Mort de la vie politique ?

Les élections régionales ont connu une abstention sans précédent. Moins d’un Français sur deux aux urnes. La vie politique semble s’être évaporée dans on ne sait quelle étrange époque. C’est très moderne. Leo Strauss pensait que la pensée politique moderne avait rompu avec la tradition classique en prenant une distance avec la vie politique. Contrairement à Platon et Aristote, très au fait de la citée, ses citoyens et gouvernants, les philosophe moderne regardent le pouvoir et la nation avec distanciation. N’a-t-on pas constaté ces derniers temps une distanciation, cette fois entre les élites dirigeantes et la vie civile ? Un pas aurait été franchi. Nous projetant carrément dans la post-modernité. Et ce au cours d’un processus lent dont les effets progressifs ne se voient qu’en usant de la loupe temporelle, autrement dit en regardant 30 ans en arrière. Le déclin du pacte social politique s’est déroulé après 1980, avec un virage très serré en 1990. Comme un phénomène de société n’arrive jamais seul, l’effritement du politique a coïncidé avec la perte d’influence des syndicats. Excepté dans le public, le taux de syndicalisation dans le privé est très faible en France. Il n’a cessé de baisser et se trouve bien en deçà des taux observés dans des pays plus nordiques, comme la Suède ou l’Allemagne. Les raisons sont connues. L’entreprise allemande possède une tradition d’intégration des niveaux, contrairement à l’entreprise française où une fracture se dessine entre management supérieur et niveaux de travail et d’encadrement. Du coup, le commandement paraît éloigné de la base. C’est un peu pareil en politique. Les chefs locaux et nationaux oeuvrent en fonction des chiffres plutôt que des hommes. Ils sont tels des managers le nez sur le guidon à la poursuite des résultats.
Etrange. Les Socialistes disent que s’ils ne sont pas élus dans les régions le 21 mars, ils ne pourront pas s’opposer à la politique de rigueur du gouvernement. D’abord, il n’y a pas de rigueur à l’ordre du jour et puis le jour où le gouvernement ne pourra plus reculer, comme en Grèce, les régions ne pourront rien faire. Le système est verrouillé. Il n’y a plus de marge de manœuvre financière mais des manœuvres de manipulation de l’opinion. La politique se joue actuellement avec une bonne dose de manipulation. L’électeur fait semblant d’y croire ou bien vote par sympathie envers une couleur de parti. Rares sont ceux qui sont convaincu de l’action positive de l’action politique, locale ou nationale. L’époque est au désenchantement. Les gens sont désabusés.
Le système est devenu trop fort pour que les politiques puissent intervenir, du moins dans le sens d’une action publique associant équitablement tous les citoyens. L’évolution vers l’hyper économique a engendré une profusion d’objets, de gadgets, de profits particuliers, mais elle a asséché la société de sa vie politique. C’est chacun pour soi, mais aussi beaucoup d’individus impliqués dans des associations, venant en aide aux plus démunis, et ce, en pratiquant le bénévolat. C’est en vérité le dernier ciment social capable de limiter l’effondrement de la société civile. Et pour chaque acteur, c’est du concret. Il perçoit en temps réel le résultat de son action, pas comme quand il vote et que tout se décide dans des cénacles entre notables jouant de la langue opaque des experts et autres gestionnaires.
La vie politique se meurt lentement. Cet événement mérite un livre à lui tout seul. L’Etat providence tend à devenir l’Etat des dividendes pour les hauts profits, mais aussi l’Etat thérapeutique pour soigner et colmater les maux collatéraux. C’est important, cela ! Un journaliste israélien se demandait combien de victimes collatérales de Tsahal les gouvernants seraient prêts à tolérer. Et chez nous, en France, en Europe, au Etats-Unis, quel est le seuil tolérable de dégâts collatéraux du système qu’une société post-industrielle peut accepter sans partir en vrille ? La question sociale, c’est de savoir qui aura en charge de réinventer les liens sociaux et la nouvelle société des prochaines décennies. Est-ce l’Etat ou bien les citoyens ? Le lent déclin de la vie politique laisse accroire à la seconde solution. Je laisse des tonnes de questions au lecteur. Le printemps arrive et l’esprit peut tenter de migrer vers des contrées exotiques. La pensée vole là où la liberté souffle.
6 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON