Montauban, Toulouse et quelques questions...
Le drame de Montauban et Toulouse pose des questions graves à l'ensemble de la société française. Et certains le sentent bien qui essaient de transférer la responsabilité à... l'autre. C'est un demi aveu. Ou qui essaient de mettre en avant le "cas" psychiatrique ou la fatalité. Ceci n'est pas complètement faux mais n'explique pas tout.
Questions posées à la société française mais la France n'a pas l'exclusivité de cette violence. Ce drame n'est qu'un nouveau maillon de la chaîne meurtrière qui touche la France (ce n'est pas la première fois) comme d'autres pays occidentaux : des Etats-Unis à la Norvège en passant par l'Allemagne ou le Royaume-Uni.
Essayer de comprendre ce que révèlent de tels événements. Ce qu'ils ont de singulier. Ce en quoi, ils traduisent une maladie de la société. Comprendre est particulièrement difficile car les informations sont filtrées, volontairement ou non., la période électorale accentuant le phénomène.
Les faits ont rarement une cause unique, surtout quand ils ont une telle gravité. Et ce n'est pas vouloir masquer les problèmes que de chercher les facteurs intriqués qui ont pu jouer au niveau psychologique et au niveau social.
Il ne fait pas de doute qu'il faut être profondément déséquilibré pour en arriver à ces meurtres que ce soit à Toulouse, à Montauban ou ailleurs... Mais ces actes sont situés dans une histoire individuelle et dans une histoire collective qui ont permis, favorisé ou poussé le passage à l'acte.
L'histoire individuelle : Mohamed Merah fait partie de ces jeunes qui, pour de multiples raisons, personnelles, familiales, sociales ne trouvent pas une place ou la place qu'ils espéraient dans la société et versent dans la délinquance. Comme des centaines d'autres. Comme les autres jeunes de son âge, il aimait aller en boite, il aimait le foot et les voitures... Comme des milliers d'autres, il ne devait pas entrevoir la possibilité d'un avenir. Qu'il a peut-être cherché dans l'armée qui, connaissant ses antécédents, n'en aurait pas voulu. Qu'il a cherché en Afghanistan où il aurait reçu un entraînement individuel sans formation idéologique bien poussée.
Ces enfants de nulle part, et quelquefois de personne car ils ont échappé à des familles dépassées, sont dans des situations désespérées qui ne justifient rien mais qui expliquent que les plus intimement cassés peuvent être la proie de recruteurs intéressés.
Enfant de nulle part : si Mohamed Merah était passé en assises, sa vie aurait été décortiquée, contradictoirement, pour essayer de trouver les failles psychologiques et les facteurs ayant joué de ces failles. Sans procès, ce sont des jugements rapides et souvent intéressés, qui sont avancés. Inconscients, dans le meilleur des cas, quand ils mettent en question la double nationalité, situation de millions de personnes en France. Et pas seulement de franco-algériens. Nationalité "à part entière" refusée, dans la vie quotidienne, refus involontairement rappelé quand il est question de "militaires musulmans, en tout cas d'apparence, puisque l'un était catholique", refus ressenti quand l'armée le rejette même si ce rejet est justifiable. Refus encore quand l'Algérie impose la nationalité à tous les enfants de ses ressortissants nés à l'étranger, mais lui refuse un lieu de sépulture... Double nationalité ou double demi-nationalité quand aucune n'est , normalement, quotidiennement reconnue.
Quel est le facteur précis, événement, argument, personne, qui a activé le déclic...
Une chose est sûre : il avait des armes. Comment se les est-il procurées ? Avec quel argent ? Depuis quand ? Est-ce particulièrement facile pour un petit délinquant d'avoir autant d'armes ? Au nez et à la barbe d'une police qui est chargée de le surveiller ?
D'autre part, il n'a pas improvisé ses actions sur un coup de tête : il avait les armes, il a filmé et il a visé deux types de populations bien précis : des militaires et des juifs.
Il a expliqué son action par son opposition à la participation de l'armée française à la guerre en Afghanistan. Mais qu'avaient à voir ces militaires avec l'Afghanistan ; il aurait pu être l'un deux, si l'armée l'avait recruté !
Il a tué des enfants juifs par solidarité avec les enfants palestiniens. Mais qu'avaient à voir ces enfants avec les enfants palestiniens. Si ce n'est qu'ils étaient des enfants ? Ils étaient juifs ? Et pour certains, ce ne serait pas du racisme...
Heureusement, tous ceux qui sont opposés à l'intervention militaire ou sont solidaires des enfants palestiniens n'en tirent pas de telles conséquences. C'est là où ont joué des influences qui ont condamné à mort des jeunes militaires et des enfants.
