Mon dernier emploi
Comment parler ce ce qui est bien au-delà des mots, qui n'existe que dans le refus de vérité, et dont l'absence se drape de vertu pour faire de la force le dernier et ultime argument de la barbarie ?
Nous ne sommes pas sur un champ de bataille de moyen-âge, mais dans la vie active d'une société qui se dit moderne.
Une telle violence vous dégoûte si puissamment que'on se trouve plongés dans la douce contradiction d'être heureux de s'être fait virer, et du traumatisme que cela l'ait été de façon injustifiée, hypocrite et déloyale.
Quel désir de souffrance peut encore me pousser à chercher un emploi, si à chaque fois c'est pour sombrer dans la plus abjecte comédie où on perd toute sa vie à ne rien faire de logique ou de raisonnable, à être constamment corrigé, amoindri, affaibli et au fond insulté, sur aucune autre base que celle de l'exercice du pouvoir, qui consiste seulement à dominer et humilier, seulement pour le plaisir de faire souffrir.
Le vice consiste non pas à faire cela, mais à faire le contraire de cela en apparence afin que le contraste soit le plus violent possible. Il en subsiste un sentiment qui désire qu'on s'en imprègne, de méfiance perpétuelle envers tout le monde, ce qui au passage ne doit surtout pas se sentir, sous peine d'être accusé d'être insociable (et donc viré dans l'instant).
Et si on s'ouvre aux autres, avec humour en souhaitant les enrichir, ils vous sourient mollement et dans votre dos iront prétendre que vous êtes sûrement un débile mental échappé de l'asile.
Et bien sûr ceux-là seront crus, écoutés et approuvés directement en proportion de leur grade et de leur pouvoir, sans aucune autre forme de sens critique.
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En sortant du boulot vendredi je me sentais vaguement patraque, quoi que content de mon oeuvre. J'avais parfaitement suivi les recommandations indiscutables qui m'avaient été faites, sans broncher, ou si peut-être à part quand j'ai dit en souriant "Ceci n'a que la valeur de sa logique". Et le gars à l'air tordu a répondu "Quoi ? C'est comme ça qu'on fait, c'est tout !". Alors j'ai mimé que je riais.
En rentrant je vis que la meuf de l'agence d'esclaves avait tenté sans succès de me joindre.
Le lundi c'est comme si j'étais un fantôme. On me plaça dans un bureau, limite dans le couloir. Les gens déjeûnaient ensemble un plat cuisiné en commun, et moi seul dans mon coin avec mon connard de sandwich. Je repensais à une discussion où on m'expliquait que ces gens se situaient à un autre niveau de soucis que le mien. Le mien était alimentaire, eux n'avaient plus ce soucis depuis longtemps. Et de cette même manière, il y a encore bien d'autres niveaux (de soucis) au-dessus.
C'est ça qui se passe lors d'un entretien d'embauche, le gars est un peu comme en mode vacances, il s'amuse, frime, semble "sympa", mais en fait déjà il vous chie dessus car lui, il n'aura plus jamais à faire un CV, postuler, être embauché ou faire ses preuves. Pour lui vous êtes déjà une sous-merde, que dans sa grande bonté, il laisse parler sans trop écouter, et en rebondissant sur des questions bénignes et farelues, symboliques, irrationnelles, mais qui pour lui veulent tout dire.
Ces gens se font leur idée sur vous à partir de ce qu'ils veulent, pris au hasard à n'importe quel moment. Vous dites un mot anglais avec un accent français, ça y est, le terme "bilingue" sur le CV était un mensonge". Vous faites un mot d'humour pour vous défendre d'une accusation où on ne vous laisse pas le temps de vous expliquer, ça y est, rendez-vous en tête à tête dans un bureau pour dire "on va voir si on peut continuer ensemble".
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La grande question est Comment font les autres pour survivre dans ces entreprises ? C'est bien simple, il y perdent leur âme, leur bonté, leur générosité, leur humanité. Si vous niez toute humanité, et approuvez le fort au détriment du faible, si vous-même montrez que vous savez frapper les faibles, alors vous prouvez votre valeur. Vous devenez quelqu'un "qui fait autorité", en qui on peut avoir confiance, et dont le discours est simple et direct.
