Deux petits chiffres. 33 et 700. Ce n’est rien et c’est immense. 33 hommes survivent par 700 mètres de profondeur. 33 hommes, ce n’est rien mais c’est beaucoup. Dans un monde de violence, de tuerie et de profiteurs, nous sommes 34 à souffrir.
Travailler pour faire vivre une famille, rien n’est plus noble. Courber l’échine dans des galeries pour en extraire la richesse de la terre, je l’ai vécu ! Donc naturellement, je suis sous terre avec eux depuis plus d’un mois.
Ne pleurez pas dans vos chaumières, ce ne sont que des hommes de 19 à 63 ans qui redescendront demain, pour accomplir un travail. Un travail qui peut les tuer mais qui les fait vivre. Ceux qui sortiront, fronceront les yeux pour supporter le soleil du Chili, mais ouvriront leurs bras décharnés pour leurs familles. Et demain, ils redescendront, car on redescend toujours !
Pour 33 familles, le calvaire va se poursuivre pendant 3 à 4 mois. Car ils ne sont pas morts. Ils survivent avec une multitude de risques. L’espoir va les soutenir, mais petit à petit, l’espoir va s’amoindrir. Ce ne sont pas des touristes, mais des professionnels du travail sous terre. Ils connaissent très bien les risques. Une poche d’eau qui peut les noyer, un gaz sournois qui les endormira à jamais, un éboulement…
Pour les familles, le temps s’est arrêté. La politique, les faits divers n’existent plus. Le corps est en surface, mais les entrailles sont à 700 mètres sous terre. Ce ne sont plus des femmes, ce sont des veuves en puissance. Ce ne sont plus des enfants, ce sont des orphelins en puissance. Ce ne sont plus des familles, ce sont des plaies !
Un mort, on peut le pleurer. Mais que faire pour un mort-vivant ou un vivant-mort ?
Vous qui n’admettez pas de faire 200 mètres à pied pour rejoindre votre restaurant, imaginez-vous survivre à 700 mètres sous votre précieux bitume ! Une horreur n’est-il pas vrai !
Le plus vieux à 63 ans, pour lui la retraite n’est qu’une utopie. Il ne vit pas en France, pas de chance ! Et le plus jeune, 19 ans. L’avenir, si avenir il y a, c’est toujours plus profond, toujours plus de risques….avant de remonter en lambeaux ou de disparaître dans un magma de charbon.
Sortiront-ils, ou ne sortiront-ils pas ? Que nous importe. Ils sont morts depuis leurs naissances. Morts sans avoir vécu. Morts pour le profit. Mais avec cette fierté de l’homme qui travaille pour une famille et un idéal.
Comme Henri Guillaumet après s’être écrasé dans les Andes et s’en être sorti vivant après un courage inimaginable, ils pourront dire « Ce que j’ai fais, aucune bête ne n’aurait fait ».
L’idéal serait que le profiteur s’émeuve à son tour... mais c’est utopique. Parfois à la fin de sa vie, il distribue quelques bontés et charités pour la paix de son âme.
Nous sommes très peu à pouvoir parler de ce noble métier. Car très peu d’anciens mineurs ont accédés à internet. Ce n’est pas un manque de ressources, juste un manque d’ouverture sur un monde inconnu. En parcourant les commentaires de certains quotidiens, c’est même une bénédiction.
Maintenant que nous les savons en vie. Le risque va venir de leurs forces de caractère pour accepter la promiscuité journalière. Le manque de la plus élémentaire hygiène, les réactions défaitistes des plus faibles et le plus terrible sera l’absence de repaire.
Pour ne pas avoir écouté les conseils d’anciens, je me suis trouvé ensevelie pendant 15 minutes. Pendant un siècle, j’ai frappé avec un caillou sur le tuyau d’air, pour avertir que j’étais en vie. Que je demandais de l’aide ! Que je voulais vivre.
Dans trois mois, ceux qui auront la chance de revoir le soleil, ne seront plus des hommes. Juste des survivants !
Merci, Papyboum, pour cet élan du cœur envers des collègues, ainsi que la traduction exacte que vous faitesde leur situation et de ce qu’ils ressentent. Je m’associe, naturellement, et je pense aussi aux 12 millions de pakistanais, sans abri, selon les dernières estimations dont plusieurs milliers au moins sont irrémédiablement condamnés, à chaque seconde qui passe, au regard de l’aide insuffisante.. Comme je pense aux enfants qui meurent de faim et des suites de la faim dans le monde à la seconde même où j’écris ce post. Ce n’est pas pour faire diversion : la solidarité est UNE.