Monsieur le Président, je vous demande le droit de poursuivre sereinement mes études supérieures
de M. PENISSON Timothé La Chapelle en Serval, le 18 novembre 2013
à Monsieur François Hollande, Président de la République,
Palais de l’Elysée, 75008 Paris
Copies : Monsieur Jean-Marc Ayrault, Premier Ministre,
Madame Marie-Arlette Carlotti, Ministre chargée des Personnes handicapées et de la
Lutte contre l'exclusion,
Monsieur Vincent Peillon, Ministre de l’Education Nationale
Madame Geneviève Fioraso Ministre de l'Enseignement supérieur et de la
Recherche,
Monsieur Jean-Pierre Bel, Président du Sénat,
Monsieur Claude Bartolone, Président de l’Assemblée Nationale,
Monsieur Dominique Baudis, Défenseurs des droits,
Monsieur Eric Woerth, Député de l’Oise,
Monsieur Yves Rome, Sénateur de l’Oise,
Madame Laurence Rossignol, Sénatrice de l’Oise,
Monsieur Philippe Marini, Sénateur de l’Oise,
Madame Caroline Cayeux, Sénatrice de l’Oise,
Monsieur Philippe Espercieux, Maire de La Chapelle en Serval,
Monsieur Alain Rochon, Président de l’Association des Paralysés de France,
Monsieur Oswaldo Jacques, Directeur de la délégation départementale de
l’Association des Paralysés de France de l’Oise,
Madame Laurence Tiennot-Herment, Présidente de l'Association Française contre
Madame Odile Menneteau, Présidente de l’Association de Gestion du Fonds
pour l'Insertion professionnelle des Personnes Handicapées.
Objet : Pourquoi ne me permet-on pas de poursuivre sereinement mes études supérieures ?
Lettre ouverte sur le handicap
Monsieur le Président de la République,
Mesdames, Messieurs,
Je veux dénoncer la carence des moyens alloués aux étudiants handicapés souhaitant suivre des études supérieures.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, une présentation s’impose. Je m’appelle Timothé PENISSON. Agé de 20 ans en février prochain, je souffre d’un handicap moteur de type Infirme Moteur Cérébral (IMC). De ce fait, j’ai des problèmes d’élocution, de marche et de préhension.
J’ai effectué ma scolarité dans un premier temps en milieu « adapté » (Etablissement de la Croix-Rouge puis en CLIS[1] de type 4, pour la primaire), et dans un second temps en milieu « ordinaire » dans le collège et lycée de mon secteur. En juillet 2011, j’ai obtenu le diplôme du baccalauréat scientifique avec mention bien. Puis, en juillet 2013, j’ai obtenu un BTS Services Informatiques aux Organisations. Depuis septembre, je poursuis mes études en classe préparatoire « Adaptation Technicien Supérieur » afin d’intégrer une école d’ingénieur.
Depuis la classe de CM2, soit depuis 10 ans, je bénéficie d’un Auxiliaire de Vie Scolaire (AVS) à temps plein pour la prise de note, le déplacement intercours et la prise du déjeuner. Par ailleurs, un transport scolaire m’est attribué depuis la maternelle.
- Les aides humaines dans les études supérieures
Passionné de politique et de littérature, mon projet initial était de devenir journaliste. Cependant, dans une démarche pragmatique, il a fallu intégrer les difficultés découlant de mon handicap pour choisir un projet professionnel envisageable. Mais ce n’est pas tout… Car, en effet, un autre paramètre s’impose à moi dans mon choix d’orientation post bac déjà bien restreint. Les aménagements existants (AVS, transport) dans le secondaire, ne subsistent pas globalement dans le supérieur. Seules les études, telles que les BTS ou les classes préparatoires, se déroulant dans le cadre d’un lycée, donnent le droit à ces aménagements. Impossible donc de bénéficier d’une aide humaine financée par l’Etat, en université publique.