Pour qu'un discours soit simple et direct, compréhensible, efficace, il y a deux solutions, soit posséder une grande sagesse, soit jouer dans un théâtre où tout le monde réagit comme si vous déteniez une grande sagesse, et ce même si il n'y a rien de logique, tangible, intelligent ou réel à ce que vous dites. C'est comme ça que Sarkozy a été élu.
Je ne peux m'empêcher d'avoir une certaine admiration pour ces gens qui circulent comme un poisson dans l'eau dans ces entreprises en se montrant sympathiques avec tout le monde, et dont on sait à leur tête qu'ils ont déjà au moins assassiné plusieurs personnes.
Il faut dire que dans nos sociétés de fin de civilisation, on a été éduqués depuis notre plus tendre enfance à réagir de façon conditionnée à l'autorité, la force, la violence, comme des lèches-culs emplis d'admiration, comme des Smithers.
Toutes les fois où on a raillé sur les gens qui se masturbaient mentalement en s'auto-congratulant, où on a heurté la sensibilité des rouages absurdes de procédures insensées, vertement critiqué les dangers que faisaient encourir des incompétents en lesquels tout le monde avait foi, toutes les fois où on a dû se placer à contre-courant voire même où on a finalement claqué la porte en refusant de contribuer à l'innommable, on s'est toujours systématiquement retrouvés à chercher du travail, à pôle emploi, le rendez-vous des foutus.
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Une fois j'ai demandé à Pôle emploi pourquoi on ne mettait pas les chercheurs d'emploi en relation pour qu'ils créent leur propre activité au lieu d'en chercher, "avec toute cette force disponible", mais on m'a répondu que cela ne faisait pas partie de leurs attributions. Comme avant ils m'ont dit que leur classifification des emplois était fiable, que c'était ma recherche qui était absurde ("développeur" n'existait pas encore). Comme avant on me disait que l'informatique n'avait aucun avenir, ou que le RMI ne servait pas à en profiter pour se former.
J'ai une longue expérience pour reconnaître la bêtise quand je la vois ! Elle est toujours du côté du plus grand nombre, et quand l'époque change, le grand nombre change de camp avec elle. Alors on a l'espoir que les choses vont changer, mais non, le grand nombre les dénature, les vide de leur substance, et en font le théâtre de leur folie.
Je pensais que l'ère de l'informatique allait sauver ce monde, car il entraîne l'esprit logique, mais il a créé une aristocratie qui se sent pompeusement supérieure aux illétrés, et qui est capable de télécommander l'opinion des ignares (que sont les DRH) avec des phrases sottes vides de toute signification, mais qui sonnent bien, pourvu qu'elles soient insultantes, comme : "Ce type ignore les conventions". Ah oui alors là tout s'explique. Mais que va-t-on faire de lui, le pauvre ? "Je vous assure que nous resteront en contact pour des futurs postes", me dit ma marchante d'esclaves, alors qu'en fait elle se dit "Ah d'accord, en fait c'est une merde ce type, bon OK je le raye".
Je meure d'envie de crier au monde qu'il n'existe que les conventions que nous créons, que chacun y contribue, qu'elles évoluent, qu'aucune langue au monde n'est universelle, que personne ne détient la clef de cette universalité, et que si c'était le cas, il pourrait au moins se donner la peine de les expliquer !
J'étais embauché dans une boîte où ils devaient s'y mettre à 10 pour assurer la maintenance d'un logiciel antique, cafouilleux, redondant jusqu'à l'infini, d'une lourdeur phénoménale, mal écrit, mal pensé, et impossible à faire évoluer, et je devais apporter une nouvelle version légère, puissante, moderne (avec les conventions modernes), basée sur une architecture qui permet d'éviter tous les problèmes qu'ils ont et de permettre une croissance en complexité qui rime avec croissance en performance. J'ai fait cela, en fait j'ai apporté des solutions que je connaissais déjà. C'est un logiciel que j'aurais pu vendre un prix à 5 ou 6 chiffres si j'avais été accompagné d'un requin, mais eux l'ont obtenu pour seulement 1 mois de salaire.
