Mon ordi n’est pas une télé !
Souvenez-vous : le 8 janvier 2008, au cours d’une mémorable conférence de presse attrape-tout, Nicolas Sarkozy promettait à la fois une “nouvelle politique de civilisation” (qui depuis a fait pschitt !), une “diplomatie de la réconciliation” (qui a permis entre autres au grand diplomate-réconciliateur du Liban Bachar el Assad d’assister au défilé militaire du 14 juillet) et, last but not least, lapin-perlimpinpin imprévu jailli du chapeau huit reflets bling-bling de l’illusionniste élyséen, la “suppression totale de la publicité sur les chaînes publiques qui pourraient être financées par une taxe sur les recettes publicitaires accrue des chaînes privées". Souvenez-vous toujours : dès le lendemain, les prix des actions de TF1 et de Métropole TV (qui possède M6) s’envolaient (+ 11,97 % pour TF1, + 7,46 % pour M6). Du nanan sonnant et trébuchant pour Bouygues et Bolloré, les très chers amis de l’omniprésident multimédiatique, dont les parts d’audience et donc les revenus publicitaires ne cessaient d’être rognés depuis l’apparition des chaînes de la TNT.
Nicolas la Fronde dans le TGV d’Interludes ?
Depuis cette annonce inattendue et fracassante qui a pris de court les protagonistes du PAF (enfin, peut-être pas tous, n’est-ce pas Martin, Nicolas et Vincent ?) les projets de financement des télés publiques se profilent cahin-caha dans le chaos d’un flou intégral bien révélateur de la totale impréparation de cette décision de l’omniprésident. Outre la taxe sur les recettes publicitaires des chaînes privées, on a évoqué des mini-taxes sur le chiffre d’affaires des nouveaux médias (internet et téléphonie mobile).
Entre-temps, Nicolas Sarkozy, qui a avoué que l’un des rêves du petit enfant capricieux qu’il est resté était de devenir directeur des programmes d’une chaîne de télé (il l’est presque devenu en s’octroyant le droit de choisir personnellement les dirigeants des chaînes publiques), nous a fait part de sa vision d’une TV de service public du XXIe siècle : un remake des émissions préférées de son enfance, Thierry la Fronde, Au théâtre ce soir, Apostrophes, Le Grand Echiquier. De la dure rupture, donc. Il ne manque plus que le petit train d’Interludes transformé en TGV pour complaire à notre pressé président. Une vraie “politique de civilisation” télévisuelle, mais pour la “diplomatie de réconciliation” avec le service public, Sarkozy repassera...
Ceci est un billet de mauvaise humeur...
Bon, vu que cet article est avant tout un billet de (mauvaise) humeur, je vais maintenant m’exprimer à la première personne du singulier, tout en parlant néanmoins au nom des 6 % de foyers français qui n’ont pas de TV et qui ne veulent à aucun prix de ce petit écran (et non de cette fenêtre ouverte) sur le monde dont Louis-Ferdinand Céline disait prophétiquement, dès son apparition, qu’il était “dangereux pour les hommes” et que “personne ne pourra empêcher maintenant la marche en avant de cette infernale machine”.
Oui, je l’avoue : je suis téléphobe. Bien sûr, comme Nicolas Sarkozy (je suis de la même génération que lui), j’ai aussi regardé Thierry la Fronde, Au théâtre ce soir, Apostrophes, Le Grand Echiquier dans la lanterne magique (ou la lucarne infernale) de mes parents. Mais sans jamais être accro à la télé. Depuis que j’ai quitté le domicile familial il y a 37 ans, je n’ai jamais eu de télé ni l’envie de perdre mon temps devant ce robinet à image et pubs pour temps de cerveau disponible. La télé, je la regarde une fois par an, chez des amis, par acquit de conscience, pour voir ce qu’il y a dedans. Je zappe alors comme un malade, tête baissée dans un océan de consternation, en me rappelant cette citation de Godard : “Quand on va au cinéma, on lève la tête. Quand on regarde la télévision, on la baisse”. Ne pas avoir la télé, c’est garder la tête haute.