Certes, il faut concéder qu’un certain nombre d’universités propose des solutions pour pallier ce que je considère comme un désengagement inadmissible de l’Etat dans l’accompagnement des étudiants handicapés. La principale solution consentie par la majorité des universités possédant une « cellule handicap » est le tutorat. En quoi cela consiste-t-il ? Un étudiant volontaire, du même cursus que celui en situation invalidante, s’engage, sur la base d’un contrat dit « moral » passé avec l’université, à fournir les cours pendant toute l’année universitaire, en contrepartie d’une gratification financière qui lui est versée. Dans certains cas, il peut aussi arriver que le tuteur ait aussi la charge d’accompagner l’étudiant concerné pendant les déplacements intercours ou la prise de repas. Si, il faut le reconnaître, ce principe a le mérite d’exister là où l’Etat ne remplit malheureusement pas sa mission, il est loin d’être suffisant et ne fournit pas de solides garanties à l’étudiant bénéficiaire du tutorat. En effet, il arrive que certains étudiants volontaires au tutorat, peu regardants sur la morale, rompent le contrat au cours de l’année pour diverses raisons, certaines pouvant être toutefois légitimes. Dans tous les cas, l’étudiant handicapé est, permettez-moi l’expression, laissé sur le carreau, dans l’impossibilité et l’incapacité de poursuivre son année, de façon plus ou moins temporaire, le temps pour l’université de mettre en place une solution de remplacement.
- Le financement du transport
Ensuite se pose la question du transport. Dans le cadre de l’enseignement secondaire, d’un BTS ou d’une classe préparatoire par exemple, un transport du domicile de l’étudiant jusqu’à son lieu de formation est financé intégralement par le Conseil Général du département de résidence de celui-ci ou de ses tuteurs légaux, après une demande faite auprès de la Maison Départementales des Personnes Handicapées (MDPH). Hors de ce cadre, à l’instar d’études universitaires, ce financement disparaît et peut être remplacé par le versement d’une aide au transport prévue par la Prestation de Compensation du Handicap (PCH), dans la limite de 5 000 € sur 5 ans. La PCH, sur laquelle je reviendrai un peu plus tard, vient en complément de l’Allocation Adulte Handicapé (AAH), dont le montant s’élève au maximum à 790,18€[2] mensuel, auquel peut s’ajouter dans certaines conditions le complément de ressource (179,31€/mois) et/ou la Majoration pour la vie autonome (104,77€/mois)[3].
Quoi qu’il en soit, l’aide au transport ne permet pas de couvrir le coût du transport. L’étudiant et sa famille doivent donc payer la somme restante, à moins de faire appel à des associations possédant des fonds destinés à financer ce genre de projets. Cela nécessite toutefois d’engager de nouvelles démarches qui, à terme, donnent l’impression de toujours devoir demander pour obtenir.
Si elle était effective, l’accessibilité des transports communs, prévue par la loi handicap du 11 février 2005, permettrait non seulement de s’affranchir des sociétés de transports souvent déficitaires mais aussi de gagner en autonomie. On peut déjà citer comme avancée le service « Accès Plus » de la SNCF qui facilite le transport des voyageurs handicapés par l’accompagnement par des agents au départ et à l’arrivée du train. L’accessibilité des transports n’est assurément pas une idée insensée car cela pourrait bénéficier à d’autres comme les personnes âgées ou les femmes avec des landaus. Il s’agit de surcroît d’une idée universelle…
- La responsabilité de l’Etat
D’où ces interrogations qui demeurent sans réponses : Pourquoi ce désengagement de l’Etat dans l’accompagnement des étudiants en situation de handicap ? Comment se fait-il qu’un pays tel la France, vantant sur la scène internationale ses valeurs de solidarité et d’égalité, cette même notion reprise dans la devise de la République, abandonne après le baccalauréat des étudiants dont l’aspiration la plus profonde est de suivre des études supérieures comme les autres ? L’Etat et les partis politiques de tous bords sont-ils si obnubilés par des contingences économiques qui dépassent le commun des mortels, au point d’être unanimes pour ne pas agir en termes de handicap ? Ou bien sont-ils dans l’ignorance des réalités du terrain, ce qui serait, permettez-moi, un comble pour ce que les médias nomment des représentants du peuple ? Cette présente lettre a pour modeste vocation de mettre en lumière des problèmes concrets, en montrant l’urgente nécessité de faire évoluer la loi handicap qui se voulait ambitieuse à juste titre.
En avril dernier, j’ai adressé une lettre à la Ministre déléguée aux Personnes Handicapées et de la Lutte contre l'Exclusion, Marie-Arlette Carlotti, ainsi qu’à la Ministre de l’Enseignement supérieur, Geneviève Fioraso, dans laquelle je leur fais part de mes inquiétudes concernant la prise en compte des besoins particuliers relatifs à mon handicap dans la perspective d’une poursuite d’étude en université. Si, le cabinet de Madame Carlotti n’a pas donné suite à ma lettre, ce que je déplore vivement, en revanche le Ministère de l’Enseignement supérieur a formulé une réponse le mois suivant.
Ainsi, par la voie du sous-directeur de l’égalité des chances et de la vie des étudiants, la Ministre précise, je cite, que « la loi [dite handicap] du 11 février 2005 […] fait obligation aux établissements d’enseignement supérieur d’inscrire et de former les étudiants handicapés […] au même titre que les autres étudiants. A cet effet, la loi prévoit que ces établissements ont, le cas échéant, la responsabilité de mettre en œuvre, pour l’organisation, le déroulement et l’accompagnement des études, les aménagements requis par la situation spécifique des étudiants concernés. ».
L’Etat choisit la voie de la facilité en se cachant hypocritement derrière la loi pour rejeter la responsabilité sur les établissements d’enseignement supérieur, de la mise en place et par conséquent, du financement de ces aides spécifiques. Cette décharge est insupportable et injuste car elle crée une inégalité. En effet, l’accueil des étudiants handicapés est soumis à la capacité ou non pour l’établissement supérieur de financer et de mettre en place les aménagements spécifiques. Or, avec la conjoncture économique, peu d’établissements supérieurs osent le pari de cet accueil, par souci financier ou simplement par manque de volonté d’accompagner un projet pouvant se révéler complexe à mettre en œuvre. Si la seconde raison est dommageable, qui peut contester la première sans être considéré comme inconscient des réalités économiques ? Pourtant, d’une manière générale, j’estime que les aspects humains doivent primer sur les contingences financières,. La différence, découlant du handicap, est en soi déjà une épreuve extrêmement violente dans notre société basée sur le paraître pour qu’en plus s’ajoutent des obstacles économiques.
La lettre du Ministère de l’Enseignement supérieur se termine par cette phrase obscure : « Ainsi, si les aides dont vous disposez actuellement ne seront pas nécessairement reconduites suivant les mêmes modalités, les besoins particuliers dont vous faites état devront néanmoins, dans le cadre de la loi, continuer d’être prise en compte dans la suite de vos études supérieures pour assurer la compensation de votre handicap. ». Les aides doivent donc demeurer dans le supérieur mais l’Etat ne soutiendra pas financièrement les établissements.
- Le potentiel des étudiants handicapés
A bien des égards, plusieurs arguments me poussent à penser qu’il semblerait de bon sens de reconduire les aides existantes dans un cursus universitaire ou de grandes écoles. Tout d’abord, les étudiants ont besoin de savoir qu’une solution pérenne, c’est-à-dire durant le temps de leurs études, leur garantit un apprentissage dans les meilleures conditions. De plus, on mettrait fin aux inégalités d’accueil pouvant subsister lorsqu’un établissement supérieur ne peut ou ne veut pas financer ces aides. Pourquoi ne pas étendre aux études supérieures une solution qui, dans ma situation, a fait ses preuves depuis tant d’années ? Le déficit de la France est-il important au point de compliquer l’accès aux études post-bac en ne mettant pas tous les moyens nécessaires ? Et puis, les plus comptables de ce pays, ceux qui ne peuvent s’empêcher de réfléchir avec une calculatrice, estimeront que l’investissement est bien trop conséquent pour un public évidemment restreint. Il faut reconnaître qu’un petit nombre d’enfants handicapés parvient à suivre des études jusqu’au baccalauréat. Ainsi, on dénombre 11 000 étudiants présentant un handicap qui suivent une formation à l’issue de ce diplôme, soit moins de 1% de l’ensemble des étudiants. D’un point de vue arithmétique pure, ils représentent donc une part infime. Les pouvoirs publics rechignent de ce fait à mettre des moyens pour un résultat invisible. Leur raisonnement pourrait se résumer comme tel : investir pour un petit nombre d’individus n’est pas intéressant, déléguons de façon légale cette responsabilité aux écoles supérieures.