Et à la fin évidemment je me suis fait sortir sur des arguments si éloignés de toute raison que ce n'est évidemment pas la peine de les écouter, puisqu'ils ont eu ce qu'ils voulaient. Et moi je suis censé dire que j'ai été payé comme je l'avais souhaité, au prix convenu, et que je n'ai plus qu'à être content, que les comptes sont réglés.
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Je disais, le lundi suivant je trouvais que tout le monde était bizarre avec moi, je me sentais l'envie de quitter cette boîte. Je posais des questions de l'ordre du gars qui travaille en équipe, on me répondait des réponses de l'ordre du gars qui n'y arrive pas tout seul. Je réclamais les éléments dont j'avais besoin pour continuer, on me répondait par un silence, comme si je n'étais pas là, genre "je suis occuppé à des choses plus importantes que toi". "On verra demain".
Tu parles, en rentrant j'ai appris que j'étais viré, que ce n'était plus la peine de revenir. Aucune explication, aucune justification, à part celles qui passent par la vendeuse d'esclave. C'est à dire, celles qui sont passées par au moins 5 filtres cognitifs : une perception étroite, falsifiée, une façon de l'exrpimer faussée, raccourcie et exagérée, puis rebelotte de l'employeur à l'esclaveuse, incluant la défaillance de mémoire remplacée par des impressions approximatives. Voilà ce qu'a été le motif de mon renvoi, des impressions approximatives.
Je me demande s'il n'y a pas des lois contre cela, mais évidemment je sais d'avance que je n'ai aucune chance. Imaginez que j'explique à un juge ce qu'est la programmation, la logique, la raison, le tangible, le fonctionnel, et qu'en face on lui explique "regardez ce guignol", c'est clair que je vais perdre !
Ce que je raconte là est juste un peu de vécu pour mieux comprendre ce qui va arriver dans l'avenir proche. Les politiciens et les industriels, ainsi que leurs sbires, fonctionnent comme cela. La corruption, je la vois comme ça : plus il faut le payer cher, plus le corrompu a l'impression d'être honnête (tellement honnête qu'il faut le payer cher). Il se sent flatté d'être corrompu. C'est un peu ça, l'esprit de notre époque. Les gens s'imaginent qu'ils sont corrompus pour s'auto-flatter, et ils le font gratuitement !
Quand un truc affreux et invraissemblable se prépare, on n'en soupçonne jamais rien. On ne pense pas possible ou vraissemblable qu'une chose aussi idiote et aberrante puisse avoir lieu, et encore moins sur des motifs aussi risibles qu'irrationnels. Par exemple on se demande Pourquoi Gallilée n'a-t-il pas tout simplement enseigné et fait comprendre ses travaux pour prouver que la terre était ronde, au lieu de s'enferrer dans des discussions futiles et sur lesquelles il n'avait aucune maîtrise ? Simplement parce que c'est ça, l'exercice du pouvoir, et que pour le remettre en cause, le seul moyen je crois, c'est de le corrompre, en le séduisant et en flattant son égo. C'est tout ce qu'il réclame, pour ensuite avoir encore plus de pouvoir. Il n'accepte rien d'autre.
En fait le mot démocratie ça veut surtout dire "Pouvoir". Les gens sont toujours du côté du pouvoir. Quand les politiciens se mettent à l'écologie par exemple, cela leur donne d'autant plus de puissance et de force pour faire s'abattre l'arbitraire.
Je crois que les gens sont fous, qu'ils leur manquent à tous une grave case. Ils n'ont aucun repère, ils sont perdus, errant dans l'obscurité. Ils frappent ceux qui veulent les sauver. Ils s'identifient à leurs esclaveurs, et leur font l'honneur de ne pas avoir à les forcer à se salir les mains en s'auto-humiliant, et en frappant à leur place.
La prochaine guerre mondiale ne sera pas un camp contre l'autre, ce sera tout le monde contre tout le monde. Jusqu'à ce que, dans l'adversité, on soit obligés d'apprendre à travailler ensemble de façon coordonnée et rationnelle afin de garantir notre propre survie. Seuls ceux qui seront assez lucides pour savoir ça, surviveront. Désolé !
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