A la télé je préfère infiniment la radio. Comme disait Francis Blanche bien avant que les déferlantes de pubs et de programmes inertes n’envahissent les tubes cathodiques et écrans plasma, “la télévision est une chose formidable. Quand on ferme les yeux, on croit entendre la radio”. Sauf que depuis ce n’est plus vrai. Quand on écoute les radios privées d’aujourd’hui, on a l’impression, avec un peu d’imagination, de regarder la télé abrutissante et publiphage, cette fabrique de consentements décervelés.
Arnaque à la redevance !
Pour écouter des radios qui ne ressemblent pas à des télés sans images, il n’y a pas le choix : seules celles du service public offrent ce genre de prestation. Il y a une semaine, j’écoutais donc l’émission Ça vous dérange à 12 heures sur France-Inter. Le sujet traité était : Attendez-vous plus de culture dans une télé publique sans pub ? Etaient invités Richard Sénéjoux, chef du service télévision à Télérama (vraiment pas un grand polémiste, c’est une litote) et surtout Patrice Martin-Lalande, député UMP du Loir-et-Cher, coprésident de l’atelier “Modèle économique de la commission pour la nouvelle télévision publique”, rapporteur spécial de la commission Copé des finances pour les médias et coprésident du groupe d’études sur internet de l’audiovisuel et la société d’information.
Mon écoute était plutôt distraite, vu que ces histoires de télé ne me concernent personnellement pas, même si en tant que citoyen je m’inquiète quand même du devenir des services publics sous la présidence Sarkozy. Et puis tout à coup j’ai entendu une phrase si incroyable que j’ai failli en lâcher l’économe avec lequel je pelais une carotte en prévision du déjeuner : Patrice Martin-Lalande venait de déclarer qu’il était “heureux d’avoir aussi convaincu la Commission d’étendre la redevance aux foyers qui ne disposent pas de téléviseurs, mais qui détiennent d’autres types de récepteurs, comme les ordinateurs. Nous assurerons ainsi l’égalité de traitement entre tous les téléspectateurs quelle que soit la technologie qu’ils ont choisie. Nous sommes aussi pleinement cohérents avec la proposition de transformer France Télévisions en ’média global’ qui sera reçu sur toutes les sortes de supports”.
Vous avez bien lu : tous ceux qui ont un ordinateur devront payer la redevance, même s’ils n’ont pas de télé et qu’ils ne regardent pas et ne veulent pas regarder la télé sur leur PC ou leur Mac.
Désolés, MM. Copé et Martin-Lalande, mais mon ordi n’est pas une télé ! Je fais partie de ces 6 % de Français qui n’ont pas la télé et/ou ne veulent pas l’avoir, et il est hors de question que je paie un impôt sur un service que je n’utilise jamais. Etant un auditeur assidu des chaînes de Radio-France, je serais prêt à payer une redevance pour que ces chaînes perdurent et soient financées en dehors de toute recette publicitaire (rappelons que la redevance finance à la fois les télés et les radios publiques, mais que seuls ceux qui ont la télé la paient, ce qui n’est pas juste), mais je ne veux pas donner un sou aux boîtes à images télévisuelles, fussent-elles publiques !
Et j’appelle tous ceux qui partagent mon indignation d’envoyer un courriel de protestation à Patrice Martin-Lalande avec pour libellé “Mon ordi n’est pas une télé”, en lui demandant de mettre en œuvre les moyens techniques permettant de prouver que les téléphobes de mon acabit ne regardent pas la télé sur leur ordi.
En guise de conclusion et pour faire une ultime citation (elle est de Philippe Bouvard), “La télévision, c’est comme la liberté : il faut l’avoir à portée de la main même et surtout si l’on ne s’en sert pas”. Eh bien non, pas d’accord. La télé, je ne l’ai jamais eue de ma vie d’adulte, et je n’ai jamais eu l’impression d’être privé d’une liberté. Bien au contraire... Avis aux 94 % de téléphiles !
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