Morale molle et ambitions dures
Sarko facho ? Un nouvel avatar de cette drôle de campagne d’entre deux tours où les deux finalistes n’hésitent pas à racoler ouvertement sur la place publique les électeurs du Front national.
Nicolas Sarkozy comparé à Philippe Pétain dans "L’Humanité", les partisans du Président sortant traités de "fascistes" par une partie de la gauche alors que le fascisme n’aurait évidemment jamais organisé aucune élection présidentielle sans avoir son supposé "duce" comme favori…
L’excessif est insignifiant. Tout, dans cette campagne du second tour de l’élection présidentielle est insignifiant. La cause est bien connue, les presque 18% de l’électorat qui se sont jetés à corps perdus dans les bras de Marine Le Pen au premier tour.
Oui, la campagne du second tour est puante, du reste comme celle du premier tour, où l’on met en exergue les plus bas sentiments, ceux d’un repli sur soi plutôt que d’une ouverture d’esprit. Ceux de la rancœur plutôt que de l’espoir. Ceux d’un passé révolu plutôt que d’un avenir qui risque encore à inventer.
Oui, il y a une volonté clairement affichée de récupération des électeurs du Front national à tel point qu’on aimerait mieux entendre l’humoriste Anne Roumanoff qui a lâché le 24 avril 2012 sur Europe 1 avec malice : « Est-ce que quelqu’un peut dire à Marine Le Pen qu’elle a perdu au premier tour de l’élection présidentielle ? ».
Des deux candidats finalistes, l’un racole gros comme un bateau, et l’autre… ce n’est pas mieux si ce n’est un peu plus subtil. À peine.
Non, la patrie n’est pas en danger sur ce sujet des valeurs : la France a toujours été la France et le restera, que ce soit sous une Présidence Sarkozy ou sous une Présidence Hollande. Pour quelques jours encore, chacun se bat comme un chiffonnier pour atteindre le Graal, ou le garder.
Non, en effet, les deux finalistes ne parlent pas de l’enjeu crucial de cette élection présidentielle, à savoir ce qui les différencie dans le traitement de la crise qui secoue durablement le monde, de leurs moyens pour réduire le chômage, de leurs propositions pour désendetter rapidement l’État.
La gauche, qui s’apprêterait à prendre le pouvoir dans quelques jours (selon les sondages) a une grande responsabilité, celle de ne jamais avoir admis pendant cette campagne la réalité de la crise mondiale et de faire croire que le chômage, la perte de la croissance et (en ricochet) l’aggravation des déficits dans les quatre dernières années n’étaient que la conséquence d’une politique (probablement très impuissante) du pouvoir sortant.
Ce déni de réalité sur le diagnostic, sur la cause profonde du chômage, de la précarité, de la pauvreté en France, aura de lourdes conséquences dans les prochains mois et pourrait vraisemblablement mener à la catastrophe financière.
La flamme de Marine Le Pen n’est pas prête de s’éteindre dans les prochaines années avec de telles inconséquences, quelle que soit l’issue du 6 mai 2012, parce que les deux candidats ont crédibilisé la démagogie véhiculée par ses idées.
Sur le plan des valeurs républicaines, aucun des deux candidats ne vaut plus que l'autre. Ils sont tous les deux focalisés sur les seulement 6,5 millions d’électeurs du FN alors qu’ils devraient parler aux 46 millions d’électeurs inscrits. Les deux auraient dû faire preuve de fermeté face aux thèses simplistes d’une vision de la nation étriquée, peureuse et recroquevillée sur elle-même.
Dominique de Villepin, qui se réveille bien tardivement (après le premier tour !), a raison lorsqu’il a désapprouvé formellement la course aux surenchères dans une tribune au journal "Le Monde" le 27 avril 2012 : « Les lignes rouges républicaines sont franchies une à une [dans] le débauchage sans vergogne des voix extrémistes. (…) La dérive électoraliste qui s’est engagée est un processus incontrôlable et sans fin. Une concession en entraînera toujours une autre. Un gage à l’extrémiste toujours un plus grand encore. Une digue rompue en fera céder une autre. ».
L’ancien Premier Ministre a expliqué : « Je ne supporte pas l’hystérie générale qui s’est emparée de l’élection dans laquelle le peuple français est pris en otage par six millions d’électeurs en colère. (…) Le FN n’est que le produit dérivé [du] mensonge généralisé. » pour conclure : « Aujourd’hui, c’est vrai, la droite m’effraie, mais la gauche m’inquiète. ».
Au Raincy le 27 avril 2012, Nicolas Sarkozy a joué avec les mots et a rappelé qu’il n’avait pas fait une seule nouvelle proposition depuis le soir du premier tour et donc, que son programme n’est pas du tout dépendant du score de Marine Le Pen. Cela n’empêche qu’il a plus insisté sur des thèmes comme l’immigration, le droit de vote des étrangers, la viande halal ou encore la burqa que sur les moyens de réindustrialiser la France.
Mais François Hollande ne vaut pas mieux sur ces valeurs républicaines, et j’aurais même tendance à dire qu’il a négocié un virage à droite bien plus accentué que Nicolas Sarkozy.
Sur France 2 le 26 avril 2012, il a refusé de répondre à la question (à mon sens stupide) s’il y avait trop d’étrangers en France. Il a refusé de dire non, il a refusé de dire que cette question était stupide, pire, il est plutôt allé dans le sens du FN et de Nicolas Sarkozy en acceptant l’idée sous-jacente que les immigrés avaient une part de responsabilité dans les problèmes du chômage que connaît la France actuellement.
Sur RTL le 27 avril 2012, François Hollande a ainsi souhaité la réduction du nombre des immigrés entrant sur le territoire : « (…) Il y a aura toujours une immigration légale. Est-ce que l’on peut réduire le nombre ? C’est le débat. » et il a même précisé qu’il était favorable à la diminution d’un tiers de l’immigration économique (de 30 000 à 20 000) alors que son concurrent est partisan d’une diminution de moitié.
Un tiers, une moitié, finalement, le principe reste le même, on veut réduire l’immigration pour racoler voix du FN et c’est clair que François Hollande, qui n’a jamais parlé d’immigration pendant sa campagne du premier tour (son programme n’indique que cette phrase creuse : « Je sécuriserai l’immigration légale. », la bonne affaire !), a maintenant des points de vue très peu dissemblables par rapport à son rival présidentiel sur le sujet.
Ce n’est pas moi qui parle de virage à droite pour François Hollande. Le journaliste Samuel Laurent a écrit dans "Le Monde" du 27 avril 2012 un article intitulé « François Hollande durcit le ton pour parler à l’électorat FN » avec comme premiers mots : « Virage à droite pour François Hollande ? ».
De son côté, Christophe Guilluy, spécialiste de géographie urbaine proche de Jean-Pierre Chevènement, interviewé par "Le Figaro" le 25 avril 2012, est encore plus éclairant : « Je pense que jamais encore il n’y avait eu un appel aussi clair aux électeurs FN de la part d’un candidat du PS. (…) Un Front national à 18% et un Nicolas Sarkozy à 27%, dont la campagne a repris à son compte le thème du retour des frontières, cela fait beaucoup de gens qu’il faut taxer de fascisme. ».
Il est même allé plus loin en estimant que le candidat de l’UMP avait évité le pire : « (…) Nicolas Sarkozy n’avait pas d’autre solution que de s’adresser à un électorat qui est sur le front de la mondialisation et qui n’est pas protégé contre elle. Les deux partis de gouvernement ont pour le moment des bases électorales, les retraités pour Sarkozy et les salariés du public pour Hollande, qui sont protégés de la mondialisation. Si Sarkozy n’avait pas abordé ces thématiques lepénistes, le Front national serait à 25%. ».
D’un côté, il y a un petit enfant un peu trop agité, indiscipliné, qui met les doigts dans le pot de confiture et qui, tout barbouillé encore de la bouche, vous assure qu’il n’a rien fait de mal ; et de l’autre côté, il y a ce grand frère un peu trop sage pour être sincère, pas rigolo du tout (malgré son naturel, il cache bien son jeu), et qui vous dit qu’avec lui, vous vous réenchanterez par l’opération du saint Esprit, sa seule présence à l’Élysée imposant aux sirènes de la croissance de faire jaillir la prospérité retrouvée.
Les deux candidats sont dans une lutte acharnée pour garder ou conquérir le pouvoir avec des enjeux qui n’ont rien à voir avec l’intérêt général. Et encore moins avec la morale républicaine.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (30 avril 2012)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Prime aux plus ambitieux.
Le pacte de croissance.
L’impopularité présidentielle.
La limace et la hyène.
Racolage des électeurs du FN.
Sarkozy, un dictateur ?
Premier tour.
Bilan.
Droit de vote des étrangers.
Interview de Christophe Guilluy ("Le Figaro", 25 avril 2012).
Article de Samuel Laurent ("Le Monde", 27 avril 2012).
Tribune de Dominique de Villepin ("Le Monde", 27 avril 2012).
Anne Roumanoff et Marine Le Pen (Europe 1, 24 avril 2012).
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