Cependant, on peut faire le choix de raisonner de façon inverse. Partons de l’hypothèse qu’un certain nombre d’élèves handicapés, face à des obstacles d’ordre financier et donc matériel, se découragent et abandonnent leur projet de poursuite d’études. La dimension psychologique d’une telle aventure est éminemment importante car cela implique de grands bouleversements dans la vie d’un jeune adulte, devant de surcroît vivre avec son handicap. Il est, en conséquence, primordial de lui proposer des solutions fiables et durable et lui permettant d’effectuer ses études dans les meilleures conditions. Selon moi, seul l’Etat peut garantir à long terme la pérennité d’un tel système, de façon équitable. De plus, on peut supposer que l’instauration de ce système encouragera les étudiants en situation de handicap puisque des solutions leur seront présentées pour permettre de les accompagner tout au long de leurs études. On peut ainsi penser qu’on réduirait le nombre d’étudiants handicapés qui arrêtent prématurément leurs études, faute de solutions adéquates.
Raisonner de façon inverse, c’est aussi prendre conscience du potentiel de ces personnes handicapées. Ce sont autant d’actifs possibles pouvant tenir un rôle dans l’économie du pays. Qu’importe la capacité de travail de cet actif, on stimulerait de fait l’inclusion des personnes handicapées dans la société en les amenant sur la voie de l’autonomie. Par effet de dominos, plus d’individus en situation de handicap sur le marché du travail impliquerait une augmentation de leur pouvoir d’achat et par conséquent une relative indépendance financière. Des économies pourraient également être observées concernant les prestations sociales, du fait de l’existence d’un revenu régulier.
En filigrane se pose donc évidemment le problème de l’emploi des personnes handicapées. Cette catégorie est touchée, de facto, par le chômage avec un taux atteignant 20% lorsque la moyenne nationale tourne autour de 10%. Si la frilosité des entreprises, en raison de la crise économique actuelle, peut expliquer ce taux extrêmement élevé, ce n’est pas la seule raison. En consultant les offres d’emploi et de stages sur le site Hanploi, on se rend compte qu’il existe des entreprises prêtes à recruter des individus en situation de handicap. Cependant, dans la plupart des cas, un niveau d’étude post-bac est requis pour prétendre à l’offre. Il est donc plus que nécessaire de donner les moyens à ces étudiants de pouvoir acquérir ce niveau d’étude et d’encourager et faciliter leur emploi.
- Les aménagements des examens
Je veux à présent aborder la question des aménagements des examens. Il faut savoir que tout élève reconnu par la MPDH comme étant en situation de handicap ou présentant un trouble de santé peut, s’il en fait la demande, bénéficier de divers aménagements (tiers-temps, secrétaire, agrandissement des sujets, etc).
- le tiers temps, un aménagement complexe à mettre en œuvre…
Le tiers temps est l’aménagement le plus généralement accordé. Cela consiste en la majoration de la durée de l’épreuve équivalant à un tiers de celle-ci. On ajoute donc 20 minutes par heure d’épreuve. Néanmoins, si ce système paraît équitable pour des épreuves de 1 ou 2 heures, il se révèle être pervers et inadapté pour des épreuves longues. Pour une épreuve de 4 heures par exemple, la durée du tiers temps est de 1 heure et 20 minutes, soit une durée totale d’épreuve de 5 heures et 20 minutes. Je vous mets au défi, vous homme ou femme politique, journaliste ou membre associatif, de composer pour un examen pendant 5h20. Vous vous rendriez compte de l’endurance nécessaire pour tenir. Alors, quand on sait qu’un candidat en situation de handicap est plus sensible à la fatigue qu’un élève valide, l’examen devient aussi une épreuve physique, en plus du stress que confère tout examen. Et si, en plus d’une épreuve de 5h20 le matin s’ajoute une autre épreuve de 2h, dont 40 minutes de majoration, on arrive à un total ahurissant de 8 heures d’épreuve dans la même journée pour des candidats assujettis plus ou moins fortement à la fatigue. En prenant en compte l’heure légale qui doit séparer normalement la fin d’une épreuve et la fin de la seconde, le candidat peut être contraint de rester 9 heures dans le centre d’examen.
Ce système de tiers temps, bien que voulant atténuer les inégalités qu’engendre un handicap devant un examen, a été vraisemblablement pensé en dépit de toutes considérations de fatigabilité propre à nombre d’élèves bénéficiant de celui-ci.
On peut également ajouter que cet aménagement complique grandement l’organisation matérielle d’un centre d’examen. Il arrive même que, dans certains cas, il ne soit tout simplement impossible de mettre en œuvre le tiers temps car cela impliquerait que la durée de composition d’une épreuve déborde sur la suivante. Or, sauf dans les films de science-fiction, personne ne peut être présent à deux épreuves au même moment.
- … amenant des situations ubuesques.
Pourtant, ce cas est survenu pour les candidats au baccalauréat Economique et Social en juin 2013. Ainsi, pour l’épreuve de Sciences Economiques et Sociales avec comme spécialité Sciences Sociales et Politiques durant 6h40 dont 1 heure et 40 minutes de tiers temps, les candidats concernés devaient composer de 8h à 14h40. Or, ils étaient aussi convoqués à l’épreuve de seconde langue vivante à 14h, pour une durée totale de 2h40 dont 40 minutes de majoration. Par conséquent, les deux épreuves se chevauchaient.
Des recours ont été adressés au Ministre de l’Education Nationale, Vincent Peillon. Dans un premier temps, le Ministre a évoqué la possibilité de faire débuter l’épreuve d’économie et sociale à 7h au lieu de 8h, ou bien de reporter l’une des deux épreuves en septembre, en même temps que celles de rattrapage. Les candidats et les associations concernés n’ont, à juste titre, pas été satisfaits par ces propositions. Finalement, le Ministre a décrété que désormais, les candidats ne pourront plus composer plus de 8 heures dans une journée et ce, quelles que soient les majorations de temps accordées. De ce fait, les candidats concernés ont été contactés par leur rectorat afin de choisir de suivre le calendrier initial ou de reporter l'une des épreuves du 20 juin, le samedi 22 juin.
Plusieurs faits me dérangent dans cette affaire. A ma connaissance, aucun média n’a rapporté que le Ministre de l’Education Nationale ait reconnu une erreur de la part de la commission ministérielle chargée de définir les calendriers d’examens. Au fond, cela révèle l’hypocrisie insupportable des pouvoirs publics qui, au-delà des formules de bonnes intentions à visée électoraliste, proposent des solutions sur le papier en matière d’aménagement d’examens sans en vérifier s’il est possible ou non de les mettre effectivement en œuvre. On incite également implicitement les candidats à choisir le report d’une épreuve au samedi dans la mesure où il est impossible en l’état de composer aux deux, à moins de renoncer à une partie de son tiers temps. Par conséquent, on force les candidats et le personnel surveillant à venir une demi-journée supplémentaire, de surcroit un samedi, à cause d’une erreur de calendrier commise par le Ministère ! Par ailleurs, on rompt l’équité entre les candidats car ce report implique que les élèves concernés planchent sur un autre sujet que celui proposé nationalement. Je regrette enfin que les médias, en particulier les chaines d’informations en continu, n’aient pas jugé pertinent de relayer cet incident.
- Un sujet équivalent, une solution ?
On peut se demander si l’une des solutions pour répondre à ces problèmes matériels serait de proposer un sujet équivalent, pouvant être réalisé dans le temps imparti de l’épreuve, sans majoration.
La question s’est posée dans mon cas, lorsque j’ai passé le baccalauréat en 2011. En effet, l’épreuve de géographie, dans sa configuration dite « mineure », est présentée sous forme de carte à remplir. Du fait de ma situation de handicap, je ne peux pas réaliser cette épreuve en l’état. Bien que je compose mes examens sur ordinateur, aucun logiciel ne m’offrait la possibilité de reproduire la carte numériquement. De plus, la possibilité de dicter des indications à un secrétaire qui réaliserait la carte à ma place était complexe en raison de mes problèmes d’élocutions et de la complexité à décrire oralement les phénomènes géographique à représenter. C’est pourquoi, lors d’une réunion d’Equipe de Suivi de Scolarisation[4] (ESS), la question est abordée, dans le cadre de la demande d’aménagements pour les épreuves du baccalauréat. Est-il possible de remplacer le sujet de cartographie de l’épreuve de géographie par une étude de documents portant sur le même sujet d’étude ? Le cas semble inédit et les institutions (MDPH, Rectorat) totalement prises de court par une hypothèse visiblement non envisagée jusque-là. Le baccalauréat étant un examen national, impossible de faire une demande de sujet équivalent sans rompre son sacro-saint (et fictif !) caractère équitable. Cependant, il semble ridicule de me soumettre une épreuve que je ne peux physiquement pas réaliser. Finalement, le rectorat m’accorde la possibilité de « remplacer l’exercice de réalisation d’un croquis de géographie par une composition d’une page »[5], sans pour autant préciser la forme de l’exercice de substitution. C’est dans ces conditions qu’à chaque examen blanc au cours de l’année je m’entraîne sur un exercice de type étude de documents.
Le jour de l’épreuve d’histoire-géographie, c’est effectivement l’exercice de la carte qui est posé en géographie. Au moment de recevoir le sujet, mon secrétaire et moi-même vérifions immédiatement que le sujet équivalent a bien été prévu. Ce n’est, de toute évidence, pas le cas. Branle-bas de combat, toutes les enveloppes des sujets examinées pour rechercher le sujet éventuellement égaré. Coup de fil au rectorat pour signaler l’incident et demander une solution d’urgence. En réponse, on m’invite à expliquer de façon littérale l’un des deux sujets de cartographie… Pas simple lorsque, dans le stress de l’examen, je n’ai jamais été préparé à cela. Et par conséquent, cela pose la question de l’exigence en l’occurrence bien floue attendue par l’examinateur non habitué à évaluer ce genre d’exercice. Heureusement, la note d’histoire-géographie influencera peu dans le résultat final.
- La question de l’autonomie
Enfin, j’aimerais évoquer le sujet de l’autonomie. La vie étudiante implique le début de la vie autonome. C’est une étape génératrice d’angoisse pour beaucoup d’étudiants du fait du nombre important de changements que cela suppose. Un pas de plus vers la vie d’adulte, de citoyen. Le handicap apporte nombre d’obstacles supplémentaires. Pour être concret, je me prends en exemple. Ainsi, dans mon projet d’autonomie, j’ai besoin d’un logement nécessitant quelques aménagements matériels (douche adaptée principalement). Des aides humaines me sont également nécessaires dans l’accomplissement des tâches de la vie quotidienne.
Je m’arrêterai précisément sur ce point. La PCH présente plusieurs volets selon la nature de l’aide à financer (humaine, technique, transport). Le coût de l’aide humaine peut être donc partiellement ou intégralement couvert par la PCH. Pour en définir le montant, une évaluation de l’autonomie est réalisée par un intervenant (ergothérapeute ou infirmière) de la MDPH au cours de laquelle sont recensées toutes les tâches de la vie quotidienne nécessitant l’aide d’une tierce personne.
On peut déjà dénoncer la lourdeur administrative de la MDPH laissant peu de place pour l’imprévu puisque dans cette logique, chaque acte est catégorisé et défini par une durée moyenne selon le type général du handicap. On aboutit à un système rigide, s’éloignant trop souvent de la volonté initiale du besoin d’individualiser les réponses. De plus, il existe des actes non répertoriés qui, de fait, ne sont pas finançables par la PCH. On aboutit à des situations dénuées de bons sens. Ainsi par exemple, si la prise de repas est considérée comme un geste d’aide à l’autonomie, la préparation des repas et les principaux actes d’entretien n’entrent tout simplement pas en compte dans le financement de la PCH, étant considérés comme des tâches ménagères. En clair, l’aide humaine n’est pas habilitée à effectuer ces gestes. C’est du ressort d’une aide-ménagère, dont le coût est imputable au bénéficiaire de la PCH.
