerait pas, en complément de la production de logements dits « classiques » (sociaux et privés) ; sur l’aménagement urbain (FRAFU), en faveur de politiques d’accession à la propriété ? Cette stratégie d’intervention adossée à des politiques foncières en faveur de l’accession (en prévoyant des mécaniques de transfert progressifs du foncier état en volume suffisant), permettrait non seulement d’offrir des solutions logement adaptées et pérennes à ces catégories de populations, mais également d’encadrer plus efficacement le développement urbain, élargir les bases fiscales et ainsi mieux asseoir une équité territoriale.
Cela s’appelle communément l’ « aménagement simplifié » ou « auto-construction encadrée ». Le principe central est simple : un opérateur public aménage des terrains, fournissant ainsi l’accès à l’eau, l’électricité, le téléphone, l’assainissement, aux voies de desserte et l’éclairage public. Ces aménagements sont subventionnés au titre du FRAFU, abaissant le prix de revient du foncier aménagé, cessible aux ménages désireux de construire leur logement eux-mêmes, de leurs propres mains, via un accompagnement technique et social. En ce domaine, la liste des opérations réalisées en Outre-Mer (Mayotte, la Réunion, notamment) ainsi qu’en Amérique du Sud, nous permet d’affirmer sans aucun doute que cela est possible et opportun en Guyane. Cependant, depuis de nombreuses années, et bien que ces propositions soient portées par certaines collectivités ainsi que l’établissement public d’aménagement de Guyane (EPAG, relevant de l’Etat), les rigueurs règlementaires et l’approche technocratique de ces questions par les services de l’Etat, n’ont malheureusement pas permis de mettre en place un véritable « modus operandi » permettant de décliner plus largement ce mode d’intervention sur le territoire. Cela doit changer sans plus attendre. Car en effet, les outils existent, la création rendue possible par la loi ALUR (art. 164) des Organismes de Foncier Solidaire (OFS) et du Bail Réel Solidaire (BRS), ouvre une toute nouvelle voie vers des solutions adaptées à la Guyane, son contexte et ses aspirants au logement, sans aucunement pénaliser la filière BTP, bien qu’encore trop fortement dépendante de la commande publique.
Pour ce faire, il faudrait opérer une nouvelle convergence des crédits alloués par l’Etat au titre du FRAFU, la LBU & la CAF, afin de redéployer une logique d’investissement en faveur d’un nouveau modèle, la ville durable, sur les segments primordiaux et prioritaires de la production urbaine (l’aménagement urbain notamment).
Il conviendra également de noter que ces adaptations des dispositifs et règlementations existantes, étant possibles au titre de l’Article 73 de la Constitution, cette convergence des crédits pourrait également s’opérer dans le cadre des grands projets urbains de Guyane : le Nouveau Programme National de renouvellement urbain (NPNRU) au titre duquel les communes de Cayenne, Matoury et Saint-Laurent du Maroni ont été retenues ; ainsi que l’Opération d’Intérêt National (OIN) de Guyane, première du genre en Outre-Mer ; signe que l’Etat, bien que tardif, avait déjà pris l’ampleur des besoins de la Guyane en mobilisant des outils structurants pour le territoire.
Cependant, la question de la gouvernance territoriale se pose. L’Etat ne peut valablement reprendre la main sur la production urbaine, exécuter des programmes d’aménagement et construction de la même manière qu’il le fait dans le cadre des OIN métropolitaines, et transférer la gestion (et les coûts associés) de nouveaux quartiers, de villes transformées aux communes déjà financièrement au bord de l’agonie.
Ainsi, à l’aube de cette nouvelle page pour cet attachant territoire Français d’Amazonie, nous pourrions nous surprendre à rêver des villes durables car adaptées aux besoins des populations, valorisant le lien à la nature et l’exploitation durable des ressources ; où chacun, à chaque étape de la vie, pourra trouver des réponses à ses besoins, en terme de commerces, de services publics, d’agriculture de proximité, de mobilité/transport et de salubrité urbaine.
Enfin, au delà des politiques foncières et urbaines, l’investissement auquel l’Etat Français doit absolument consentir, porte sur la jeunesse Guyanaise, afin de lui offrir un avenir meilleur ainsi que la possibilité de se saisir d’une responsabilité qui lui incombe déjà : penser la Guyane de demain. La Guyane a besoin de tranquillité et de pérennité pour mieux assurer son avenir. Dans cette logique, qui de plus légitimes que les Guyanais pour préparer cet avenir à la Guyane ? La jeunesse du « péyi » n’a que trop faiblement accès à un panel large de formations. A ce titre, l’offre pédagogique dispensée par l’Université de Guyane pourrait être élargie, en s’appuyant et mettant en œuvre des partenariats à long terme avec des universités métropolitaines.
En résumé, ces réflexions amènent à proposer 5 principaux axes de réflexion :
- Formaliser des engagements pour des transferts et un accès réel au foncier au profit des collectivités, des opérateurs de l’aménagement et du logement, du monde agricole et économique, ainsi que des peuples autochtones ; pour un développement urbain harmonieux, cohérent et respectueux de l’environnement, ses ressources et des modes de vie locaux.
- Adapter le cadre des règlementations, dispositifs financiers et fiscaux aux réalités des besoins du territoire, et mettre en œuvre des outils et procédures adaptées, pour la mise en œuvre d’une dynamique d’investissement et de rattrapage en termes de développement d’infrastructures, d’équipements, aménagement urbain et production de logements.
- Redéfinir le cadre de la gouvernance territoriale, à l’intérieur duquel les collectivités doivent occuper une place centrale et un rôle moteur, au travers d’un partenariat réaffirmé avec l’Etat.
- Permettre une pérennité des visions, pensées, projets & actions pour le territoire. Pour cela, il apparaît indispensable de mettre l’accent sur la jeunesse Guyanaise et investir en faveur de l’égalité d’accès à l’éducation & études supérieures, par un élargissement de l’offre de formation, notamment post-bac, et un déploiement de pôles universitaires dans les grands pôles urbains, notamment de l’Ouest.
- S’ouvrir au monde, et notamment au continent Sud-Américain, en opérant une adaptation des normes Européennes afin de permettre à la Guyane d’intégrer le CARICOM & le MERCOSUR.
Car si la Guyane exhorte l’Etat a intervenir massivement afin de combler les retards accumulés de développement, elle renouvelle en creux, l’attachement qu’elle voue la France, et son souhait de rebâtir le dialogue, la confiance nécessaires pour un avenir soutenable et serein.
Un Guyanais de cœur,
MoFré
6 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON