Modem : comment rassembler sans vouloir d’alliance ?
Quelles sont les raisons de l’échec prévu du Modem aux élections législatives ? Pourquoi cinq des sept millions d’électeurs de François Bayrou à l’élection présidentielle ne l’ont-ils pas suivi aux législatives ?
Comme c’était à craindre, le Modem s’est effondré tant en voix qu’en sièges à l’occasion du premier tour des élections législatives du 10 juin 2007. L’expression du visage de François Bayrou le soir du 10 juin 2007 était assez transparente pour voir que l’échec a été plus prononcé que prévu.
Certes, nouveau parti revendiquant 80 000 adhésions, le Modem n’a obtenu aucun élu au premier tour et seuls six candidats centristes peuvent se maintenir au second tour, avec deux ballottages favorables : François Bayrou dans les Pyrénées-Atlantiques, Jean-Christophe Lagarde à Bobigny, Jean Lassalle aussi dans les Pyrénées-Atlantiques, Jean-Marie Cavada à Saint-Maur les Fossés, Élisabeth Doineau en Mayenne, et Thierry Benoît en Ille-et-Vilaine.
Il est pourtant arrivé en troisième position en voix au niveau national, récoltant 7,6% (soit presque deux fois plus qu’en 2002) et près de deux millions de voix.
Dans beaucoup de circonscriptions, le candidat du Modem se trouve entre 10 et 16%, ce qui parfois est un beau score (notamment au sud Seine-et-Marne et en Isère), mais insuffisant pour rester au second tour (notamment Marielle de Sarnez à qui il a manqué quelques centaines de voix pour se maintenir).
Mais contrairement à ce qu’imaginait François Bayrou au soir du premier tour de l’élection présidentielle, cinq de ses sept millions d’électeurs ne lui ont pas renouvelé leur confiance sur ce nouveau terrain électoral.
Selon un sondage, un tiers des électeurs de Bayrou se seraient abstenus, un peu plus d’un cinquième auraient choisi un candidat du Modem, une quinzaine de pourcents un candidat de la majorité présidentielle et un peu moins un candidat socialiste.
Je me propose d’analyser les causes ou, plutôt, les mauvaises causes évoquées depuis le soir du 10 juin 2007 de l’échec électoral (prévisible) du Modem.
Le mode de scrutin
Certains ont évoqué à de nombreuses reprises que le scrutin majoritaire uninominal à deux tours était un élément majeur pour empêcher le Centre de tourner en rond.
Certes, un effet mécanique avantage les grands partis bien implantés et ayant beaucoup de moyens sur le terrain face à des partis qui réussissent parfois à avoir une forte audience au niveau national mais sans structure élaborée au niveau local : ainsi le Front national fait systématiquement moins de voix que dans les scrutins proportionnels ou présidentiels, alors que le PCF, au contraire, bien structuré, en fait plus.
Et pourtant, ce sont les électeurs qui votent et l’effet mécanique non négligeable n’est pas la cause de tout. En effet, en juin 1997, le Front national avait réussi à se maintenir au second tour dans de nombreuses circonscriptions, engendrant des triangulaires qui ont souvent favorisé le candidat socialiste face au candidat chiraquien.
Or, c’était justement sur cette capacité, sinon de nuisance du moins d’existence, que François Bayrou comptait pour imposer son idée d’un grand Centre autonome. Mais à condition que les sept millions d’électeurs du 22 avril le suivissent dans ses circonvolutions : débat télévisé inédit avec Ségolène Royal alors qu’il ne pouvait plus se maintenir au second tour, et refus total d’alliance pour les élections législatives.
Le calendrier électoral inversé
Encore des propos qui n’ont pas beaucoup de sens. Certains ont dit en effet que le calendrier a été inversé et qu’il faudrait le remettre à l’endroit : les élections législatives avant l’élection présidentielle.
Certes, ce débat peut être intéressant, mais dans l’histoire de la Ve République, jamais des élections législatives n’ont précédé de quelques semaines une élection présidentielle. Par conséquent, le calendrier n’a jamais été "à l’envers" mais n’est que dans l’ordre logique de l’esprit de la Constitution.
Le problème était que la Constitution prévoyait que dans tous les cas, les députés devaient être renouvelés au mois de mars, même si, comme en 1997, ils avaient été élus en juin cinq années avant.
Cette modification mineure ne faisait en fait que conforter une pratique déjà bien ancrée depuis François Mitterrand : des élections législatives succédant immédiatement à l’élection présidentielle afin d’apporter au président élu une majorité présidentielle. Ce fut le cas en juin 1981, en juin 1988, et, suite à la réforme, en juin 2002. Pour les deux premiers cas, il a fallu une dissolution de l’Assemblée nationale pour permettre ce calendrier.
En instituant le quinquennat (contre lequel j’avais voté en septembre 2000), il était logique, à partir du moment où on ne modifiait pas la durée d’une législature, de faire précéder l’élection présidentielle des élections législatives.
Ce calendrier a-t-il été la cause d’une abstention massive pour ce premier tour, et donc à des manques de voix pour les candidats du Modem ?
À mon sens, les électeurs ont surtout estimé que les jeux étaient déjà faits dès le 6 mai 2007, et ils ont donc montré leur acceptation pleine et entière du principe de la Ve République qui a presque toujours placé le président de la République en clef de voûte de l’action gouvernementale (sauf en cas de cohabitation).
La bipolarisation artificielle
Le mode de scrutin majoritaire engendrerait une bipolarisation que les électeurs refuseraient. Cet argument souvent employé par François Bayrou ne me paraît pas convaincant non plus.
En effet, rien n’empêchait les électeurs de refuser cette bipolarisation en refusant de voter UMP et PS à ce premier tour. Ils ne l’ont pas fait. En fait, ce sont surtout les électeurs qui ont décidé de cet état du paysage politique, pas la bipolarisation des institutions. Ce paysage avait été beaucoup plus morcelé, notamment en juin 1988 où aucune majorité absolue n’avait été atteinte, ce qui a permis d’ailleurs à François Mitterrand de gouverner avec encore moins de concertation avec le PS.
Les principales raisons de l’échec législatif du Modem, à savoir de l’incapacité du Modem à rassembler le maximum de voix qui s’étaient portées sur la candidature de François Bayrou, sont à mon avis doubles.
Le discours du Modem
Les arguments de campagne avancés par le Modem ont été souvent l’autonomie qu’auront les futurs députés du Modem : votant oui si le projet de loi est bien, disant non si le projet de loi n’est pas bien. Certes, c’est ce qu’on demande en général à un parlementaire, mais cette pratique est rare en raison de l’absence d’autonomie du député : soit godillot dans la majorité, soit en obstruction systématique dans l’opposition.
Mais ce n’était pas suffisant pour voter pour ce parti. En effet, comme le PS qui argumentait aussi sur le risque (plus que réel) de trop grande hégémonie de l’UMP, cela ne dit absolument pas aux électeurs quel est son projet gouvernemental.
La raison est assez simple, puisque la victoire de l’UMP était déjà acquise par tous les partis avant le premier tour. Donc réexposer un projet, après la campagne présidentielle, pouvait sembler inutile.
Mais c’est normal qu’un tel discours n’attire pas les électeurs qui sont surtout dans du concret. Or, pendant cette campagne des législatives, seul l’UMP a avancé des propositions concrète, reprenant évidemment celles du candidat Nicolas Sarkozy.
Les propos de François Bayrou renforcent cette impression messianique : selon lui, seul le Modem aurait la vérité, et il vaut mieux perdre les élections et rester fidèle à ses idées. Bien sûr que c’est vaillant et courageux, une telle approche, mais c’est une approche intellectuelle et pour le moins très peu politique, ce qui est étonnant de la part d’un leader qui baigne dans la politique depuis trente ans.
Ce que les électeurs peuvent lui reprocher, c’est que "ses idées", sur un projet gouvernemental, elles ont été peu audibles pendant la campagne des législatives.
L’indépendance totale du Modem
L’absence de discours sur un vrai programme de gouvernement s’est couplé d’une stratégie qui, je l’avais dit, a amené le Modem dans le mur. Stratégie qui, sur le papier, était intéressante seulement en position de force : absence totale de dépendance vis-à-vis d’un autre parti, UMP ou PS.
Cette stratégie suicidaire, la plupart des députés UDF sortants l’avaient refusée en fondant un pseudo-parti (le PSLE devenu Nouveau Centre) afin de conserver la stratégie qui avait toujours été la leur, à savoir rester des alliés, exigeants, de l’UMP. Leur électorat était d’ailleurs de cet avis puisque ceux-ci ont été réélus (pour six d’entre eux) au premier tour ou vont sans doute l’être au second tour (et cela malgré la présence systématique de candidats du Modem contre eux).
Maurice Leroy, qui regrettait l’impasse dans laquelle s’est placé son ancien ami François Bayrou, expliquait que c’était de la folie de refuser des alliances électorales. Que le système actuel le nécessitait et que cela n’enlevait rien à l’autonomie d’un parti, prenant pour exemple le PCF qui, malgré le très faible score de Marie-George Buffet (un dixième de celui de François Bayrou), devrait avoir près de cinq fois plus de députés.
Maurice Leroy expliquait aussi que les députés UDF sortants pourraient ainsi former un groupe à l’Assemblée nationale et garderaient une vision autonome face au gouvernement de François Fillon. Leur influence au cours de la législature qui s’annonce sera nettement plus efficace que celle du Modem (je rappelle que les idées politiques des deux, leur vision politique sur le fond sont similaires, puisque largement unies au cours de la campagne présidentielle).
Et puis, je ne m’explique toujours pas cette incohérence de vouloir rassembler le plus grand nombre et de refuser toute alliance politique. C’est désormais factuel : le Modem ne sera pas la grande formation qui rénovera la vie politique. Les électeurs en ont décidé autrement : c’est l’UMP et Nicolas Sarkozy qui, pendant cinq ans, vont réformer profondément la société.
Qu’on le veuille ou pas. Mais l’accepter, c’est respecter la démocratie.
Sylvain Rakotoarison
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