Par conséquent, Il est nécessaire de mettre fin à ces situations absurdes en considérant ces gestes dits ménagers comme faisant partie intégrante du projet d’autonomie et devant être effectivement financés par la PCH. C’est une mesure qui relève exclusivement du bon sens, faculté qui manque parfois cruellement à certains bureaucrates, peu conscients des réalités.
En dépit de ces problèmes évoqués, je tiens toutefois à témoigner de la chance jusque-là de mon parcours. Aussi étonnant que cela puisse paraître, je me considère comme un privilégié. En effet, jusqu’à présent, j’ai toujours bénéficié des aides dont j’avais besoin. Il faut ainsi reconnaître à l’ensemble des aides le mérite d’exister et saluer tous les professionnels qui se battent pour améliorer le quotidien des personnes handicapées. Ainsi, le sens de ma lettre est double : écrire pour tous les enfants handicapés et leurs parents qui n’ont pas la même chance et qui sont dans une grande détresse. Ecrire également en ayant l’humble ambition de faire progresser l’accompagnement des personnes en situation de handicap.
- Au terme de ma lettre, j’appelle de tous mes vœux les actions suivantes :
- L’évolution de la loi handicap du 11 février 2005 par le législateur afin d’étendre et généraliser aux études supérieures le dispositif permettant d’affecter un Auxiliaire de Vie Scolaire à un étudiant en situation de handicap, et ce dans les plus brefs délais. Je me félicite déjà de l’annonce du Premier Ministre le 22 août dernier de la création d’un véritable statut de titulaire pour les AVS, qui jusqu’à présent ne pouvaient exercer ce métier au plus 6 années. Désormais, les AVS seront engagés en Contrat à Durée Indéterminée et bénéficieront d’une formation renforcée autour de l’approche du handicap. Si ce projet devient effectif, ce serait une avancée notable dans l’accompagnement des élèves en situation de handicap car on reconnaîtrait enfin qu’il peut s’agir là d’un véritable choix de carrière.
- Le renforcement et la systématisation d’instances de réflexion sur les aménagements d’examens et plus largement sur la scolarité des enfants handicapés, dans laquelle siègent aussi bien des représentants ministériels que des acteurs confrontés à la réalité (enseignants, intervenants de services de soins, parents et personnes handicapées). D’une manière générale, largement, il faut renforcer le lien et le dialogue entre les institutions (Rectorats, Ministères) et ceux qui vivent et appréhendent les problèmes concrets afin d’orienter au mieux la politique globale du handicap.
- L’organisation, sur le très long terme (une décennie si il le faut), de campagnes et de rencontres publiques menées par les associations autour du Handicap et de la Différence. Ainsi, comme Philippe Croizon le souhaite, ériger le Handicap comme grande cause nationale au cours de votre mandat en serait le point de départ. Le Handicap est encore un sujet tabou dans notre société car des clichés sont inscrits dans la mémoire collective. Cependant, je suis convaincu que ce n’est pas une fatalité. La Différence est en soi la principale caractéristique de tout être humain. Il faut affirmer sans faux-semblants que cette Différence ne doit pas être source d’angoisse mais élever au rang de richesse dans les relations humaines. C’est une démarche indispensable pour que notre pays emprunte la voie d’une société plus tolérante.
L’Egalité des Chances, notion reprise par les gouvernements successifs, est pour l’heure une vaine utopie. Faisons en sorte de transformer cette ambition en actions concrètes.
M. Timothé PENISSON
[1] Classe pour l’Inclusion Scolaire : l’objectif de ce dispositif est de permettre à des élèves en situation de handicap de suivre totalement ou partiellement un cursus scolaire en milieu ordinaire.
[2] Montant en dessous du seuil de pauvreté évalué à 814€ mensuel.
[3] Montants issus du site de la Caisse d’Allocation Familiale.
[4] Réunion où se réunissent autour de l’enseignant référent de la MDPH différents acteurs de mon projet scolaire (enseignants, intervenants du service de soins, parents et moi-même)
[5] Extrait des aménagements d’examens accordés par le Rectorat d’Amiens.
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