Heureusement, l'engrenage du racisme réciproque ou généralisé ne s'est pas enclenché malgré la gravité des faits, malgré le nombre de morts, malgré l'emballement des médias en recherche permanente du sensationnel, malgré quelques sirènes. La population a refusé de se laisser entraîner dans le cercle infernal où certains ont vu la misérable possibilité de gagner quelques voix.
Il n'est pas question de porter quelque jugement que ce soit sur les méthodes policières. C'est du ressort d'une éventuelle commission d'enquête qui pourra répondre à la question que se pose Alain Juppé sur une faille éventuelle. Il semble que le travail policier a été conduit sous l'autorité directe du ministre de l'Intérieur qui aurait imposé le tempo à la demande du président de la République.
Il est cependant permis de juger la parole politique des politiques.
Quels mots utiliser pour désigner, en ce moment de gravité, de solidarité, d'unité nécessaires, le comportement des plus hauts responsables. Propos peut-être maladroits, quand il est question de soldats en apparence musulmans ? Quelquefois trop habiles, quand il s'agit de fuir les responsabilités ?
C'est la politique sécuritaire de Nicolas Sarkozy qui a été tenue en échec : responsable de la sécurité depuis 10 ans, comme ministre de l'Intérieur d'abord, président de la République ensuite, détenteur de tous les pouvoirs, législatif, exécutif..., à l'origine de multiples lois circonstancielles qui devaient assurer la sécurité des Français, il trouve le moyen de discourir au lieu de s'incliner en silence devant l'échec de sa politique dans son "domaine préféré". Il est probablement impossible d'assurer la sécurité de tous de façon absolue. Mais était-ce nécessaire de mettre en cause l'opposition alors même que la police a utilisé des lois qui avaient été mises en place par celle-ci.
Si les paroles du président n'ont pas toujours été très heureuses, d'autres ne l'étaient guère plus. Ainsi celle du ministre de l'intérieur, Claude Guéant, le 26 mars, devant la Grande synagogue de la Victoire à Paris : « Je suis venu m'associer à la peine qu'éprouve toute la communauté israélienne de France, une peine qui est partagée par tous les Français que je représente ce soir. ». La communauté israélienne de France !!!
Les multiples déclarations du président de la République Sarkozy ou de ses ministres (communauté israélienne, militaires ou préfet musulmans, nationalité du jeune entrepreneur de Villiers le Bel, roms, "auvergnats"...), la mise en place d'une législation de plus en plus dure contre les étrangers (conduisant même à la remise en cause, verbale, de traités signés par le France) témoignent de la piètre idée que Nicolas Sarkozy se fait de la France et du rôle de président de la République dans sa volonté désespérée pour échapper à ses responsabilités et arracher sa réélection.
D'après les sondages, la majorité des électeurs n'est pas dupe des manoeuvres. La volonté de dresser les pauvres contre les plus pauvres ne passe pas facilement. Ce que demandent les électeurs c'est un débat qui porte non sur l'immigration ou la sécurité mais sur les difficultés qu'ils rencontrent au jour le jour, sur les questions économiques et sociales.
La politique de sécurité n'est pas leur première préoccupation. Elle ne passe pas par des déclarations sécuritaires et des attaques contre la,justice associées à la diminution du nombre de fonctionnaires de police, à la multiplication des officines privées, à la suppression de la police de proximité...
Elle nécessite surtout que personne ne se sente exclu, a priori, et que chacun trouve sa place dans la cité.
PS : à titre de bonus, un passage de l'article de l'ancien ambassadeur d'Israël en France, Elie Barnavi
Bien sûr, la France n'en a pas fini avec les séquelles de l'affaire de Toulouse. Le pire pour elle serait de s'en tenir, au-delà des questions immédiates de police, de renseignements et de contrôle les éléments extrémistes, à sa dimension politicienne. Celle-ci est, hélas, inévitable, surtout en pleine campagne présidentielle où chacun évalue, quoi qu'il en ait, l'impact de la tuerie sur les chances de son camp. Mais elle n'a aucun intérêt. Aux Français de réfléchir aux causes profondes de la tragédie et aux manières d'en prévenir de semblables à l'avenir. Car il y a bien une fracture au sein de leur société. Tout le monde voit que leur modèle républicain d'intégration, dont ils étaient légitimement fiers, bat de l'aile. Ce modèle égalitaire et universaliste, c'est-à-dire aveugle aux déterminismes de la naissance, a des ennemis fanatiques et des défenseurs mous aux armes rouillées. Comment le restaurer, tel est le grand défi de notre temps. Dans ce combat, l'antisémitisme n'est que l'un des éléments du front. ("Entre Toulouse et Jérusalem")
12 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON